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Shai Davidaï : “Je refuse d’attendre qu’un étudiant juif soit tué pour m’exprimer”

Shai Davidaï : "Je refuse d’attendre qu’un étudiant juif soit tué pour m’exprimer"




Sur les réseaux sociaux, il est plus connu comme le professeur de Columbia qui a alerté l’opinion publique sur la prolifération d’organisations étudiantes pro-Hamas dans les universités américaines. Dans une vidéo devenue virale, Shai Davidaï, professeur adjoint de gestion d’entreprise à la Columbia Business School, adresse une “lettre ouverte” aux parents des étudiants de Berkeley, Columbia, Stanford ou Harvard. Son message : “Nous ne pouvons pas protéger vos enfants des organisations étudiantes proterroristes.”Depuis l’attaque meurtrière du 7 octobre lancée par le Hamas, les rassemblements d’étudiants propalestiniens se multiplient sur les campus des universités américaines. Certains allant jusqu’à qualifier les combattants du groupe terroriste de “martyrs”, rejetant la responsabilité de leurs actes sur Israël. Face à cela, plusieurs universités restent “neutres” et rappellent leur attachement à la “liberté d’expression”.”Avons-nous eu cette discussion sur la liberté d’expression après la tuerie d’Orlando, en 2016, dans un bar LGBT ? Bien sûr que non, tranche Shai Davidaï dans un entretien à L’Express. Si cela avait été le cas, les gens se seraient déversés dans les rues pour protester. Ces dernières années, on nous a répété qu’il fallait croire les victimes, croire les femmes et que le viol était intolérable. Je suis évidemment d’accord avec cela. Pourquoi, lorsqu’il s’agit de la vie de juifs, c’est ‘plus compliqué’ ?” Entretien.L’Express : Pourquoi avoir voulu prendre la parole en public ?Shai Davidaï : Tout est parti de deux manifestations qui ont eu lieu sur le campus de l’université Columbia, quatre jours seulement après l’horrible massacre perpétré par le Hamas. L’une réunissait des étudiants juifs, qui se tenaient en silence avec des affiches de bébés israéliens kidnappés par le Hamas. Ils s’étreignaient les uns les autres. De l’autre côté du campus, à 30 ou 40 mètres d’eux, un millier d’étudiants célébraient l’attaque du Hamas. Ils la qualifiaient de “réussite”, de “moment historique” et chantaient “from the river to the sea, Palestine will be free” [NDLR : “du fleuve à la mer, la Palestine sera libre”] – ce qui, ne nous voilons pas la face, signifie “libre des juifs”. Ces étudiants n’étaient pas réunis pour prôner une solution à deux Etats ou appeler à la paix, mais pour célébrer ce carnage. Autrement dit, c’était une fête.Quelques jours plus tard, nous étions réunis contre le terrorisme avec des étudiants israéliens pour une veillée à la bougie. Une femme qui travaille avec des familles d’Israéliens enlevés par le Hamas racontait l’histoire d’une jeune fille qui se trouvait au festival de musique où 260 personnes ont été tuées, et qui a vu son amie se faire kidnapper par les terroristes du Hamas. Un autre étudiant nous a expliqué comment il avait été attaqué sur le campus de Columbia, alors qu’il distribuait des affiches montrant des otages israéliens. Pour moi, c’en était trop. J’ai senti qu’il fallait que je dise quelque chose. Il faut bien comprendre que, pour les étudiants, ce n’est que leur campus. Moi, c’est mon lieu de travail. Jamais je n’aurais imaginé qu’en 2023 il me faudrait supplier au sens premier du terme le président de l’université où je travaille pour qu’il condamne ceux qui célèbrent le viol ou la mort de civils.“Vos enfants ne sont pas en sécurité”, répétez-vous dans votre discours à destination des parents des étudiants de Columbia. Pourquoi cela ?Les étudiants juifs ne sont pas en sécurité à l’université, et pas seulement à Columbia. Je n’exagère pas : de nombreuses universités américaines ne font rien contre les organisations qui soutiennent ouvertement le terrorisme sur le campus. Si mes enfants étaient en âge d’aller à l’université, je craindrais pour leur sécurité, sachant que des organisations proterroristes y sont autorisées à y répandre leur rhétorique immonde. Or, non seulement les établissements d’enseignement supérieur ne font rien, mais ils leur donnent une tribune et un micro ! Je refuse d’attendre qu’un étudiant juif soit tué pour m’exprimer. Les universités doivent réagir maintenant.L’histoire entre la Palestine et Israël est compliquée. Mais ce qu’a fait le Hamas est très simpleDans un texte publié sur la plateforme de blogs Medium, vous écrivez que “[vous ne pouvez pas vous] permettre de ne pas prendre position”. Qu’entendez-vous par là ?Je suis juif et je soutiens une Palestine libre. Mais, concernant l’attaque du Hamas, il s’agit de choisir non pas entre Israël et la Palestine mais entre l’humanité et la terreur. La majeure partie du monde, y compris des Palestiniens, est du côté de l’humanité. Ils savent qu’au fond il ne s’agit pas d’un débat politique ou géopolitique. Demandez à la plupart des Palestiniens en leur garantissant l’anonymat s’ils pensent que l’attaque du Hamas est une bonne ou une mauvaise chose, si violer des femmes ou assassiner des bébés pour ensuite brûler leur corps est bien ou mal : la plupart vous répondront que c’est mal, un point c’est tout. L’histoire entre la Palestine et Israël est compliquée. Mais ce qu’a fait le Hamas est très simple. Parfois, il arrive que les choses soient noires ou blanches. Sur le terrorisme, la situation est très claire : il n’y a pas lieu de prôner une échelle de gris.Depuis votre prise de parole, la direction de l’université Columbia a-t-elle répondu à votre appel ?Absolument pas. D’ailleurs, la situation s’est aggravée depuis dans toutes les universités américaines. Il y a quelques jours, des étudiants de l’université George Washington, située à quelques kilomètres de la Maison-Blanche, ont projeté sur la façade de la bibliothèque des messages disant “gloire à nos martyrs”. Remarquez qu’ils disent “nos martyrs” – ils indiquent clairement qu’ils considèrent les terroristes du Hamas comme faisant partie de leur groupe. Des étudiants de l’université Cooper Union [à New York] ont attaqué des camarades juifs qui ont dû s’enfermer dans la bibliothèque avant d’être escortés par la police. Tout comme à Harvard, où certains ont été attaqués par six ou sept étudiants pro-Hamas. Et toujours, ce silence de la part des universités…Si chaque vie doit être protégée à 100 %, pour certains, une vie israélienne ou juive ne vaut que 70 ou 80 %De nombreuses universités ont exprimé leur volonté de rester “neutres”. Par le passé, les administrateurs des campus se sont pourtant souvent montrés prompts à prendre position, sur le changement climatique, la guerre en Ukraine, ou même l’arrêt “Roe v. Wade” [arrêt de 1973 garantissant le droit à l’avortement, abrogé en 2022]. Etes-vous surpris ?Je ne suis pas sûr que tout le monde apprécie ma réponse. Il est extrêmement important que les universités prennent position sur certains sujets, qu’il s’agisse de “Black Lives Matter”, des droits des LGBT, du climat ou de la guerre en Ukraine. Mais, dans le cas présent, l’absence de réaction claire de la part des universités est, je pense, le produit de deux facteurs. Le premier est la peur. N’est pas “leader” qui veut, c’est une question de caractère. Les présidents d’université ne sont pas prêts à risquer leur popularité pour faire preuve de moralité. Ce sont des lâches, ils ne sont pas de vrais leaders.Le second est la haine des juifs. Tout le monde n’accorde pas autant d’importance à la vie des Israéliens et des juifs qu’à celle des autres : si chaque vie doit être protégée à 100 %, pour certains, une vie israélienne ou juive ne vaut – consciemment ou non – que 70 ou 80 %. C’est la réalité. Je me fiche que les gens accordent de l’importance à ma vie, je suis un adulte. Mais j’ai une fille de 2 ans et un fils de 7 ans. Le fait que ma propre université ne puisse pas dire clairement qu’ils n’ont pas à être des cibles me heurte profondément. C’est tout bête : un mélange de peur et de haine. Pourtant, certains essaient de nous faire croire qu’il s’agit d’une question très complexe…C’est-à-dire ?Beaucoup de personnes, y compris à la direction des universités, arguent que cette absence de condamnation claire des rassemblements pro-Hamas vise aussi à respecter la liberté d’expression de chacun. A ceux-là je demande : après le massacre du Bataclan, comment auriez-vous réagi si un professeur de Polytechnique avait dit : “Prenons en compte le point de vue des terroristes” ? Qu’auriez-vous pensé, après les attentats du 11 Septembre ou la mort de George Floyd, en 2020, si une organisation d’étudiants avait célébré ces drames ? Avons-nous eu cette discussion sur la liberté d’expression après la tuerie d’Orlando, en 2016, dans un bar LGBT ? Bien sûr que non. Si cela avait été le cas, les gens se seraient déversés dans les rues pour protester. Ces dernières années, on nous a répété qu’il fallait croire les victimes, croire les femmes et que le viol était intolérable. Je suis évidemment d’accord avec cela. Pourquoi, lorsqu’il s’agit de la vie de juifs, c’est “plus compliqué” ?D’aucuns vous répondraient sans doute que restreindre la liberté d’expression n’est pas la solution…Ce n’est pas ce que je souhaite. Aux Etats-Unis, il est de coutume de dire que, la liberté d’expression, c’est le droit d’avoir tort. C’est vrai. Effectivement, nous avons le premier amendement, et je pense que chacun doit pouvoir dire ce qu’il veut. Ça n’est pas la même chose de laisser les gens s’exprimer sur les réseaux sociaux ou dans leur vie personnelle que d’autoriser la venue, sur un campus, d’une organisation qui soutient et sympathise avec des terroristes.Ensuite, si la liberté d’expression est essentielle, il est dans le même temps essentiel que chacun assume ses propos ! Lors des rassemblements pro-Hamas, la plupart portent des masques, des lunettes de soleil, parce qu’ils savent que ce qu’ils disent est honteux. Savez-vous qui d’autre se cache le visage ? Les terroristes du Hamas. J’assume mes propos, chacun connaît mon nom et mon visage. La liberté d’expression ne signifie pas l’absence de responsabilité et, si vous célébrez et soutenez publiquement une organisation terroriste internationalement reconnue, vous devez également être prêt à en subir les conséquences.Comment expliquez-vous que ces protestations pro-Hamas aient pris une telle ampleur dans les universités ?Les organisations proterroristes n’opèrent pas dans le vide, mais dans des universités où des professeurs eux-mêmes célèbrent le Hamas. A Columbia, le professeur Joseph Massad a déclaré dans un article publié le lendemain de l’attentat que le massacre était “spectaculaire”, et l’université refuse toujours de le condamner. A Stanford, un autre a fait asseoir tous les étudiants juifs au fond de la classe. A Berkeley, un troisième a donné des points supplémentaires aux étudiants qui participaient à des manifestations propalestiniennes. A l’université de Californie à Davis, un étudiant a tweeté que tous les journalistes juifs et leurs enfants devraient être tués parce qu’ils contrôlent les médias. Les étudiants pensent que leurs idées sont légitimes, parce qu’ils les trouvent dans la bouche de ceux qu’ils respectent et admirent.Beaucoup justifient leurs positions pro-Hamas en se référant à la grille de lecture “colonisateur” contre “colonisé”. Ne faut-il pas aussi s’interroger sur l’incidence des études décoloniales, largement popularisées ces dernières années dans les universités américaines ?Je pense qu’il faut plutôt voir dans ces réactions l’incidence de l’abstraction des idées à laquelle nous entraînons nos élèves à l’université. Nous leur apprenons à réfléchir en concepts et en théorie, ce qui est essentiel. Mais, à l’heure actuelle, l’abstraction est un ennemi : il faut regarder les images en face. Il faut se confronter aux photos de bébés brûlés pour comprendre que la “résistance” n’est pas qu’une notion abstraite et que son instrumentalisation peut cacher un crime contre l’humanité.Aurions-nous tort d’y voir une révolte d’étudiants privilégiés, compte tenu du prestige des universités où se déroulent ces actions pro-Hamas ?Quand je ne m’oppose pas à l’apologie du terrorisme sur les campus, je fais des recherches sur les inégalités économiques et j’étudie le racisme et le sexisme. Je pense qu’il serait inexact d’y voir un phénomène propre à la bourgeoisie ou à la classe supérieure. Cela se passe aussi dans d’autres universités. Simplement, nous n’en entendons pas autant parler. A la City University de New York [Cuny], par exemple, qui est l’une des meilleures écoles des Etats-Unis pour les étudiants des classes populaires et moyennes, la même chose se produit. Ce n’est pas une question de “richesse”. Le problème est bien plus important et plus répandu qu’on ne le pense.Pensez-vous que l’intensité de ce phénomène soit spécifique aux Etats-Unis ?Vous savez, j’ai reçu des milliers d’e-mails, de messages et de commentaires en ligne de la part de Canadiens, de Londoniens, d’habitants de São Paulo, qui me racontent des événements semblables. Cela se passe partout dans le monde. Mais je pense que, si le phénomène est si intense en Amérique du Nord, c’est parce que, contrairement à l’Europe, les Nord-Américains n’ont pas vraiment conscience de ce qu’est le terrorisme. Les jeunes Européens ont connu les attentats du Bataclan et de Charlie Hebdo en 2015, ceux de Madrid en 2004, ceux de Londres en 2005. Certains ont ressenti cette inquiétude de savoir si leurs proches étaient en sécurité. En Europe, tout le monde sait ce qu’est le terrorisme, alors qu’aux Etats-Unis la plupart des étudiants sont nés après le 11 Septembre.La majorité des étudiants qui glorifient le terrorisme ne savent donc pas vraiment ce qu’ils soutiennent. Je ne les blâme pas, loin de là. La plupart sont de bonnes personnes animées par un souci de justice, mais ils sont instrumentalisés par les responsables d’associations proterroristes, qui sont de véritables extrémistes radicaux et ne représentent sans doute que 10 % des étudiants qui manifestent en soutien au Hamas. Il faut le dire, leur influence et leur capacité d’embrigader sont terrifiantes.Mais il faut reconnaître dans le même temps que l’Europe et l’Amérique du Sud comptent de meilleurs leaders que les Etats-Unis. Joe Biden a été très clair dans sa condamnation du Hamas. Mais Emmanuel Macron a été un des premiers à prendre position, tout comme le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, ainsi que la Première ministre du Danemark, Mette Frederiksen.Plusieurs donateurs font pression sur les universités pour qu’elles soutiennent plus clairement Israël. Ce qui, selon la présidente de l’Association américaine des collèges et universités [American Association of Colleges and Universities, AACU], Lynn Pasquerella, saperait l’objectif de l’enseignement supérieur américain, qui est de “promouvoir la poursuite sans entraves de la vérité et le libre échange d’idées”. Qu’en pensez-vous ?Je trouve très ironique de blâmer les donateurs. Quand et pourquoi les universités ont-elles vu le jour ? Juste après la Renaissance, à l’époque des Lumières, soit lorsque l’humanité s’est dit qu’il fallait tracer une ligne claire entre la lumière et l’obscurantisme, le bien et le mal. Les milliardaires qui financent les universités sont engagés dans ce but. Je comprends que, dans un moment pareil, certains se demandent si leur argent sert toujours cet objectif. Que l’on soit riche ou pauvre, je pense que personne n’a envie de donner de l’argent à des institutions qui faillissent à ce point à leur mission. Si des universités sont incapables de dire clairement que tirer une balle dans la tête d’un bébé endormi n’est pas acceptable et ce, peu importe qu’il soit israélien, palestinien ou autre, alors à quoi servent-elles ?



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Author : Alix L’Hospital

Publish date : 2023-10-30 17:21:44

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