Depuis le 7 octobre, la guerre en Ukraine est oubliée. La sauvagerie innommable du pogrom commis par le Hamas et la violence de la riposte israélienne à Gaza ont placé le monde dans un état de sidération, et relativisé l’attention portée par les Européens aux lignes de front sur leur continent. Au moment où les opinions publiques se détournent de l’Ukraine, où son chef d’état-major Valeri Zaloujny reconnaît “l’impasse” dans laquelle se trouve la contre-offensive ukrainienne, faute d’un soutien occidental adéquat et suffisant, Ursula von der Leyen a opportunément fait le voyage à Kiev. La présidente de la Commission européenne est venue en personne apporter au président Volodymyr Zelensky la seule bonne nouvelle de ces dernières semaines : la recommandation par la Commission de la procédure d’admission de l’Ukraine à l’UE, qui sera examinée par les chefs d’Etat et de gouvernement en décembre.Certes, Vladimir Poutine a déjà perdu les combats qui justifiaient initialement son invasion de l’Ukraine : l’Otan, dont il prétendait contre toute vraisemblance qu’elle menaçait la Russie, s’est agrandie à la Suède et à la Finlande. L’Ukraine, à qui il ne reconnaissait aucune identité nationale autre que russe et dont il ne supportait pas l’attirance vers le camp occidental, est désormais plus européenne et plus hostile à la Russie que jamais. Quelle que soit l’issue des combats et l’état du pays qu’il tente de mettre à sa botte et d’écraser depuis un an et demi, il ne remportera pas ces batailles. Mais il est en passe d’en gagner une autre, à la faveur du Moyen-Orient qui resurgit à point nommé pour lui, comme un cadeau inespéré.L’argument du “deux poids, deux mesures”La guerre en Ukraine et la celle en Israël sont les deux volets d’un même conflit, deux fronts qui se nourrissent l’un l’autre. D’abord parce que le second détourne du premier l’attention des opinions publiques et met en risque le soutien financier et militaire de l’Occident vis-à-vis de l’Ukraine, comme en témoigne la bataille budgétaire en cours au Congrès américain. Ensuite parce que les bombardements israéliens sur Gaza, bien qu’en réplique au pogrom du 7 octobre, offrent à Poutine le meilleur des (faux) prétextes pour justifier ses crimes de guerre et son invasion d’un Etat indépendant. Il peut activer à loisir l’argument toujours efficace du “deux poids, deux mesures” pour renvoyer l’Occident à ses contradictions politiques et morales.Enfin et surtout, parce que Vladimir Poutine poursuit deux objectifs parallèles, qui n’ont jamais été autant à sa portée grâce à ce deuxième front moyen-oriental. Outre la conquête de l’Ukraine, pièce maîtresse de la reconstitution du grand empire à laquelle il aspire, le président russe a pour but, avec son homologue chinois Xi Jinping, la mise en place d’un “nouvel ordre mondial” visant à diminuer l’influence occidentale dans le monde, au profit des empires russes et chinois et d’un Sud global en révolte contre le système international né de la Seconde Guerre mondiale. En ne condamnant pas le Hamas, dont il avait reçu les dirigeants à Moscou, Poutine a ainsi opéré une volte-face vis-à-vis de son vieil allié Benyamin Netanyahou, avec lequel il partageait une conception similaire de la démocratie illibérale et du suprématisme blanc (judéo)-chrétien. L’opportuniste a saisi l’occasion trop belle qui s’offrait à lui de devenir, en prenant le parti des Palestiniens, le porte-drapeau de la famille anti-occidentale.La nature de la riposte israélienne lui facilite la tâche. Les dirigeants occidentaux sortent affaiblis de leur soutien à une opération militaire qui, au nom de la légitime défense, aboutit à une catastrophe humanitaire pour des milliers de Palestiniens et soulève l’indignation dans le monde. En Europe, la guerre au Moyen-Orient a des répercussions directes, tant la question palestinienne y est passionnelle et catalyse les divisions. Les mêmes Européens, qui ont montré une unité exemplaire dans leur solidarité avec Kiev, se décrédibilisent maintenant par leur incapacité à afficher une position commune claire sur Israël et Gaza.Un homme s’amuse de leurs déchirements et de l’interaction des deux guerres : Vladimir Poutine. Il patiente. Il sait que l’élection américaine de 2024 sera le moment de la vraie question : en cas d’élection d’un président républicain isolationniste, quelle serait la capacité de l’Europe à prendre le relais américain ? Donnera-t-elle à l’Ukraine les moyens de triompher de ce dictateur impérialiste qui ne s’arrêtera pas au Donbass ?*Marion Van Renterghem est grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et auteure de “Le piège de Nord Stream” (Les Arènes)
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Author : Marion Van Renterghem
Publish date : 2023-11-12 16:30:00
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