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Alex Ayed, artiste, installe son atelier en pleine mer

Alex Ayed, artiste, installe son atelier en pleine mer



C’est un lieu commun un peu précieux et surtout éventé chez la plupart des artistes : “vit et travaille entre”. Comme si l’artiste, forcément, répondait à cette taxonomie d’usage, celle d’un romantisme perpétué à travers les siècles pour aujourd’hui surtout servir de cache-sexe à une précarité que personne ne veut voir.

Les cas sont rares où cette posture d’un nomadisme élu comme posture poétique, comme manifeste d’une liberté conquise aux forces asséchantes de la vie néolibérale, se confirme. Qu’elle soit tenue dans la distance, filée au travers des pièces, séries et expositions successive, et qu’elle s’incarne enfin dans une œuvre qui s’écrit et se lit dans la durée.

C’est le cas, et c’est presque un hapax, chez Alex Ayed. En 2016, l’artiste franco-tunisien diplômé des Beaux-Arts réalisait sa première exposition solo à la galerie Balice Hertling, alors sise à Belleville. Certain·es s’en souviennent peut-être : un souffle chaud, venu du désert, avait ramené une poignée de sable orange.

Du désert à la mer, histoires d’infinis

L’artiste, alors, avait posé le décor avec un simple sac de sport, qui avait servi à transporter le sable du désert. Non loin, un caméléon mort montait la garde sur un savon à l’huile d’olive. Comme les axiomes d’un conte oublié.

Comme les prémisses également d’une carrière à venir, passée à toujours s’en aller voguer ailleurs, en prenant soin de semer derrière soi les objets, personnages et cartes à moitié effacées de récits à inventer chacun et chacune, en l’absence de l’artiste déjà reparti dans son périple solitaire.

Au désert aura succédé la mer. Deux espaces, comme l’empreinte en négatif l’un de l’autre, que l’on tend à fabuler éternels. Deux espaces, pourtant, que l’ère contemporaine a récemment commencé à répertorier, mesurer, quantifier : topographies de l’inquiétude climatique.

À force de vouloir les contenir, ces lieux ont fini par perdre leur potentiel d’engloutissement. On ne s’y perd plus, on ne s’y sent plus submergé par l’immensité qui dépasse l’entendement et déborde l’individu. Sauf à venir consciemment réveiller et ranimer les mythes enfouis, passés, futurs, potentiels.

Des toiles et des voiles

Alex Ayed s’y attèle depuis trois ans déjà. Pour sa deuxième exposition en 2020-2021, à la galerie Balice Hertling toujours, il semait les premiers indices d’un souffle océanique. On y voyait apparaître les premières toiles réalisées à partir de voiles montées sur châssis, élimées par les vents et battues par la pluie.

Cet automne, l’artiste bénéficie de trois expositions conjointes. “Letters from Kattegat”, à la même galerie, met en lumière une série de nouvelles toiles murales, réalisées selon le même principe. Celles-ci ponctuent les deux étages de la galerie, chacune ouvrant sur une cartographie potentielle.

À partir d’elles, on imagine une navigation à vue, selon le principe de la dérive situationniste peut-être, à ceci près que chez ces derniers, il s’agissait de prendre la carte d’une ville donnée pour en arpenter une autre. Un fragment de voile, après tout, pourrait tout aussi bien servir à se repérer là où nulles rues ni routes ne prédéfinissent un cadastre. Entre elles, et comme à l’habitude d’Alex Ayed, prennent place d’autre éléments : une mouette – ou peut-être le goéland baudelairien ? –, une carte tâchée d’huile d’olive.

Pendant la semaine de la foire Paris + par Art Basel et dans le contexte de son hors-les murs, l’artiste installait un pigeonnier confectionné de bois d’olivier, argile et paille recouvert de chaux, manière par cette architecture traditionnelle d’offrir un répit en plein jardin des tuileries aux messagers volants.

“Vit et travaille en mer”

Simultanément à l’exposition à la galerie, une deuxième exposition reste visible jusqu’à début février à la Fondation Louis Vuitton. Dans l’espace réservé à la jeune création et au programme “Open Space” de la galerie 8, Alex Ayed présente la première partie de son Farewell Project [projet d’adieu].

Le jour du vernissage à la galerie, l’artiste avait en effet déjà mis les voiles. Il était parti à bord du bateau qu’il avait rénové, mettant à profit les années passées pour apprendre la navigation. Objectif : un tour du monde, au gré de ses expositions à venir. Et en attendant, à la fondation, la matière d’une œuvre évolutive.

L’artiste a en effet installé dans l’espace d’exposition une série de ready-made aux murs, mais surtout une antenne principale au centre. Celle-ci, équipée d’écrans, sera le lien entre l’artiste et les spectateur·ices : au jour le jour, il enverra des poèmes, observations d’un carnet de bord, sons et autres enregistrements.

On doit à la correspondance du psychanalyste Sigmund Freud avec l’écrivain Romain Rolland d’avoir, il y a un siècle, évoqué la notion d’un “sentiment océanique”. À savoir, le sentiment décrit comme un élan appartenant à l’humain primitif ou du moins prémoderne, souvent extra-occidental – cartésianianisme oblige – décrivant le sentiment de confusion et d’unité avec l’univers.

Une impression fusionnelle, spontanée, qui pourtant se prête ici, et par l’entremise du travail de l’artiste, également à des prolongements politiques : quelque chose comme une reconquête vernaculaire des techniques de survie, et de l’horizon malgré la pollution visuelle. D’ailleurs, certain·es l’auront peut-être remarqué : depuis, la biographie de l’artiste indique “vit et travaille en mer”.

Alex Ayed. Letters from Kattegat, jusqu’au 18 novembre à la galerie Balice Hertling et Alex Ayed : Farewell (Open Space #12) jusqu’au 19 février à la Fondation Louis Vuitton à Paris

Alex Ayed “Untitled (Sail LXV)” 2023 © Holly Fogg-Courtesy de l’artiste et Balice Hertling Paris



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Author : Ingrid Luquet-Gad

Publish date : 2023-11-13 14:42:49

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