Stratège et historien militaire, commandant en Irak et en Afghanistan et… amateur du rugby, le général Herbert Raymond (dit H. R.) McMaster s’est fait connaître par ses écrits autant que par ses faits d’armes. Dès 1997, il publie Dereliction of Duty (“Manquement au devoir”), l’un des ouvrages les plus lus par les officiers du Pentagone. Il y explique que la guerre du Vietnam n’a pas été perdue au combat ni dans la presse mais à Washington, par les mauvaises décisions du président Lyndon B. Johnson, son cabinet et l’état-major militaire. Spécialiste du “red teaming”, qui consiste à “penser comme l’ennemi”, et inventeur du concept de “narcissisme stratégique” – la propension des Etats-Unis à ne voir le monde qu’à travers son propre prisme –, le jovial McMaster a la réputation de dire les vérités qui dérangent. Ce qui lui vaut le surnom de “général iconoclaste”.Recruté par Donald Trump en 2017 au poste clef de conseiller à la Sécurité nationale, l’apolitique “H. R.” n’a pas tardé à agacer son nouveau boss, qui le trouvait “condescendant”. Avec les généraux Jim Mattis (ministre de la Défense) et John Kelly (chef de cabinet), McMaster faisait partie de ceux que l’on a appelés les “adults in the room” et qui servaient de garde-fous au président républicain.Cela n’a guère duré : au bout de treize mois, Trump s’est débarrassé de son conseiller à la réputation pourtant impeccable. Recruté par l’université Stanford (Californie), ce dernier se consacre aujourd’hui à la rédaction d’ouvrages de géopolitique dont Battlegrounds : The Fight to Defend the Free World (“Champs de bataille : le combat pour défendre le monde libre”, non traduit). C’est la première fois qu’il s’exprime en France.L’Express : Quelle est votre analyse de la situation internationale ?Général H. R. McMaster : Nous sommes dans la configuration d’une cascade des crises avec de nombreux acteurs qui agissent ensemble contre nous. Peu de gens ont prêté attention à l’accélération des opérations militaires russes en Ukraine depuis l’attaque du Hamas. Mais les deux choses sont liées. En Ukraine, Poutine travaille avec l’Iran et la Chine. Téhéran fournit de l’aide matérielle tandis que Pékin, plus insidieusement, opère dans le domaine de l’information, en amplifiant la propagande et la désinformation russes afin d’affaiblir les Occidentaux. Poutine et Xi Jinping sont déterminés à redessiner l’ordre mondial en faveur des régimes autoritaires. Il y a une coordination entre la Russie, l’Iran et la Chine.Leur déclaration conjointe pendant les Jeux olympiques d’hiver de Pékin en février 2022 était claire. Selon eux, l’Occident est fini. “Maintenant, c’est nous qui sommes aux commandes”, disaient-ils en substance. Deux semaines plus tard, Poutine déclenchait l’invasion de l’Ukraine. Quand ces deux-là s’expriment, il faut les prendre au pied de la lettre.Le général américain H.R. McMaster et le président Donald Trump à Palm Beach, aux Etats-Unis, le 20 février 2017Quel est le pire scénario pour le Moyen-Orient ?Ce serait une escalade vers un conflit de grande ampleur. Le Hamas est armé, équipé, formé et conseillé par l’Iran. Ses combattants font partie d’une grande armée “par procuration” mise en place par Téhéran, non seulement à Gaza mais aussi en Cisjordanie – où opère une cinquième colonne – , au Liban, avec le Hezbollah qui dispose d’environ 130 000 roquettes, et au Yémen, où des milices houties ont tiré des missiles (interceptés) vers Israël et les navires américains. L’Iran a aussi positionné des milices, venues d’Irak, à la frontière de la Syrie avec Israël.Il ne faut pas exclure l’option d’une réponse militaire contre TéhéranJe pense que cela sera bientôt suivi d’une intensification de la part des Iraniens. Ils activeront le Hezbollah : de sporadiques, leurs opérations à la frontière nord d’Israël pourraient devenir systématiques. La prochaine étape, pourrait être, aussi, une exacerbation du conflit au Yémen, avec des menaces contre de la navigation en mer Rouge depuis le détroit de Bab al-Mandeb (en face de Djibouti). Enfin, les intérêts et positions américaines en Irak et en Syrie ont fait l’objet de 90 attaques ces dernières années. Et nous n’avons répliqué que quatre fois… Nous ne sommes sans doute qu’au début de la campagne iranienne qui se poursuivra jusqu’à ce que nous leur fassions savoir que nous connaissons l’adresse de l’expéditeur.La réponse à Téhéran devrait être militaire ?En tout cas, il ne faut pas l’exclure car l’Iran, qui est déjà en guerre contre nous, est derrière tout ce qui arrive au Moyen-Orient. Souvenez-vous qu’en 1988, il a fallu couler toute la flotte iranienne pour que Téhéran cesse de harceler les navires et d’empêcher la navigation dans le golfe Persique. Dans un premier temps, il faut imposer à Téhéran des sanctions, sévères et immédiates. Nous l’avons fait sous l’administration Trump. Et ça a marché ! De nombreuses études le prouvent.Asphyxié, Téhéran a été contraint de réduire de moitié ses subventions au Hezbollah, au Djihad islamique palestinien, au Hamas et à toutes les autres milices qu’ils financent. Frapper l’Iran ? Cela doit faire partie des options. A bien des égards, la situation de ce pays ressemble à celle de la Corée du Nord en 1994. La question est donc : en 1994, n’aurions-nous pas dû agir contre Pyongyang, où se trouvait une dictature communiste héréditaire qui développait des armes nucléaires ? Cela nous aurait évité d’avoir à gérer, trente ans plus tard, le problème Kim Jong-un.Que cherchent les Iraniens ?Ils poursuivent leur stratégie qu’ils nomment défensive mais qui est en réalité offensive. Leur objectif ultime est de pousser les Etats-Unis hors du Moyen-Orient, après quoi ils passeront à une autre étape : la destruction d’Israël. Ils n’ont pas renoncé à ce projet qui est tout en haut sur leur “liste des courses”. Pour y parvenir, leur tactique consiste à sacrifier autant de Palestiniens et d’Arabes que nécessaire afin de détruire Israël sans avoir à le faire eux-mêmes.Parallèlement, ils travaillent à maintenir le monde arabe dans un état de faiblesse perpétuelle, en hébergeant des organisations comme l’Etat islamique et Al-Qaeda afin de générer un cycle de violence dans les pays arabes. Nous sommes peut-être seulement au premier acte de la campagne iranienne… Hélas, jusqu’à présent, nous nous comportons comme si l’Iran n’était pas le cœur du problème. Les Iraniens profitent de cette forme d’impunité.Destructions dans la bande de Gaza, vues depuis le sud d’Israël, le 3 novembre 2023Que vise Israël à Gaza ?Pour détruire le Hamas, Israël doit prendre le contrôle de toute la bande de Gaza. C’est difficile, mais ce n’est pas impossible. Car le Hamas est plus faible qu’il n’y paraît. Il s’agit de détruire toute l’infrastructure, c’est-à-dire les armes, les tunnels, les communications, les combattants. Je sais que ce n’est pas très poli de le dire mais tous les membres du Hamas doivent être tués ou capturés. Toutefois, l’occupation par Israël ne peut s’éterniser. La communauté internationale devra s’impliquer en engageant une force de maintien de la paix comparable à celle déployée dans le Sinaï après les accords de Camp David en 1979.Les Israéliens sont-ils prêts à sacrifier les otages ?Tant qu’ils n’auront pas fait tout ce qu’ils peuvent pour les récupérer, ils ne les abandonneront pas. A un moment donné, si les Israéliens constatent que les otages ne seront pas libérés volontairement par le Hamas, ils tenteront de le faire par la force. En attendant, je m’étonne que le monde entier, y compris les gens qui agitent des drapeaux palestiniens, ne soit pas en train de réclamer leur libération à cor et à cri.Poutine veut entraîner tout le monde dans sa propre chuteQuel rôle pour l’Europe ?D’abord, elle devrait subordonner toute aide à Gaza à des garanties antiterroriste. Si l’argent versé pour l’aide humanitaire est détourné par le Hamas afin de tuer des Israéliens, comme c’est le cas depuis quinze ans, alors autant supprimer les intermédiaires et faire le chèque directement aux terroristes. Il faudra trouver des interlocuteurs sérieux afin que l’argent envoyé à Gaza serve à améliorer la vie des Gazaouis, non à tuer des juifs.Les accords d’Abraham sont-ils morts ?Je ne pense pas. Ils sont fragilisés, mais les Emiratis, les Saoudiens, les Koweïtiens, les Bahreïniens, qui vivent sous la menace iranienne, reconnaîtront que leurs intérêts sont alignés sur ceux des Etats-Unis, de la France, des pays occidentaux amis d’Israël.Pour revenir à la guerre en Ukraine, quelle est la stratégie de Poutine ?Elle consiste à entraîner tout le monde dans sa propre chute. Il sait parfaitement qu’il ne peut pas concurrencer l’Occident car le PIB russe est comparable à celui de l’Italie. Ce que veut Poutine, c’est tirer tout le monde vers le bas, en partant du principe qu’à la fin des fins, il sera le dernier survivant encore debout. Regardez les dégâts commis par Poutine depuis dix ans au Moyen-Orient.En 2013, il était censé superviser la destruction des armes chimiques de Bachar el-Assad dans le cadre d’un accord international. Il ne l’a jamais fait. Au contraire, le Kremlin a couvert tous les crimes de masse de Bachar pendant la guerre civile syrienne, ce qui a provoqué – intentionnellement, selon moi – une catastrophe humanitaire en Europe qui, par ricochet, a exacerbé les sentiments nationalistes sur le Vieux Continent lors de la crise des migrants de 2015. Tout cela a paralysé la volonté des dirigeants de l’Union européenne.La guerre en Ukraine va durer des annéesL’Ukraine peut-elle perdre la guerre ?Elle ne peut et ne doit pas la perdre. Mais elle ne peut pas la gagner sans un soutien plus important de notre part. L’Occident doit renforcer son industrie de défense et produire davantage d’armes. C’est en cours mais cela ne va pas assez vite. De son côté, Poutine sait qu’il ne peut conquérir l’Ukraine. Alors, il veut étouffer ce pays. En juin, l’explosion du barrage de Zaporijia – qui a tué des milliers de soldats russes, mais il s’en moque – était un message. Le même raisonnement vaut pour les bombardements sur les infrastructures portuaires ou électriques. Poutine a d’autres coups en réserve. La guerre en Ukraine va durer encore des années.Andriï Ilkiv, un policier expert en explosifs, qui a perdu sa jambe gauche dans l’explosion d’une mine, recherche des mines dans un champ à Izioum, le 24 octobre 2023 en UkraineL’Occident est-il “fini” comme le pensent Xi Jinping et Poutine ?Non, mais nos démocraties traversent une crise de confiance. La chute du rideau de fer, l’effondrement du mur de Berlin, la fin de l’Empire soviétique avaient ouvert une séquence d’optimisme excessif, rapidement suivie par une période de dépression qui n’est pas tout à fait terminée. En 1990 a commencé une période de paix que nous pensions éternelle dans un monde unipolaire dominé par l’Occident et les idées libérales.Cela a conduit à un climat d’autosatisfaction, avec une confiance immodérée dans la primauté des démocraties ouvertes sur les systèmes autoritaires fermés. Nous pensions que nos prouesses technologiques suffiraient à garantir notre sécurité ad vitam aeternam. A l’Otan, on ne pouvait pas lire un document sans tomber sur les mots “maîtrise de la situation” ou “supériorité”. Nous allions “dominer” tout le spectre de la guerre parce que nous aurions “une maîtrise totale” du champ de bataille qui garantirait notre “supériorité”.Mais après le choc stratégique du 11 Septembre, les ratés des guerres en Irak et en Afghanistan, la crise financière de 2008-2009, la montée en puissance de la Chine, les emplois perdus par les délocalisations et l’avènement des réseaux sociaux qui proposent des contenus de plus en plus extrêmes, l’Occident a perdu foi en ses valeurs démocratiques. Cerise sur le gâteau : le postmodernisme et les diverses théories critiques et postcoloniales ont alimenté une forme de dégoût de soi. Merci Derrida et Foucault…De nombreux jeunes vont jusqu’à penser que le système démocratique occidental n’en vaut plus la chandelle. Pour ma part, lorsque je me promène dans Paris, je me dis qu’au contraire, l’Occident mérite carrément d’être défendu. Car si le déclin de la civilisation occidentale ressemble à la sublime ville de Paris, alors, j’en redemande : donnez-moi plus de déclin, s’il vous plaît ! Encore, encore ! [rires]Alors, que faire ?Il faut réinvestir le champ stratégique et restaurer la bonne vieille dissuasion, qui consiste à convaincre l’ennemi potentiel qu’il ne pourra pas atteindre ses objectifs en recourant à la force. Pour les régimes autoritaires, notre faiblesse affichée s’apparente à un chiffon rouge, à une provocation. Cela les incite à passer à l’action. Tout ce qui a été entrepris depuis vingt ans pour apaiser les inquiétudes de Poutine lui a donné l’impression que nous étions pusillanimes.Ainsi, après l’annexion de la Crimée et la guerre au Donbass en 2014, nous n’avons pas bougé. Il a fallu attendre décembre 2017 et Donald Trump pour que les Etats-Unis fournissent des capacités défensives à Kiev – et encore, en quantité trop faible. Après notre capitulation en Afghanistan face aux talibans et le retrait désastreux qui s’est ensuivi, Poutine, s’est fait la même réflexion qu’après l’inaction d’Obama en Syrie en 2013 et le franchissement des “lignes rouges” par Bachar el-Assad. Poutine s’est dit : “OK, les Occidentaux sont cuits, ils n’ont plus aucune volonté, ils vont me laisser les mains libres.”Lors de la seconde invasion de l’Ukraine, en 2022, nous avions préalablement retiré tous nos navires de la mer Noire afin que la Russie ne se sente pas trop “provoquée”… Après l’invasion, l’administration Biden s’est empressée de dresser la liste de tout ce qu’elle ne ferait pas pour soutenir l’Ukraine : pas de livraison de missiles à longue portée, pas d’interdiction de l’espace aérien, etc. Poutine a immédiatement profité de la situation. En matière de relations internationales, ce n’est pas la force qui est provocatrice, mais l’inverse.
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Author : Axel Gyldén
Publish date : 2023-11-05 16:14:01
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