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Comment regarder une famille confrontée à la maladie : “Tout va bien”, une série bouleversante

Comment regarder une famille confrontée à la maladie : “Tout va bien”, une série bouleversante



“Je pensais que cette série n’existerait jamais.” Installée dans un café parisien devant un soda, Camille de Castelnau n’en revient pas. Malgré son CV de scénariste chevronnée, celle qui fut le bras droit d’Éric Rochant sur Le Bureau des légendes imaginait que le sujet de Tout va bien, la maladie grave d’une enfant et son impact sur sa famille, resterait sans suite dans le contexte normé de la fiction française. “C’est peut-être ce qu’Éric a pensé quand il m’a proposé de produire mon propre projet et que j’ai évoqué cette histoire, rigole aujourd’hui la quadra. J’avais trois mois pour imaginer une série d’auteur, c’était ma seule idée.”

Ce récit douloureux, le showrunner de la meilleure série d’espionnage made in France en connaissait déjà les contours. Camille de Castelnau a en effet traversé une épreuve avec ses proches alors qu’elle travaillait encore auprès de lui sur Le Bureau des légendes. Disney+ a ensuite accueilli l’idée avec enthousiasme, contrairement à certaines chaînes historiques. Mais le plus dur restait à faire.

“La petite affaire privée”

Comment trouver le bon angle pour aborder ce qui relève, selon l’expression frontale signée Gilles Deleuze, de la “petite affaire privée” – aussi majeure soit-elle ? “Je suis partie d’un désir de fiction, répond la créatrice. J’ai pensé aux séries sur des familles, genre que j’adore quand ce n’est pas une comédie ou un polar : Six Feet Under, Succession, Big Little Lies – sauf la partie criminelle. J’ai pensé aussi à Gilmore Girls d’Amy Sherman-Palladino, une grosse référence pour moi.” Il fallait ensuite tirer les fils d’un récit à entrées multiples, presque disséminé.

Tout va bien ne commence pas classiquement par l’annonce de la maladie, mais prend l’histoire en cours, quand Rose s’apprête à subir une greffe de moelle osseuse pour traiter la leucémie rare dont elle est atteinte. Elle a moins de 10 ans. Autour d’elle, sa tante Claire (Virginie Efira), sa mère Marion (Sara Giraudeau), sa grand-mère Anne (Nicole Garcia) et quelques hommes tout aussi sidérés (Bernard Le Coq, Aliocha Schneider, Mehdi Nebbou, notamment) tentent de donner du sens à ce qui n’en a aucun.

“J’ai mis de moi dans chaque personnage”

La série prend la mesure collective du drame et de ses résonances autour d’un pacte tacite, que décrit à sa manière Virginie Efira, dont c’est le premier vrai rôle dans une série depuis les années 2000 : “C’est toujours bien de partager les mêmes goûts que les gens avec qui on travaille. Avec cette série, nous avions un accord parfait sur le refus du pathos. Quand elle raconte son histoire, Camille ne suscite jamais l’apitoiement.”

L’intéressée poursuit : “Ce n’est pas mon journal intime qu’on est en train de regarder, et ce ne sont pas les membres de ma famille que l’on voit. J’ai mis de moi dans chaque personnage.” Elle pense à Claire, la tante, mais aussi au grand-père, en quête de sens à l’âge de 72 ans, à la grand-mère, en pleine promo de son livre. “L’idée n’était pas de raconter ma vie pour autant, mais de confronter les personnages à une crise, puis les révéler au regard de cette crise.”

“Confronter les personnages à une crise”

Tout va bien a été tournée en grande partie à l’Hôpital Robert-Debré à Paris, mais ne suit pas les codes des séries médicales. Elle travaille l’espace hospitalier autour de ce qui n’est pas forcément visible. En dehors de certains moments singuliers, Rose et les soins qu’elle reçoit ne figurent pas au centre de la narration. “Ce choix s’est imposé à moi, résume Camille de Castelnau.

C’est presque éthique. Chaque personnage contient quelque chose de moi sauf Rose. D’abord parce que c’est une enfant. J’ai beau en avoir été une il y a longtemps, l’enfance reste pour moi une pure altérité. Ensuite, c’est elle qui a été malade. Son expérience corporelle et psychique m’est étrangère, et je ne peux pas faire semblant de me mettre à sa place. Bernard Le Coq [qui joue le grand-père], je peux, mais ce que Rose traverse, c’est impossible. Au fond, ce n’est même pas un choix éthique, mais une incapacité. Rose devait rester un sujet, pas une petite chose fragile pour laquelle on s’inquiète.”

Il y a dans Tout va bien une manière très surprenante de travailler l’émotion, comme une matière brute, pleine de couches, d’endroits inatteignables, d’étonnements. Une hauteur de vue impressionnante face à un sujet aussi dur. Sara Giraudeau, qui connaissait Camille de Castelnau pour avoir joué Marina Loiseau dans Le Bureau des légendes (un beau personnage que la scénariste avait longuement exploré), incarne une mère évidemment bouleversée, mais surtout déphasée par ce qui arrive à sa fille. “Ce que j’ai tout de suite aimé, c’est l’intensité du rôle qui se mêle à beaucoup de pudeur. Il se passe plein de choses à l’intérieur de Marion, mais elle ne les exprime pas toutes. Nous devenons spectateurs de son intériorité.”

La maladie d’un enfant, sujet tabou

La maladie d’un·e enfant est un sujet au bord de l’indicible, “le pire cauchemar d’un parent”, selon Camille de Castelnau, “une de mes plus grandes peurs personnelles”, abonde Sara Giraudeau. Et pourtant, la série ne manque pas de moments arrachés à la terreur ou à la souffrance, empreints de bizarrerie et d’humour, de mystère aussi. Certain·es se réfugient dans le sexe, d’autres avalent leur tristesse jusqu’à la nier. “C’est beau à jouer, les personnages mystérieux, commente Sara Giraudeau. Marion avance avec une bulle de protection autour d’elle. J’ai pu y mettre ma mélancolie, ma nostalgie, ma solitude.”

“J’ai un goût pour la tragédie, je suis une vraie drama queen, et en même temps j’aime faire marrer les gens”

Dans le sixième épisode (sur huit), situé au moment des fêtes de fin d’année – le plus beau, avec les septième et huitième –, le spectre d’Arnaud Desplechin et de son Conte de Noël (2008) se déploie, non pas comme un modèle mais comme un écho, qui donne une idée des hauteurs atteintes par Tout va bien, cet état de grâce que la série touche quand les stupéfactions s’enchaînent.

“En lisant les scénarios, je me suis dit que je n’avais jamais vu un texte comme celui-ci, commente Virginie Efira, encore marquée et élevée par l’expérience. Camille arrive à placer dans un contexte tragique la trivialité de l’existence, avec une drôlerie, une complexité sur ce qui s’échange… Son regard voit tout : le détail et le tableau dans son ensemble.”

Enchaînant son troisième soda, Camille de Castelnau prend le compliment et assume ce point de vue d’autrice, alors même qu’il s’agit de sa première série. “J’ai un goût pour la tragédie, je suis une vraie drama queen, et en même temps j’aime faire marrer les gens. Le critère de sélection de mes amis, c’est qu’on rigole. Avec Tout va bien, il y avait une volonté de mélanger. C’est ce que j’appelle le réalisme.”

La vie et les relations humaines

“On peut avoir l’impression au départ qu’il ne se passe pas grand‑chose, note Sara Giraudeau. La peau paraît lisse, avec seulement de petites ecchymoses. Puis on avance et on découvre plein de vaisseaux souterrains, on perçoit tout ce qui s’organise sous cette peau et qui est universel.” Les surprises, alors, ne manquent pas. “Ici, tout est possible, même Chantal Goya devient métaphysique”, remarque en riant Virginie Efira. Une allusion à l’utilisation de la chanson du générique des Malheurs de Sophie, interprétée par la Française en 1979 et effectivement déchirante dans le contexte de Tout va bien. Quand tout devient possible, c’est que la vie devient le seul enjeu. “Ce sont des moments où tu te poses les questions que la religion se pose, même en tant qu’athée, explique Camille de Castelnau. Des questions existentielles qui sont aussi de grandes questions de scénario : pourquoi le malheur ?”

“Chacun est confronté à ses limites : un détail de l’existence, un amant imparfait… Certaines choses deviennent absurdes. Camille observe cela minutieusement, pour mieux voir la merde des choses”, explique Virginie Efira. Cela donne une clique de personnages azimutés, pris dans les rets d’une attente et d’une incertitude impossibles à dompter. À cet endroit précis, Tout va bien s’autorise une frontalité qui peut relever de la férocité, “toujours compensée par la tendresse”, avertissent Virginie Efira et Sara Giraudeau. “Je trouve que les relations humaines et notamment familiales sont parfois un peu trash, et c’était l’occasion de le montrer”, admet Camille de Castelnau.

C’est ainsi que Claire (Virginie Efira) peut être soûlée par sa belle-fille et le lui dire sans être présentée comme un monstre. “Une femme vraiment exaspérée par un enfant, on ne le voit pas très souvent, ce sujet est souvent édulcoré. Ce genre de situation ne révèle pas le meilleur de nous-mêmes, et je trouve cela assez drôle. Ce que j’aime, c’est voir ce qui déraille. Dans les crises, le seuil de tolérance est diminué, les personnages sont stressés, fatigués. Une série où tout le monde est sympa, ça n’aurait pas d’intérêt.”

Tout va bien de Camille de Castelnau, avec Virginie Efira, Nicole Garcia, Sara Giraudeau. Sur Disney+ le 15 novembre.



Source link : https://www.lesinrocks.com/series/comment-regarder-une-famille-confrontee-a-la-maladie-tout-va-bien-une-serie-bouleversante-598418-13-11-2023/

Author : Olivier Joyard

Publish date : 2023-11-13 19:00:00

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Tags :Les Inrocks

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