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Comment le changement climatique va redessiner les routes maritimes mondiales

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Très chère enchère. Mercredi 8 novembre, le géant pétrolier japonais Eneos Holding a dépensé 3,7 millions d’euros pour sécuriser le passage d’un de ses navires sur le canal de Panama, selon le dossier d’appel d’offres. Son tanker pourra emprunter le corridor le 15 novembre prochain. La somme est historique. Mais elle pourrait ne pas le rester longtemps : le précédent record – 2,67 millions – n’a duré qu’une petite semaine… Les grandes compagnies n’hésitent plus à sortir le chéquier pour se garantir une place sur cette voie de navigation entre l’Atlantique et le Pacifique et s’éviter une longue file d’attente – jusqu’à plus de 160 bateaux en août ! Car le canal de Panama, par lequel transite 6 % du commerce maritime mondial, subit depuis plusieurs mois les conséquences du changement climatique.”Le mois d’octobre a été le plus sec enregistré depuis 73 ans. La sécheresse provoquée par le phénomène El Niño continue d’impacter sévèrement les systèmes de réservoirs”, c’est-à-dire les deux lacs artificiels qui fournissent l’eau douce nécessaire au fonctionnement des écluses, a indiqué l’Autorité du canal de Panama (ACP). Or, ce bassin approvisionne également en eau potable la moitié des habitants du pays. Pour faire face au manque de pluie, l’opérateur a limité le tirant d’eau et a encore revu à la baisse le nombre de traversées, après une première restriction cet été : 25 navires quotidiens depuis le 3 novembre, 20 d’ici à la mi-février 2024. Deux fois moins que la moyenne quotidienne l’an dernier.La sécheresse au Panama surligne la vulnérabilité de certaines routes commerciales face au changement climatique. Le cas n’est pas isolé : à l’été 2022, près de 3 millions de tonnes de marchandises n’ont pu être transportées sur un Rhin à sec. Même problématique pour le Mississippi, aux Etats-Unis. “Tous les canaux fluviaux sont concernés, confirme Éric Foulquier, maître de conférences en géographie à l’Université de Bretagne Occidentale. Ce qui pose problème car le fluvial est une solution pour la transition, une alternative à la route.” Des ports se préoccupent aussi de leur avenir, à l’image de celui de Rotterdam (Pays-Bas), le plus grand d’Europe, menacé par la montée du niveau de la mer.Hausse des coûts”Je ne pense pas qu’il y aura de grands bouleversements des routes maritimes, tempère Camilo Umana-Dajud, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Mais on va assister à une hausse généralisée des coûts par les adaptations des compagnies aux nouvelles régulations d’émissions de gaz à effet de serre, et par des primes d’assurance qui augmentent.” Avec des typhons et des cyclones toujours plus intenses, les traversées peuvent en effet être plus risquées, et les pertes de conteneurs plus fréquentes.Pour éviter l’actuel goulot d’étranglement qu’est devenu le canal de Panama, des options existent à court terme : la combinaison bateau-train-bateau pour relier les deux océans ou le contournement du continent par le sud. Soit trois ou quatre semaines de trajet supplémentaire. D’autres projets de canaux pour concurrencer celui du Panama ont vaguement émergé il y a quelques années, notamment au Nicaragua. “Ils étaient mort-nés”, balaie Hervé Baudu, professeur à l’Ecole nationale supérieure maritime et membre de l’Académie de marine. “Plus généralement, les armateurs vont devoir mieux anticiper, même s’il est très difficile de faire des projections sur la récurrence d’une telle sécheresse dans le temps”, ajoute-t-il.Les compagnies pourraient alors préférer, en fonction de la destination de la marchandise, déporter une partie des navires sur l’autre grand canal mondial, Suez, qui connecte la Méditerranée à l’océan Indien. Environ 13 000 bateaux y circulent par an. “Et il n’y a pas de phénomènes météorologiques locaux pouvant perturber son fonctionnement”, note Hervé Baudu. La congestion de cet axe stratégique ne pourrait venir, à ses yeux, que d’une obstruction du canal par un navire, comme avec l’Ever Given en 2021. Dans ce scénario, le contournement par le sud de l’Afrique au cap de Bonne-Espérance fait figure de route alternative idoine, mais plus longue donc plus chère.Routes polaires, mauvaise pisteCertains convoitent un autre chemin : le pôle Nord. Le géant russe Gazprom a annoncé en septembre avoir livré pour la première fois à la Chine du gaz naturel liquéfié (GNL) via l’Arctique et le passage du nord-est, plus facilement navigable en raison du réchauffement climatique. Faut-il vraiment compter sur la fonte des glaces pour les prochaines décennies ? “Croire que de nouvelles routes s’y dessinent, c’est très mal connaître le transport maritime”, tranche Éric Foulquier. “J’ai toujours pensé que les gens étaient trop optimistes sur cet aspect”, abonde Camilo Umana-Dajud.L’économiste liste deux écueils : les tensions géopolitiques, avec la Russie, et le coût conséquent de ces nouveaux itinéraires – recours à des brise-glace et assurances plus élevées. “D’autres facteurs font qu’elles ne sont pas concurrentielles par rapport aux routes existantes, comme le fait d’être ouvertes 3 ou 4 mois par an seulement, et avec un volume faible par rapport à Suez”, abonde Hervé Baudu. Le maillage actuel des infrastructures rend aussi difficile une révolution mondiale du trafic commercial maritime. “Cela pose une problématique industrielle : il faudrait changer les endroits où charger et décharger les marchandises, relève Éric Foulquier. Pour les conteneurs, le système fonctionne grâce à la densité du réseau de ports. Aller de Rotterdam à Shanghai plus vite n’a que peu d’intérêt ; ce sont les arrêts en chemin qui comptent. Or, il n’y en a pas sur la route Arctique”.Au vu des enjeux climatiques, donc planétaires, qui pèsent sur les pôles, la perspective de voir des tankers et autres porte-conteneurs y fendre les glaces n’enchante guère les experts. “Si l’on trouve une perspective sur l’Arctique, ce ne sera pas une bonne nouvelle pour le monde”, conclut Éric Foulquier.



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Author : Baptiste Langlois

Publish date : 2023-11-11 07:30:00

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Tags :L’Express

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