Le 15 mai dernier, des milliers de jeunes se massaient sur une place du centre de Bangkok pour acclamer le vainqueur des élections législatives, qui venait de créer la surprise, très loin devant les formations promilitaires. Debout à l’arrière d’un pick-up, le chef du Move Forward Party (Aller de l’avant, en français), Pita Limjaroenrat, un homme d’affaires de 42 ans au physique de jeune premier, éduqué à Harvard et au MIT, haranguait la foule : “c’est le plus grand honneur de ma vie : pouvoir vous servir tous”.Les jeux étaient faits : Pita allait devenir le 30e Premier ministre du royaume. Il avait conclu un préaccord de coalition avec des membres du Pheu Thai, le parti populiste de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra – renversé en 2006 par un coup d’Etat et en exil depuis 2008, après avoir été condamné pour corruption. Or sa formation est arrivée en deuxième position.La Thaïlande, dont la jeunesse était descendue en masse dans la rue en 2020 pour réclamer des réformes démocratiques, tenait enfin une occasion de moderniser son personnel politique et de s’extirper de la puissante alliance entre l’armée, la monarchie et l’oligarchie d’affaires aux manettes depuis des décennies. Le Move Forward proposait le démantèlement des monopoles économiques, la réduction du rôle de l’armée dans la politique et une réforme de la monarchie, avec des amendements à l’article sur le crime de lèse-majesté, utilisé par le pouvoir pour neutraliser l’opposition, qui prévoit jusqu’à quinze ans de prison pour toute insulte au roi et à sa famille.”Subversion de la volonté populaire”Mais les jeunes se sont fait voler leur révolution. Car quelques semaines avant les élections, l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra avait – aussi – rencontré secrètement des émissaires du palais, de l’armée et de l’exécutif en Malaisie. Un accord avait été conclu : la prochaine coalition exclurait le Move Forward au profit d’une alliance entre le Pheu Thai de l’ancien dirigeant en exil et les partis promilitaires du gouvernement sortant. Trahison !Après trois mois de manœuvres, les “comploteurs” ont placé à la tête de leur coalition un milliardaire sans expérience politique, Srettha Tavisin. Bien que vainqueur des législatives, Pita Limjaroenrat est démis de son poste de parlementaire, puis rendu inéligible à celui de Premier ministre. “Chaque fois qu’un parti remporte des élections de façon convaincante et que son leader apparaît charismatique et capable, les forces conservatrices font machine arrière pour annihiler les résultats, juge Thitinan Pongsudhirak, professeur à l’université Chulalongkorn. C’est une subversion de la volonté populaire.”Climat délétèreLe jour même où le Parlement nommait Srettha le milliardaire, Thaksin Shinawatra, âgé de 74 ans, fait un retour remarqué dans son pays, où il se disait prêt à purger sa peine de huit ans de prison. Mais la sentence fut rapidement réduite à un an par décret royal. Depuis lors, Thaksin est officiellement traité pour des soucis de santé dans un hôpital de la police.Sans majorité absolue, son parti, le Pheu Thai, reste à la merci des autres formations liées aux puissances militaro-économiques. L’avenir du nouveau gouvernement est donc incertain, d’autant que le climat socio-économique du pays – baisse des exportations, reprise du tourisme plus lente que prévu, accroissement des inégalités, fort endettement des ménages – n’est pas brillant. Cette situation entraînera-t-elle une nouvelle vague de protestation de la jeunesse ? Pour durer et atteindre leurs objectifs, les manifestants auraient besoin de robustes soutiens financiers et politiques. “Pour l’instant, estime Bunkueanun ‘Francis’ Paothong, un leader estudiantin de 23 ans, le Move Forward n’en a pas encore les moyens.””L’espoir de la jeune génération réside plutôt dans les prochaines élections, indique Panasaya ‘Rung’ Sithijirawattanakul, 25 ans, une autre dirigeante du mouvement de 2020 qui, sous le coup de 11 accusations de lèse-majesté, a fait trois séjours en prison. S’il maintient ses positions, le Move Forward récoltera davantage de voix.” Elle espère assister, au “dernier souffle des élites qui craignent le changement”. Dans un entretien à l’AFP, Pita Limjaroenrat, le héros pro-démocratie de la jeunesse, vient d’assurer qu’il n’avait pas renoncé à se battre pour devenir Premier ministre, malgré les poursuites judiciaires contre lui. Mais ses ennemis sont impitoyables. Preuve de la crispation du pouvoir, Arnon Nampa, un avocat qui avait lancé des appels en faveur d’une réforme de la monarchie, a été condamné le 26 septembre à quatre ans de prison.
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Publish date : 2023-11-12 09:30:00
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