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Pr Serge Hercberg : “La bataille autour du Nutri-Score continue à être sanglante”

Pr Serge Hercberg : "La bataille autour du Nutri-Score continue à être sanglante"




Serge Hercberg, professeur émérite d’épidémiologie et de nutrition, a consacré sa carrière à la défense de la santé publique. Ancien président du Programme national nutrition santé (PNNS) et concepteur du Nutri-Score, il s’est battu pour que cet étiquetage signalant la qualité nutritionnelle des aliments devienne obligatoire. Un combat épique, qu’il raconte dans son livre Mange et tais-toi, un nutritionniste face au lobby agroalimentaire (1). Alors que la bataille est loin d’être terminée, il plaide désormais pour que ce logo évolue et prenne en compte le degré de transformation des aliments, afin que les consommateurs puissent facilement éviter, s’ils le souhaitent, d’acheter des denrées ultra-transformées. Car les preuves scientifiques s’accumulent sur les risques pour la santé de cette nourriture déstructurée et bourrée d’additifs. Malgré les obstacles et les résistances, il se veut résolument optimiste : “Notre combat va dans le sens de l’histoire. Nous irons peu à peu vers une amélioration de la qualité des aliments, grâce à la science et à la demande des consommateurs, j’en suis persuadé”, insiste-t-il. Entretien.L’Express : De plus en plus d’études pointent un lien possible entre la consommation d’aliments ultra-transformés et différentes pathologies comme l’obésité, le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires ou encore certains cancers. Quelle quantité de ces produits peut-on encore consommer sans nuire à sa santé ?Pr Serge Hercberg : Les épidémiologistes nutritionnels, dont je fais partie, ne disent pas de supprimer totalement les aliments ultra-transformés (AUT), mais conseillent d’en consommer moins. Nous ne donnons pas de chiffres précis, ce serait trop normatif. Dans le dernier Programme national nutrition santé, nous avions recommandé une baisse de 20 % de la part des AUT dans la ration alimentaire au niveau de la population. Mais pour un individu donné, cela ne veut rien dire : tout dépend de son alimentation.Il faut favoriser dans la mesure du possible les aliments bruts ou simplement transformés, mais pas ultra-transformés. Pour les reconnaître, il suffit de regarder au dos des emballages. Si vous y trouvez de nombreux additifs, ou des ingrédients inconnus que vous ne trouveriez pas dans votre cuisine, alors il s’agit d’AUT. On parle là des sodas, des céréales du petit-déjeuner, des nuggets, d’une partie des plats préparés, qui ont subi des processus industriels très importants.Mais si on mange une pizza et une soupe industrielle par semaine, plus quelques biscuits, c’est grave ?C’est évidemment la consommation excessive qui pose un problème. Il faut être conscient que les pizzas surgelées ou les nouilles instantanées sont des produits ultra-transformés, et que les manger n’est pas un geste banal. Mais bien sûr, certains AUT peuvent faciliter la vie. Avoir une pâte feuilletée toute prête dans son frigo, c’est pratique. Mais on peut peut-être privilégier des boissons plus naturelles que les sodas, faire cuire un filet de viande plutôt que des nuggets, ou donner plutôt des fruits et des yaourts pour le goûter des enfants, à la place des biscuits.Pr Serge Hercberg, professeur émérite d’épidémiologie et de nutrition.Les études épidémiologiques ne montrent donc pas d’effet de seuil ?Ce que nous voyons avec nos travaux, c’est que plus on mange ces produits, plus les effets délétères sur la santé sont importants. Si vous faites l’analogie avec les aliments gras et sucrés comme les barres chocolatées, nous ne disons pas qu’il ne faut pas en manger, ni combien il est possible d’en consommer chaque jour. En revanche, nous savons qu’en grande quantité, ils vont entraîner des déséquilibres métaboliques et des pathologies. Mais nous ne pouvons pas indiquer de seuil. Nous l’avions fait pour les fruits et légumes, en recommandant d’en consommer cinq par jour, soit 400 grammes au total, car les données étaient très claires : au-delà, le bénéfice est très important en termes de diminution du risque de cancer et d’autres maladies. Mais si vous en mangiez un et que vous passez à deux ou trois, il y a déjà un gain. C’est toute la difficulté en nutrition : pour la plupart des aliments, il y a un continuum.Même si on a toujours mangé beaucoup d’aliments ultra-transformés, il est toujours temps d’arrêter, ou au moins de réduire sa consommation ?C’est une règle de base en nutrition : il n’est jamais trop tard pour corriger le tir, il y aura toujours un bénéfice pour la santé. C’est pour cela que nous nous battons beaucoup pour la sensibilisation de la population car même si quelqu’un a pris des mauvaises habitudes, il est toujours possible de les modifier. Il ne faut pas se dire : ‘j’ai fait ça toute ma vie, c’est trop tard’. C’est comme pour le tabac : arrêter aura toujours un effet positif.Justement, que fait-on pour informer les consommateurs, alors que le Nutri-Score lui-même prend mal en compte la question de l’ultra-transformation ?Comme tous les logos nutritionnels, le Nutri-Score ne porte que sur la composition nutritionnelle des aliments. Il ne prend pas en compte l’ultra-transformation, qui est une autre dimension santé des aliments. Mais ces deux aspects se chevauchent. Une large part des AUT sont également trop gras, trop salés, trop sucrés, pauvres en fibres, en protéines, en vitamines et en minéraux. Il s’agit toutefois de deux aspects différents, qui agissent sur la santé par des mécanismes différents.Il peut y avoir des aliments ultra-transformés qui seront bien classés par le Nutri-Score – la plupart des steaks végétaux par exemple. A l’inverse, des aliments peu transformés, comme du jus de raisin, sont de vraies bombes à sucre et seront mal classés par le Nutri-Score. Il est donc important de donner les deux informations, de manière complémentaire. C’est pourquoi nous voudrions compléter la signalétique actuelle, pour que les consommateurs puissent repérer simplement ces aliments au lieu de devoir lire la liste des ingrédients. Nous pensons que cette information poussera aussi les industriels à moins produire d’aliments ultra-transformés, et surtout à arrêter de mettre sur le marché de nouveaux produits entrant dans cette catégorie.Que proposez-vous ?Le plus simple, en termes de compréhension et pour éviter de juxtaposer les logos sur les emballages, serait d’ajouter un cadre noir au Nutri-Score quand un aliment est ultra-transformé. Nous avons déjà mené une étude pour voir si cette signalétique serait facile à comprendre pour les consommateurs, et de quelle façon cela impacterait leur choix. Cela fonctionne très bien. Notre discours est donc très simple : évitez les AUT, et si ce n’est pas possible, choisissez ceux avec le meilleur Nutri-Score (de même que pour les aliments non ultra-transformés d’ailleurs).Ne craignez-vous pas que cela soit encore plus difficile à imposer que le Nutri-Score lui-même ?Cela reste très compliqué pour le Nutri-Score. Au niveau européen, la bataille continue à être sanglante car certains veulent empêcher que ce logo ne devienne obligatoire dans toute l’Union. En France aussi, les lobbies essayent de faire reculer le gouvernement, qui le recommande sur une base volontaire à défaut de pouvoir l’imposer en l’absence de décision européenne.Il faut s’attendre à ce que les mêmes se mobilisent contre ce bandeau noir, mais ce combat présente un réel intérêt de santé publique. Ce sera difficile, mais nous pourrons nous appuyer sur la science : nous disposons d’une accumulation de preuves des effets néfastes de la consommation d’aliments ultra-transformés sur la santé. Il existe aussi un très fort soutien du monde associatif et scientifique en ce sens – nous avons ainsi publié un rapport cosigné par 320 chercheurs européens défendant le Nutri-Score et ce bandeau noir.De leur côté, les industriels prennent conscience qu’ils ne peuvent pas continuer à mettre ces problèmes sous le tapis. Certains commencent déjà à reformuler leurs produits pour améliorer leurs recettes en retirant du gras, du sucre ou du sel pour être mieux classés sur le Nutri-Score, mais aussi en simplifiant les processus industriels et en toilettant leurs listes d’ingrédients pour supprimer des additifs.Avez-vous des exemples ?Intermarché a reformulé beaucoup de produits, et s’engage à réduire le nombre d’additifs. Fleury Michon suit la même démarche, ainsi que d’autres sociétés. Ils savent que c’est dans leur intérêt. On le voit avec la bataille contre les nitrites (NDLR : des conservateurs cancérogènes dans les charcuteries) : c’est difficile, mais certains comprennent qu’en termes marketing, il peut être intéressant de proposer des produits sans nitrites.Où en est-on exactement sur le Nutri-Score au niveau européen ?Théoriquement, l’Europe devait mettre en place un logo unique et obligatoire fin 2022, dans le cadre de sa stratégie Farm to fork (NDLR : de la ferme à la fourchette, un programme pour une agriculture plus durable). La Commission avait émis une feuille de route pour collecter des informations : un rapport de l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa), une consultation publique et une étude du Joint research center, le centre de recherche de l’Union européenne. Toutes ces étapes sont maintenant terminées, et toutes se sont avérées très favorables au Nutri-Score.A la suite de cela, nous avons assisté au réveil des lobbies. De gros groupes alimentaires, comme Lactalis, Mondelez, Mars, Ferrero, Unilever ou encore Coca-cola pour les plus importants, mais aussi les représentants de l’agriculture productiviste se sont mobilisés – notamment les producteurs de fromages, de charcuterie et de viande rouge. Au niveau européen, s’est ajouté un Etat, l’Italie, sous la pression des partis populistes et d’extrême droite. Ils ont instrumentalisé le Nutri-Score pour faire croire à un complot de l’Europe contre la gastronomie italienne. Giorgia Meloni, l’actuelle Première ministre italienne, en a même fait un élément de sa campagne. C’était sidérant ! Malheureusement, la Commission européenne y semble sensible et dit à présent qu’il s’agit d’un problème complexe et polarisant… Nous craignons qu’elle n’enlève ce point de son agenda 2024.Dans ce cas, la France ne pourrait toujours pas l’imposer ?Non, sauf à avoir le courage de risquer un contentieux avec l’Europe, au nom de la santé publique et de la défense de l’intérêt collectif. Les enjeux sont très importants : rappelons qu’il s’agit d’aider à prévenir le cancer, l’obésité, les maladies cardiovasculaires, ou encore le diabète. Grâce à la pression sociale, sept États ont décidé de le recommander et une partie des industriels l’adoptent peu à peu. Maintenant, il s’agit de forcer la main à ceux qui y restent réticents.Les aliments ultra-transformés sont très répandus. Pensez-vous vraiment que l’information des consommateurs, suffira ? Ne faudrait-il pas une action plus volontaire des pouvoirs publics ?Bien sûr. La première étape serait que l’information, par ce Nutri-Score complété, devienne obligatoire. Mais il faudrait aussi interdire la publicité pour les aliments mal classés par le Nutri-Score ou ultra-transformés. Enfin, on peut imaginer des systèmes de taxation : on sait déjà le faire pour les sodas, on pourrait l’élargir à d’autres produits mal classés par le Nutri-Score et ultra-transformés.Les industriels remettent en cause l’utilisation de la classification Nova, sur laquelle reposent la plupart des études épidémiologiques pointant des risques pour la santé liés à la consommation de ces produits. Cette critique vous paraît-elle recevable ?Il y a toujours un déni de la science, des tentatives de déstabilisation. On l’avait bien vu avec le Nutri-Score. Nous disposons de plus de 70 études montrant une association entre des aliments classés dans la catégorie “Nova 4”, c’est-à-dire ultra-transformés, et un risque de maladie accru. Cela valide la classification Nova, même si elle n’est pas parfaite à 100 %. A présent, il faudrait que les agences sanitaires françaises et européennes établissent une définition “officielle” de l’ultra-transformation, pour que la classification des aliments dans les différentes catégories ne souffre pas de contestation. Mais cet outil paraît suffisamment opérationnel pour qu’il continue à être utilisé.Les autorités sanitaires françaises ont-elles déjà pris position sur votre proposition de bandeau noir ?Nous avons transmis toutes les informations au ministère de la Santé. Mais il souhaitait d’abord que l’algorithme du Nutri-Score soit mis à jour, car des améliorations étaient nécessaires (plus forte pénalisation des produits sucrés et salés, de la viande rouge, des boissons édulcorées, meilleur score pour les aliments complets…). Cela a aussi été une bataille, des lobbies ont protesté, mais cette adaptation a bien été effectuée, et elle entrera en vigueur en 2024. Ainsi, le Chocapic, par exemple, repassera de A à C. Il avait été classé A car Nestlé avait diminué le sucre de 50 à 22 grammes et rajouté du blé complet. Mais ce faisant, il se retrouvait au même niveau que des mueslis sans sucre. Il restera néanmoins mieux classé que d’autres céréales bien plus sucrées.Nous espérons maintenant que les autorités vont se saisir de la question de l’ultra-transformation. L’enjeu, c’est que les consommateurs, in fine, fassent pression sur les industriels, afin qu’ils arrêtent de commercialiser toujours plus d’aliments ultra-transformés. C’est un combat difficile mais il va dans le sens de l’histoire. Nous irons peu à peu vers une amélioration de la qualité des aliments, grâce à la science et à la demande des consommateurs, j’en suis persuadé.



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Author : Stéphanie Benz

Publish date : 2023-11-02 16:02:00

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