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Marche contre l’antisémitisme : Mélenchon et Le Pen, la grande inversion historique

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Un voyageur imprudent en provenance du début du XXe siècle et catapulté à Paris ce dimanche 12 novembre serait sans doute bien étonné. Il pourrait y assister à une “grande marche civique” contre l’antisémitisme lancée par les présidents respectifs de l’Assemblée nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher. Depuis l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas en Israël le 7 octobre dernier, les actes antisémites ont en effet explosé. Mais dans cette manifestation, notre voyageur peinerait à s’y retrouver.>> Inscrivez-vous à Expression, la lettre d’information des idées de L’Express en cliquant ici.En effet, il découvrirait, parmi ses participants les plus déterminés, les représentants d’un parti nationaliste cofondé entre autres par Pierre Bousquet, un ancien Waffen-SS, et Jean-Marie Le Pen, un homme condamné plusieurs fois pour propos antisémites, le RN, que sa fille Marine a repris en main avec sucès. Il remarquerait aussi une toute jeune formation, Reconquête, dont le fondateur Eric Zemmour, bien que juif, a pu estimer, à propos de l’innocence du capitaine Dreyfus, que “ce n’est pas évident”. Il apercevrait sans doute, séparés des deux partis parias par un “cordon sanitaire”, LREM, le PS, EELV et le PCF. Et il chercherait en vain les élus du premier parti de gauche, LFI, lequel, depuis plus d’un mois, refuse de désigner le Hamas comme une organisation terroriste, sous-entend qu’Israël, après tout, l’a bien cherché, et sanctionne une députée trop… insoumise tout en laissant ses collègues défendre les “résistants” du Hamas. S’il est difficile de statuer définitivement sur l’antisémitisme de LFI ou de sa figure tutélaire Jean-Luc Mélenchon, tant ils privilégient, habilement, les détours et les sous-entendus, il est en revanche manifeste que cette gauche n’est pas philosémite.Retour en 1906. Le paysage politique est profondément transformé par l’affaire Dreyfus, qui s’achève après douze ans de tumultes. Les républicains sortent vainqueurs de leur affrontement avec les nationalistes et les réactionnaires. L’espoir d’un retour à l’ordre ancien est douché. L’Affaire est, selon les termes de l’historien Michel Winock, un “point de rupture dans (l’) histoire des relations entre la gauche et les Juifs” puisqu’elle “va avoir pour effet de couper net aux relations semi-complices entre la gauche et les antisémites”. A ses débuts, en effet, la gauche républicaine au pouvoir et les socialistes se sont montrés d’une grande prudence. En l’espèce, a pu noter Alain Finkielkraut, “les socialistes ne se sentent pas concernés par la bataille qui se profile. Même quand ils ne vont pas jusqu’à proclamer après Marx que l’argent est le véritable dieu d’Israël et qu’avec le capitalisme le monde est devenu juif, ils rechignent à défendre un officier bourgeois. Ce serait distraire leur énergie de la seule guerre qui vaille car elle a pour enjeu l’humanité même de l’homme : la lutte des classes.”Un humanisme “devenu fou”Le sursaut s’opère après les manifestations antisémites de janvier et février 1898 et la révélation, en août, du faux commis par le commandant Henry. Jaurès devient dreyfusard, tardivement mais fermement. Le Parti socialiste français des jaurésiens et le Parti socialiste de France de Guesde et Vaillant naissent en 1902 et fusionnent en 1905 dans la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Autre conséquence, la naissance en 1901 du Parti républicain, radical et radical-socialiste, premier parti politique moderne, et la création de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen. La gauche, notamment intellectuelle, se fait humaniste, face à une droite nationaliste qui continuera de bénéficier d’une large tribune et se maintiendra jusqu’en 1945. Le conflit est loin d’être manichéen puisqu’il y eut des dreyfusards de droite et des antidreyfusards de gauche. Reste qu’il se solde par la victoire de la République sur ses ennemis. Plus encore, l’Affaire signe la victoire de l’Etat de droit sur la raison d’Etat.Dans notre présente situation, les termes semblent inversés. Comme le suggèrent de récents sondages, ce sont les partis de la droite de la droite qui bénéficient des circonstances, tant leur posture paraît plus républicaine que celle du gouvernement, timide et contradictoire, ou de la gauche de la gauche. Et c’est celle-ci qui continue de se détourner de l’humanisme (on notera au passage que la situation a empiré depuis 2015, alors qu’elle était un peu plus présente aux manifestations des 10 et 11 janvier 2015) et qui, tout en consolidant sa base et en diffusant ses idées grâce à ses relais médiatiques, universitaires et intellectuels, détruit ses chances de victoire dans les urnes.Or l’aspect le plus saisissant de ce renversement est qu’il témoigne d’un humanisme “devenu fou”, pour reprendre une formule de l’écrivain anglais G.K. Chesterton [1874-1936]. C’est au nom de la défense des “opprimés”, en l’espèce des musulmans et des Palestiniens, que LFI se trouve incapable de condamner l’antisémitisme, quand elle ne flirte pas avec un antisionisme aux relents antijuifs. C’est au nom des droits de l’homme qu’elle ne parvient pas à accorder les mêmes égards aux juifs qu’aux Arabes. C’est au nom des “faibles” qu’elle ferme les yeux ou même justifie qu’on torture les “forts”. Ligotée par son anticapitalisme, son autoritarisme et ses penchants complotistes, elle se montre incapable de reconnaître que les victimes qu’elle défend puissent être des bourreaux, et que les dominants qu’elle accuse puissent être des victimes. Par une ironie comme l’Histoire seule sait en produire, elle semble revenue au point où en était le socialisme avant l’affaire Dreyfus.Vers un affrontement entre Etat de droit et raison d’EtatIl ne faudrait pas pour autant en conclure que la droite de la droite va sauver la République. Comme les socialistes en leur temps, les frontistes ont été antisémites et certains le sont encore. Les cadres du RN version Marine Le Pen, qui a fait expulser son père du parti en 2015, semblent avoir rompu avec l’antisémitisme, et leurs électeurs, s’ils cultivent plus que la moyenne des Français des tropes antijuifs, n’ont pas grand-chose à voir avec les antisémites violents de la IIIe République. Mais le risque que fait poser la droite de la droite sur notre démocratie est ailleurs. Dans l’affrontement entre Etat de droit et raison d’Etat, le RN et Reconquête signalent sans ambiguïté qu’ils préfèrent prendre, en toutes circonstances, le parti de la seconde. Notre Etat de droit est largement perfectible : il est si large qu’il peut entrer en contradiction avec la protection des intérêts de la nation. Mais la droite de la droite ne prétend pas durcir les exceptions à l’Etat de droit dans les cas malheureusement nécessaires, elle en conteste, comme les antidreyfusards en leur temps, le principe même.Pour le dire autrement, cette sorte d’affaire Dreyfus à front renversé nous donne à voir, quand elle ne nous demande pas de choisir entre eux, plusieurs degrés de ce que l’on aurait appelé autrefois de l’antidreyfusisme. La démocratie libérale n’en sortira pas grandie mais sonnée.



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Author : Laetitia Strauch-Bonart

Publish date : 2023-11-12 11:30:00

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