*.*.*
close

“La Fille de l’ennemi du peuple” : Lélia Dimitriu, un premier roman à 84 ans

logo




Il n’est jamais trop tard pour faire ses débuts en littérature : Lélia Dimitriu a 84 ans, et on sent qu’elle a longtemps mûri son premier livre, La Fille de l’ennemi du peuple. Avantage de l’âge ? Cette fringante octogénaire écrit avec une pudeur, une poésie et une pensée trop souvent absentes chez les jeunes auteurs actuels, lesquels ont tendance à déballer leurs états d’âme sans prendre la peine de réfléchir. Lélia Dimitriu a eu le déclic de cette recherche du temps perdu grâce à une muse peu commune : Vladimir Poutine. Le 24 février 2022, quand les soldats russes ont envahi l’Ukraine, tout son passé a ressurgi, et notamment le défilé des chars de l’Armée rouge dans les avenues de Bucarest, le 31 août 1944. Elle s’est alors lancée dans son manuscrit.Lélia Dimitriu ne précise pas si La Fille de l’ennemi du peuple est un “roman” ou un “récit”, mais on sent que ce flash-back de 400 pages est intégralement autobiographique, qu’elle a juste changé quelques noms – elle-même se rebaptise Lena. Sa saga balkanique s’ouvre par un éloge de son père, surnommé “le Maestro”, qui est traité avec plus d’égards que les géniteurs de nos écrivains d’autofiction. D’origine macédonienne, héros de la Première Guerre mondiale, le Maestro a fait fortune dans les meubles d’art. Malheureux en ménage, il noue une liaison avec une femme plus jeune. N’arrivant pas à obtenir le divorce, il contraint sa maîtresse à avorter – ce qu’elle fera dix fois en dix ans. La onzième fois, les gynécologues s’y opposent : trop dangereux. Et c’est ainsi que Lena naît sous le nom de sa mère en 1939 – elle sera reconnue un peu plus tard.En 1944, Bucarest s’écroulant sous les bombardements, le Maestro charge ses enfants dans sa Chrysler Imperial et les installe à l’abri à la campagne. Mais en 1945, après la soumission à l’Allemagne hitlérienne, la Roumanie passe officiellement entre les mains de la Russie stalinienne lors des accords de Yalta, auxquels Lélia Dimitriu consacre une page étonnante, peignant Roosevelt et Churchill en “vieillards cyniques”. Pour la haute bourgeoisie de Bucarest, qui est le monde de Lena, c’est le début de la fin. Les entreprises sont nationalisées, les habitations privées réquisitionnées.Lucidité et mélancolieLe 24 décembre 1951, en plein dîner de Noël, trois gros bras de la Securitate (la police politique secrète) viennent arrêter le Maestro. Après un passage en prison, il se reconvertira comme simple ouvrier au sein de sa propre entreprise. Enfant, puis adolescente, Lena rêve d’ailleurs. Elle s’imagine un temps une carrière de gymnaste internationale, façon Nadia Comăneci une génération plus tard, avant d’y renoncer quand on lui fait miroiter un traitement hormonal expérimental. Lena ne sera pas cobaye. Elle fait des études et tombe amoureuse d’un personnage insaisissable, l’écrivain Milo Dragu, qui lui fait découvrir la bohème littéraire de Bucarest. C’est dans cette partie que La Fille de l’ennemi du peuple décolle définitivement. Le ton toujours juste rappelle celui des récits d’Anne Wiazemsky et l’ambiance nous replonge dans certains romans de Milan Kundera, ceux où il racontait la Tchécoslovaquie communiste de sa jeunesse, quand il fallait naviguer prudemment entre agents doubles et vrais-faux amis. Après un mariage rocambolesque avec ce Milo Dragu, Lena rencontrera un Français, l’épousera, et s’envolera pour Paris en 1967, où une nouvelle vie l’attend…Si ce livre mélancolique peut se lire pour le charme indéniable qu’il dégage, il a aussi le mérite de nous rappeler la cécité coupable d’une certaine gauche française. Lélia Dimitriu raconte ainsi son “effarement” face aux manifestations vues de ses yeux à Paris à la fin des années 1960, défilés lyriques mêlant maoïstes, trotskistes et castristes : “Mais que pouvais-je contre leur enthousiasme, leur euphorie, leurs certitudes ? Le pire, pour moi, c’était en dehors de la rue, dans les appartements, les cafés, les salles de professeurs où je travaillais, quand je me risquais à leur expliquer, à ces cocos à peine sortis du nid, ce qu’était le communisme en pays communiste, je passais pour une réactionnaire, une idiote, une espionne américaine…” On pense ici à Simon Leys : dès 1971, dans Les Habits neufs du président Mao, il décrivait la réalité de la Chine et s’attirait les foudres d’intellectuels maoïstes n’y ayant jamais mis les pieds. Aucun doute que le grand Leys aurait retrouvé dans La Fille de l’ennemi du peuple cette lucidité qui lui était si chère.La Fille de l’ennemi du peuple, par Lélia Dimitriu. Grasset, 407 p., 23 €.



Source link : https://www.lexpress.fr/culture/livre/la-fille-de-lennemi-du-peuple-lelia-dimitriu-un-premier-roman-a-84-ans-PHGZPN74A5GJXHJ4IMNFPZG5HY/

Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld

Publish date : 2023-11-12 10:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags :L’Express

..........................%%%...*...........................................$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$--------------------.....