La paix dans le conflit israélo-palestinien était déjà difficile à atteindre avant l’attaque barbare du Hamas du 7 octobre et la réponse militaire d’Israël. Aujourd’hui, elle semble presque impossible. Mais son ressort est plus clair que jamais : en fin de compte, une négociation visant à établir un Etat d’Israël sûr à côté d’un Etat palestinien sûr.Quels que soient la complexité et les défis à relever pour réaliser cet avenir, une vérité devrait être évidente pour toutes les personnes décentes : tuer 1 400 personnes et en kidnapper plus de 200, dont des dizaines de civils, est une faute grave. L’attaque du Hamas ressemblait à un raid mongol médiéval destiné à massacrer et récolter des trophées humains – sauf qu’elle a été filmée en temps réel et publiée sur les médias sociaux. Pourtant, depuis le 7 octobre, des universitaires, des étudiants, des artistes et des militants occidentaux ont nié, excusé, voire célébré les meurtres commis par une secte terroriste qui proclame un programme génocidaire antijuif. Certains l’ont fait au grand jour, d’autres se cachent derrière les masques de l’humanitarisme et de la justice, et d’autres encore utilisent des messages codés, le plus célèbre étant “de la rivière à la mer, la Palestine sera libre”, une phrase effrayante qui approuve implicitement le meurtre ou la déportation des 9 millions d’Israéliens. Il semble étrange qu’il faille le répéter : tuer des civils, des personnes âgées, même des bébés, c’est toujours mal. Mais aujourd’hui, c’est nécessaire.Comment des personnes éduquées peuvent-elles justifier une telle insensibilité et embrasser une telle inhumanité ? Bien des considérations entrent ici en jeu, mais la justification du meurtre de civils israéliens repose en grande partie sur une idéologie à la mode, le “décolonialisme”, qui, prise au pied de la lettre, exclut la négociation de deux Etats – la seule véritable solution à ce siècle de conflits – et qui est aussi dangereuse que fausse.Négationnistes du 7 octobreJe me suis toujours interrogé sur les intellectuels de gauche qui ont soutenu Staline, et sur les aristocrates et les militants pacifistes qui ont excusé Hitler. Aujourd’hui, les apologistes du Hamas, avec leurs dénonciations robotiques du “colonialisme”, appartiennent à la même tradition, mais en pire : ils ont de nombreuses preuves du massacre de personnes âgées, d’adolescents et d’enfants, mais contrairement à ces imbéciles des années 1930, qui se sont lentement rendus à l’évidence, ils n’ont pas changé leur point de vue d’un iota. Le manque de décence et de respect pour la vie humaine est stupéfiant : presque immédiatement après l’attaque du Hamas, une légion de personnes a émergé pour minimiser le massacre, ou nier que de véritables atrocités avaient même eu lieu, comme si le Hamas avait simplement mené une opération militaire traditionnelle contre des soldats. Les négationnistes du 7 octobre, tout comme les négationnistes de la Shoah, évoluent avec une logique particulièrement sombre.Le narratif de la décolonisation a déshumanisé les Israéliens au point que des personnes, par ailleurs rationnelles, excusent, nient ou soutiennent la barbarie. Il affirme qu’Israël est une force “impérialiste-colonialiste”, que les Israéliens sont des “colons-colonialistes” et que les Palestiniens ont le droit d’éliminer leurs oppresseurs (le 7 octobre, nous avons tous appris ce que cela signifiait). Ce narratif considère les Israéliens comme des “Blancs” et les Palestiniens comme des “personnes de couleur”.Cette idéologie, puissante dans les universités mais qui aurait dû être remise en question depuis longtemps, est un mélange toxique et historiquement absurde de théorie marxiste, de propagande soviétique et d’antisémitisme traditionnel. Mais son moteur actuel est la nouvelle analyse identitaire, qui considère l’histoire à travers un concept de race dérivé de l’expérience américaine. L’argument est qu’il serait presque impossible pour les “opprimés” d’être eux-mêmes racistes, tout comme il serait impossible pour un “oppresseur” d’être le sujet du racisme. Les juifs ne peuvent donc pas être victimes de racisme, car ils sont considérés comme “blancs” et “privilégiés” ; en revanche, ils peuvent exploiter d’autres personnes moins privilégiées, et ils le font, en Occident à travers le “capitalisme d’exploitation” et au Moyen-Orient via le “colonialisme”.Cette analyse gauchiste, avec sa hiérarchie d’identités opprimées et son jargon intimidant, indice de son manque de rigueur factuelle, a remplacé dans de nombreux milieux universitaires et médiatiques les valeurs universalistes traditionnelles de la gauche, y compris les normes internationalistes de décence et de respect de la vie humaine comme de la sécurité des civils innocents. Lorsque cette analyse maladroite se heurte aux réalités du Moyen-Orient, elle perd tout contact avec les faits historiques.Le Hamas, étrange compagnie pour des gauchistesEn effet, il faut faire preuve d’un étonnant délire anhistorique pour ignorer le bilan du racisme antijuif au cours des deux millénaires qui se sont écoulés depuis la destruction du Temple de Jérusalem en l’an 70. La journée sanglante du 7 octobre est à ranger aux côtés des massacres médiévaux de juifs dans les sociétés chrétiennes et islamiques, des massacres de Khmelnytskyï dans l’Ukraine des années 1640, des pogroms russes de 1881 à 1920, et de la Shoah. Désormais, certains, comme l’actrice Whoopi Goldberg, vont même jusqu’à affirmer que la Shoah n’a “rien à voir avec la race”, un point de vue aussi ignare que répugnant.Contrairement au discours décolonial, la bande de Gaza n’est pas techniquement occupée par Israël, pas au sens habituel du terme, c’est-à-dire avec des soldats sur le terrain. Israël a évacué le territoire en 2005, en supprimant ses colonies. En 2007, le Hamas a pris le pouvoir, tuant ses rivaux du Fatah au cours d’une courte guerre civile. Il a mis en place un système à parti unique qui écrase l’opposition palestinienne sur son territoire, interdit les relations entre personnes de même sexe, réprime les femmes et prône ouvertement le meurtre de tous les juifs.Une bien étrange compagnie pour des gauchistes.Bien sûr, certains manifestants qui scandent “de la rivière à la mer” n’ont peut-être aucune idée de ce qu’ils réclament ; ils sont ignorants et pensent qu’ils soutiennent simplement la “liberté”. D’autres nient être pro-Hamas, insistant sur le fait qu’ils sont simplement pro-Palestiniens, mais ressentent le besoin de présenter le massacre du Hamas comme une réponse compréhensible à l’oppression “coloniale” israélo-juive. D’autres encore sont des négationnistes malveillants qui recherchent la mort de civils israéliens.La toxicité de cette idéologie est désormais évidente. Des intellectuels autrefois respectables ont débattu sans vergogne de la question de savoir si 40 bébés avaient été démembrés ou si un plus petit nombre d’entre eux avaient simplement été égorgés ou brûlés vifs. Aujourd’hui, des étudiants arrachent régulièrement des affiches d’enfants pris en otage par le Hamas. Il est difficile de comprendre une telle inhumanité sans cœur. Notre définition du crime de haine s’élargit constamment, mais si ce qui s’est passé le 7 octobre n’est pas d’un crime de haine, qu’est-ce que c’est ? Que se passe-t-il dans nos sociétés ? Quelque chose a mal tourné.Accusations de “génocide”Dans une inversion encore plus raciste, les juifs sont maintenant accusés des crimes mêmes qu’ils ont subis. D’où la revendication constante d’un “génocide”, alors qu’aucun génocide n’a eu lieu ou n’était prévu. Israël, avec l’Egypte, a imposé un blocus à Gaza depuis que le Hamas en a pris le contrôle, et a périodiquement bombardé le territoire en représailles aux attaques régulières à la roquette. Après que le Hamas et ses alliés ont tiré plus de 4 000 roquettes sur Israël, la guerre de Gaza de 2014 a fait plus de 2 000 morts palestiniens. Selon le Hamas, plus de 7 000 Palestiniens, dont de nombreux enfants, sont morts à ce jour dans le conflit actuel. C’est une tragédie, mais ce n’est pas un génocide, un mot qui a été tellement dévalorisé par son abus métaphorique qu’il est devenu vide de sens.Il faut préciser que la domination israélienne sur les territoires occupés de Cisjordanie est différente et, de mon point de vue, inacceptable, insoutenable et injuste. Les Palestiniens de Cisjordanie subissent une occupation dure, injuste et oppressive depuis 1967. Les colons sous le gouvernement honteux de Benyamin Netanyahou ont harcelé et persécuté les Palestiniens de Cisjordanie : 146 Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est ont été tués en 2022, au moins 153 cette année avant l’attaque du Hamas, et plus de 90 depuis. Encore une fois : c’est épouvantable et inacceptable, mais ce n’est pas un génocide.Bien qu’il y ait un fort instinct pour faire de cette situation un “génocide” digne de la Shoah, ce n’est pas le cas : les Palestiniens souffrent de beaucoup de choses, notamment de l’occupation militaire israélienne, de l’intimidation et de la violence des colons, de la corruption des dirigeants politiques palestiniens, de la négligence insensible de plus de 20 Etats arabes, du rejet par Yasser Arafat des plans de compromis qui auraient permis la création d’un Etat palestinien indépendant, et ainsi de suite. Rien de tout cela ne constitue un génocide, ou quelque chose s’en approchant. L’objectif israélien à Gaza – pour des raisons pratiques, entre autres – est de minimiser le nombre de civils palestiniens tués. Le Hamas et les organisations qui lui ressemblent ont clairement indiqué au fil des ans qu’il était dans leur intérêt stratégique de maximiser le nombre de victimes palestiniennes.Mais mettons tout cela de côté et réfléchissons : la population juive mondiale est toujours inférieure à ce qu’elle était en 1939, en raison des dégâts infligés par les nazis. La population palestinienne a augmenté et continue d’augmenter. La diminution démographique est un marqueur évident de génocide. Au total, environ 120 000 Arabes et juifs ont été tués dans le conflit entre la Palestine et Israël depuis 1860. En revanche, au moins 500 000 personnes, principalement des civils, ont été tuées dans la guerre civile syrienne depuis son début en 2011.La création d’Israël n’a rien d’exceptionnelSi l’idéologie du décolonialisme, enseignée dans nos universités comme une théorie de l’histoire et criée dans nos rues comme une évidence, méconnaît gravement la réalité actuelle, reflète-t-elle l’histoire d’Israël comme elle le prétend ? Non, elle ne décrit avec précision ni la fondation d’Israël ni la tragédie des Palestiniens.Selon les décoloniaux, Israël est et a toujours été un Etat étrange et illégitime, parce qu’il a été encouragé par l’empire britannique et parce que certains de ses fondateurs étaient des juifs nés en Europe. Dans cette logique, Israël est entaché par la promesse non tenue de la Grande-Bretagne impériale d’accorder l’indépendance aux Arabes et par sa promesse tenue de soutenir un “foyer national pour le peuple juif”, selon les termes de la déclaration Balfour de 1917. Mais la prétendue promesse faite aux Arabes était en réalité un accord ambigu conclu en 1915 avec Hussein, chérif de La Mecque, qui voulait que sa famille hachémite gouverne toute la région. Il n’a pas obtenu ce nouvel empire en partie parce que sa famille bénéficiait d’un soutien régional bien moindre que ce qu’il prétendait. Néanmoins, la Grande-Bretagne leur a finalement livré trois royaumes – l’Irak, la Jordanie et le Hedjaz.Les puissances impériales – Grande-Bretagne et France – ont fait bien des promesses à différents peuples, avant de faire passer leurs propres intérêts en premier. Les promesses faites aux juifs et aux Arabes pendant la Première Guerre mondiale étaient typiques de cela. Par la suite, des promesses similaires ont été faites aux Kurdes, aux Arméniens et à d’autres, mais aucune ne s’est concrétisée. Par ailleurs, le narratif selon lequel la Grande-Bretagne a trahi la promesse arabe et soutenu la promesse juive est incomplet. Dans les années 1930, les Britanniques se sont retournés contre le sionisme et, de 1937 à 1939, ils se sont orientés vers un Etat arabe sans aucun Etat juif. C’est une révolte juive armée, de 1945 à 1948, contre la Grande-Bretagne impériale, qui a changé la donne.Israël existe grâce à cette révolte, ainsi qu’au droit international et à la coopération, dans lesquels les gauchistes croyaient autrefois. L’idée d’une “patrie” juive a été proposée dans trois déclarations de la Grande-Bretagne (signée par Balfour), de la France et des Etats-Unis, puis promulguée dans une résolution de juillet 1922 de la Société des nations qui a créé les “mandats” britanniques sur la Palestine et l’Irak, correspondant aux “mandats” français sur la Syrie et le Liban. En 1947, les Nations unies ont planifié la partition du mandat britannique de Palestine en deux Etats, arabe et juif.La création de tels Etats à partir de ces mandats n’est pas exceptionnelle. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France a accordé l’indépendance à la Syrie et au Liban, des Etats-nations nouvellement conçus. La Grande-Bretagne a créé l’Irak et la Jordanie de la même manière. Les puissances impériales ont ainsi dessiné la plupart des pays de la région, à l’exception de l’Egypte.La promesse impériale de patries séparées pour différentes ethnies ou sectes religieuses n’était pas non plus unique. Les Français avaient promis des Etats indépendants aux Druzes, aux Alaouites, aux Sunnites et aux Maronites, mais ils les ont finalement regroupés en Syrie et au Liban. Tous ces Etats avaient été des “vilayets” et des “sandjaks” (provinces) de l’empire turc ottoman, dirigé depuis Constantinople, de 1517 à 1918.Dans le narratif décolonial, le concept de “partition” est considéré comme un mauvais tour impérial. Mais il était tout à fait normal dans la création des Etats-nations du XXe siècle, qui étaient typiquement façonnés à partir d’empires déchus. Et malheureusement, la création d’Etats-nations a souvent été marquée par des échanges de populations, d’énormes migrations de réfugiés, des violences ethniques et des guerres à grande échelle. Pensons à la guerre gréco-turque de 1921-1922 ou à la partition de l’Inde en 1947. En ce sens, le conflit israélo-palestinien est typique.Les juifs sont indigènes en Terre sainteAu cœur de l’idéologie décoloniale, on retrouve l’idée que tous les Israéliens, historiques et actuels, seraient des “colons”. C’est tout simplement faux. La plupart des Israéliens descendent de personnes qui ont émigré en Terre sainte entre 1881 et 1949. Ils n’étaient pas complètement nouveaux dans la région. Le peuple juif a régné sur les royaumes de Judée et a prié dans le temple de Jérusalem pendant mille ans, puis il y a été présent en plus petit nombre pendant les deux mille ans qui ont suivi. En d’autres termes, les juifs sont indigènes en Terre sainte, et si l’on croit au retour des exilés dans leur patrie, alors le retour des juifs est exactement cela. Même ceux qui nient cette histoire ou la considèrent comme sans rapport avec les temps modernes doivent reconnaître qu’Israël est aujourd’hui le foyer et le seul foyer de 9 millions d’Israéliens qui y vivent depuis quatre, cinq ou six générations.La plupart des immigrés au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, par exemple, sont considérés comme britanniques ou américains au cours de leur vie. Dans ces deux pays, la politique regorge de dirigeants éminents – Suella Braverman et David Lammy, Kamala Harris et Nikki Haley – dont les parents ou les grands-parents ont émigré d’Inde, d’Afrique de l’Ouest ou d’Amérique du Sud. Personne ne les qualifierait de “colons”. Pourtant, les familles israéliennes résidant en Israël depuis un siècle sont désignées comme des “colons-colonisateurs” bons pour le meurtre et la mutilation. Et contrairement à ce qu’affirment les apologistes du Hamas, l’appartenance ethnique des auteurs ou des victimes ne justifie jamais les atrocités. Elles seraient atroces n’importe où, commises par n’importe qui, quelle que soit son histoire. Il est consternant de constater que ce sont souvent des “antiracistes” autoproclamés qui prônent aujourd’hui exactement ce meurtre selon des critères ethniques.La gauche estime que les migrants qui fuient les persécutions doivent être accueillis et autorisés à construire leur vie ailleurs. Presque tous les ancêtres des Israéliens d’aujourd’hui ont échappé à la persécution.Si ce narratif des “colons-colonisateurs” est faux, il est vrai que le conflit est le résultat d’une rivalité brutale et d’une bataille pour la terre entre deux groupes ethniques, qui ont tous deux des revendications légitimes pour y vivre. Lorsque les juifs se sont installés en plus grand nombre dans la région, les Arabes palestiniens, qui vivaient là depuis des siècles et constituaient la nette majorité, se sont sentis menacés par ces immigrants. La revendication palestinienne sur cette terre n’est pas remise en question, pas plus que l’authenticité de leur histoire ou leur revendication légitime d’un Etat. Mais au départ, les migrants juifs n’aspiraient pas à un Etat, simplement à vivre et à cultiver dans cette vague “patrie”. En 1918, le leader sioniste Chaim Weizmann a rencontré le prince hachémite Faisal Bin Hussein pour discuter des juifs vivant sous son autorité en tant que roi de la grande Syrie. Le conflit actuel n’était pas inévitable. Il l’est devenu lorsque les communautés ont refusé de partager et de coexister, puis ont eu recours aux armes.Plus absurde encore que l’étiquette de “colonisateur”, on retrouve le stéréotype de la “blanchité”, au cœur de l’idéologie décoloniale. Là encore, c’est tout simplement faux. Israël compte une importante communauté de juifs éthiopiens et près de la moitié des Israéliens, soit environ 5 millions de personnes, sont des Mizrahim, c’est-à-dire des descendants de juifs originaires des pays arabes et perses, des peuples du Moyen-Orient. Ce ne sont ni des “colons”, ni des “colonialistes”, ni des Européens “blancs”, mais des habitants de Bagdad, du Caire et de Beyrouth depuis des siècles, voire des millénaires, qui ont été chassés après 1948.Le passé est beaucoup plus compliquéUn mot sur cette année 1948, celle de la guerre d’indépendance d’Israël et de la Nakba (“catastrophe”) palestinienne, qui, dans le discours décolonial, s’apparente à un nettoyage ethnique. Il y a eu une violence ethnique intense des deux côtés lorsque les Etats arabes ont envahi le territoire et, avec les milices palestiniennes, ont tenté d’empêcher la création d’un Etat juif. Ils ont échoué ; ce qu’ils ont finalement empêché, c’est la création d’un Etat palestinien, comme le voulaient les Nations unies. La partie arabe a cherché à tuer ou à expulser l’ensemble de la communauté juive, précisément de la manière meurtrière que celle que nous avons vue le 7 octobre. Et dans les zones conquises par les Arabes, comme Jérusalem-Est, tous les juifs ont été expulsés.Au cours de cette guerre brutale, les Israéliens ont effectivement chassé des Palestiniens de leurs maisons ; d’autres ont fui les combats ; d’autres encore sont restés et sont aujourd’hui des Arabes israéliens qui ont le droit de vote dans la démocratie israélienne (environ 25 % des Israéliens actuels sont des Arabes et des Druzes). Environ 700 000 Palestiniens ont perdu leur maison. C’est un chiffre énorme et une tragédie historique. A partir de 1948, quelque 900 000 Juifs ont perdu leur maison dans les pays islamiques et la plupart d’entre eux se sont installés en Israël. Ces événements ne sont pas directement comparables, et je ne veux pas proposer une compétition entre les tragédies ou une hiérarchie des victimes. Mais le passé est beaucoup plus compliqué que ce que les décoloniaux voudraient nous faire croire.De cet imbroglio est né un Etat, Israël, et un autre, la Palestine. Sa formation est attendue depuis longtemps.Il est étrange qu’un petit Etat du Moyen-Orient attire l’attention de l’Occident avec tant de passion que des étudiants courent dans les universités californiennes en criant “libérez la Palestine”. Mais la Terre sainte occupe une place exceptionnelle dans l’histoire de l’Occident. Elle est ancrée dans notre conscience culturelle du fait des Bibles hébraïque et chrétienne, de l’histoire du judaïsme, de la fondation du christianisme, du Coran et de la création de l’islam, ainsi que des croisades qui, tous, ont permis aux Occidentaux de se sentir impliqués dans son destin. Le Premier ministre britannique David Lloyd George, véritable architecte de la déclaration Balfour, avait coutume de dire que les noms des lieux en Palestine “m’étaient plus familiers que ceux du front occidental”. Cette affinité particulière avec la Terre sainte a d’abord joué en faveur du retour des juifs, mais récemment, elle joue en défaveur d’Israël. Des Occidentaux désireux de dénoncer les crimes de l’impérialisme euro-américain, mais incapables de proposer un remède, se sont focalisés, souvent sans réelle connaissance de l’histoire, sur Israël et la Palestine comme incarnant l’exemple le plus frappant de l’injustice impérialiste dans le monde.Le décolonialisme, idéologie à la modeLe monde ouvert des démocraties libérales – ou l’Occident, comme on l’appelait autrefois – est aujourd’hui polarisé par des querelles culturelles insignifiantes mais vicieuses sur l’identité et le genre, comme par la culpabilité par rapport à ses succès et ses péchés historiques, une culpabilité qui est bizarrement expiée en montrant de la sympathie, voire de l’attirance, pour les ennemis de nos valeurs démocratiques. Dans ce scénario, les démocraties occidentales ont toujours le mauvais rôle, étant hypocrites et néo-impérialistes, tandis que les autocraties étrangères ou les sectes terroristes, telles que le Hamas, sont des ennemis de l’impérialisme et sont donc des forces sincères du bien. Dans ce scénario aussi, Israël est une métaphore vivante et une pénitence pour les péchés de l’Occident. Il en résulte qu’aucune nation en guerre, y compris les Etats-Unis, n’est aussi scrutée qu’Israël.Mais, bien plus qu’une affaire de doubles standards, ce narratif décolonial déshumanise une nation entière et excuse, voire célèbre, le meurtre de civils innocents. Comme l’ont montré ces dernières semaines, le décolonialisme est désormais la version autorisée de l’histoire dans nombre de nos écoles et institutions prétendument humanitaires, ainsi que parmi les artistes et les intellectuels. Il est présenté comme relevant de l’histoire, alors qu’il s’agit en réalité de caricatures, avec son vaste jargon – signe d’une idéologie coercitive, comme le disait Foucault – et sa vision manichéenne de méchants et de victimes. Il ne tient que parce qu’une grande partie de l’histoire réelle y est supprimée, tandis que toutes les démocraties occidentales sont présentées comme étant des acteurs de mauvaise foi. Bien qu’il n’ait pas la sophistication de la dialectique marxiste, sa certitude bien-pensante impose un cadre moral à une situation complexe et insoluble, ce qui peut en consoler certains. Chaque fois que vous lisez un livre ou un article et qu’il utilise l’expression “colon-colonialiste”, vous avez affaire à une polémique idéologique, pas à l’histoire.En fin de compte, c’est un cul-de-sac moral et politique, qui conduit au massacre et à l’impasse. Ce qui n’a rien de surprenant, car il est basé sur une histoire factice : “Un passé inventé ne peut jamais être utilisé, a écrit James Baldwin. Il se fissure et s’effrite sous la pression de la vie, comme de l’argile.”Même lorsque le mot “décolonisation” n’apparaît pas, cette idéologie est omniprésente dans la couverture médiatique, partisane, du conflit, et imprègne les récentes condamnations d’Israël. La joie des étudiants, en réponse aux massacres, à Harvard, à l’université de Virginie et dans d’autres universités, le soutien au Hamas parmi les artistes et les acteurs, ainsi que les équivoques sournoises des dirigeants de certaines des institutions de recherche les plus célèbres d’Amérique, ont montré un manque choquant de moralité, d’humanité et de décence élémentaire.La lettre ouverte signée par des milliers d’artistes, dont des acteurs britanniques célèbres tels Tilda Swinton et Steve Coogan, en est un exemple répugnant. Elle mettait en garde contre les crimes de guerre imminents d’Israël et ignorait totalement le casus belli : le massacre de 1 400 personnes.La journaliste Deborah Ross a écrit, dans un article percutant du Times, qu’elle était “complètement, complètement abasourdie” par le fait que cette lettre ne contienne “aucune mention du Hamas” ni de “l’enlèvement et du meurtre de bébés, d’enfants, de grands-parents, de jeunes gens qui dansaient pacifiquement lors d’un festival pour la paix. L’absence de compassion et d’humanité élémentaires, voilà ce qui est si incroyablement choquant. Est-ce si difficile ? De soutenir et de compatir avec les citoyens palestiniens… tout en reconnaissant l’horreur indiscutable des attaques du Hamas ?”Ne pas laisser la “décolonisation” coloniser nos institutionsLe conflit israélo-palestinien est désespérément difficile à résoudre, et la rhétorique de la décolonisation rend encore plus improbable le compromis négocié qui s’avère la seule issue possible.Depuis sa fondation en 1987, le Hamas a utilisé le meurtre de civils pour gâcher toute chance d’une solution à deux Etats. En 1993, ses attentats suicides contre des civils israéliens visaient à détruire les accords d’Oslo, qui reconnaissaient Israël et la Palestine. Le mois dernier, les terroristes du Hamas ont déclenché leur massacre en partie pour saper une paix avec l’Arabie saoudite qui aurait amélioré la politique et le niveau de vie des Palestiniens et revigoré le rival sclérosé du Hamas, l’Autorité palestinienne. Ils ont, en partie, servi l’Iran pour empêcher ce renforcement de l’Arabie saoudite, et leurs atrocités étaient bien sûr un piège spectaculaire destiné à provoquer une réaction israélienne excessive. Leur souhait est très probablement en train de se réaliser, mais pour ce faire, ils exploitent cyniquement des Palestiniens innocents en les sacrifiant à des fins politiques, ce qui constitue un second crime contre des civils. De la même manière, l’idéologie décoloniale, qui nie le droit d’Israël à exister et le droit de son peuple à vivre en sécurité, rend la création d’un Etat palestinien moins probable, et même impossible.Aux Etats-Unis et en Europe, le problème est plus facile à résoudre : la société civile et la majorité sous le choc doivent maintenant s’affirmer. La folie radicale de certains étudiants ne devrait pas nous alarmer outre mesure ; les étudiants se sont toujours enthousiasmés pour les extrêmes révolutionnaires. Mais les célébrations indécentes à Londres, Paris et New York, et la réticence manifeste des dirigeants des grandes universités à condamner les tueries, ont montré ce qu’il en coûte de négliger cette question et de laisser la “décolonisation” coloniser nos pays.Les parents et les étudiants peuvent aller dans des universités qui ne sont pas dirigées par des administrateurs timorés et contrôlées par des négationnistes et des sadiques ; les donateurs peuvent retirer leurs dons généreux en masse, et aux Etats-Unis, cela a commencé. Les philanthropes peuvent ôter leurs financements aux fondations humanitaires dirigées par des personnes qui soutiennent les crimes contre l’humanité (contre des victimes sélectionnées en fonction de leur race). Les spectateurs peuvent facilement décider de ne pas regarder les films dont les acteurs se plaisent à ignorer les meurtres d’enfants, et les studios de cinéma ne sont pas obligés de les engager. Dans le monde académique, cette idéologie toxique, suivie par des gens bêtes et mal intentionnés mais aussi par des gens bien intentionnés et sensibles à l’air du temps, est devenue la position par défaut. Il faut qu’elle perde sa respectabilité : sa nullité morale est désormais exposée à la vue de tous.Ecouter les voix arabes modéréesIsraël a commis bien des actes répréhensibles et nuisibles. Le gouvernement de Netanyahou, le pire de l’histoire israélienne, aussi incompétent qu’immoral, promeut un ultranationalisme maximaliste qui est à la fois inacceptable et imprudent. Chacun a le droit de protester contre les politiques et les actions d’Israël, mais pas de promouvoir des sectes terroristes, le meurtre de civils et la propagation d’un antisémitisme menaçant.Les Palestiniens ont des griefs légitimes et ont subi de nombreuses et brutales injustices. Mais leurs deux entités politiques sont totalement défectueuses : l’Autorité palestinienne, qui dirige 40 % de la Cisjordanie, est moribonde, corrompue, incompétente et généralement méprisée – et ses dirigeants ont été tout aussi exécrables que ceux d’Israël.Le Hamas est une secte meurtrière diabolique qui se cache parmi les civils, qu’elle sacrifie sur l’autel de la résistance, comme l’ont ouvertement dénoncé des voix arabes modérées ces derniers jours, et bien plus durement que les apologistes du Hamas en Occident. “Je condamne catégoriquement le fait que le Hamas prenne pour cible des civils”, a déclaré avec émotion la semaine dernière le prince Turki bin Faisal, homme d’Etat saoudien chevronné. “Je condamne également le Hamas pour avoir donné des lettres de noblesse morales à un gouvernement israélien qui se trouve universellement rejeté, même par la moitié du public israélien… Je condamne le Hamas pour avoir saboté la tentative de l’Arabie saoudite de parvenir à une résolution pacifique de la situation critique du peuple palestinien”. Dans un entretien avec Khaled Meshaal, membre du politburo du Hamas, le journaliste arabe Rasha Nabil a souligné que le Hamas sacrifiait son propre peuple pour ses intérêts politiques. Meshaal a répondu qu’il s’agissait simplement du coût de la résistance : “Trente millions de Russes sont morts pour vaincre l’Allemagne”, a-t-il déclaré.Nabil est un exemple pour les journalistes occidentaux qui osent à peine défier le Hamas et ses massacres. Rien n’est plus condescendant, voire orientaliste, que la romantisation des bouchers du Hamas, que de nombreux Arabes méprisent. Le déni, par tant d’Occidentaux, des atrocités commises est une tentative de façonner des héros acceptables à partir d’une organisation qui démembre des bébés et souille les corps de jeunes filles assassinées. Il s’agit d’une tentative de sauver le Hamas de lui-même. Ses apologistes occidentaux devraient peut-être écouter les voix arabes modérées plutôt qu’une secte terroriste fondamentaliste.EspoirsLes atrocités commises par le Hamas le classent, à l’instar de Daech et d’Al-Qaïda, dans la catégorie des abominables, ceux qui défient toute tolérance. Israël, comme tout Etat, a le droit de se défendre, mais il doit le faire avec beaucoup de précautions et en minimisant les pertes civiles, et il sera difficile, même avec une incursion militaire complète, de détruire le Hamas. En attendant, Israël, sous peine de s’autodétruire, doit mettre un terme aux injustices qu’il perpètre en Cisjordanie, parce qu’il devra en fin de compte négocier avec les Palestiniens modérés.La guerre se déroule de manière tragique. Le pilonnage de Gaza tue chaque jour des enfants palestiniens, et c’est insupportable. Alors qu’Israël pleure encore ses pertes et enterre ses enfants, nous déplorons le meurtre de civils israéliens tout comme nous déplorons le meurtre de civils palestiniens. Nous rejetons le Hamas, maléfique et inapte à gouverner, mais nous ne confondons pas le Hamas avec le peuple palestinien, dont nous déplorons les pertes comme nous déplorons la mort de tous les innocents.L’histoire nous apprend que des événements terribles peuvent faire bouger les choses : Anouar el-Sadate et Menahem Begin ont fait la paix après la guerre du Kippour ; Yitzhak Rabin et Yasser Arafat ont fait la paix après l’Intifada. Les crimes diaboliques du 7 octobre ne seront jamais oubliés, mais peut-être que dans les années à venir, après l’éparpillement du Hamas, après que le “netanyahouisme” ne sera plus qu’un souvenir catastrophique, Israéliens et Palestiniens reconnaîtront mutuellement les frontières des Etats qu’ils auront tracées, adoucis par soixante-quinze ans de tueries et stupéfiés par la boucherie commise par le Hamas le temps d’un week-end. Il n’y a pas d’autre solution.*Simon Sebag Montefiore est l’auteur de Jerusalem : biographie (Calmann-Lévy) et plus récemment de The World : a Family History of Humanity”. Cet article est paru en version originale sur le site du magazine The Atlantic. © 2023 The Atlantic. Distributed by Tribune Content Agency. Traduction : Thomas Mahler et Laetitia Strauch-Bonart.
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Publish date : 2023-11-12 16:01:00
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