Avec deux pontes de l’IA comme membres fondateurs, Andrew Ng et Daphne Koller, Coursera ne pouvait que prendre le virage de l’intelligence artificielle à toute allure. Traduction automatique des cours, assistant personnalisé… Le géant américain de la formation en ligne ne se contente pas de former à l’IA, il s’en sert lui-même pour former ses élèves plus efficacement. De passage à Paris, son PDG, Jeff Maggioncalda, nous explique comment le numérique bouleverse la manière de se former et la géographie du recrutement.L’Express : L’éducation en ligne n’a pas encore converti massivement en Europe de l’Ouest. Certains pays ont-ils un regard différent sur ces nouvelles technologies éducatives ?Jeff Maggioncalda : L’Europe de l’Est, l’Asie et le Moyen-Orient s’approprient beaucoup plus vite ces outils. Au Kazakhstan, par exemple, qui est un pays assez enclavé, les pouvoirs publics savent que leur capital humain est une de leurs plus importantes ressources même s’ils sont également très bien dotés en minéraux. Le ministère de l’Enseignement supérieur et des Sciences a acheté des centaines de nos licences de cours et les a mises à disposition de 25 lycées et universités sur place. En plus de leurs cursus classiques avec des professeurs, les étudiants ont donc aussi accès des cours conçus par des experts travaillant dans le numérique. Une de leurs agences gouvernementales utilise aussi notre plateforme pour former et aider la reconversion de personnes en recherche d’emploi. L’Arabie saoudite a une démarche similaire avec son centre national d’e-learning.Qu’en est-il des Etats-Unis et de la Chine ?Les Etats-Unis s’intéressent de plus en plus à l’éducation en ligne. Joe Biden a promulgué l’Infrastructure Investment and Jobs Act, qui vise à apporter le haut débit dans toutes les zones rurales du pays. Dans le monde entier, la connectivité devient aussi importante que l’électricité. Bien sûr, elle n’est pas vitale comme peut l’être l’eau ou la nourriture, mais elle devient un bien de première nécessité pour plusieurs raisons. D’abord, l’éducation. Avoir une population bien formée impliquera de plus en plus d’utiliser des contenus de professeurs qui ne viennent pas que d’un pays, mais du monde entier. Par ailleurs, la connectivité joue un rôle de plus en plus important dans notre capacité à faire notre travail et à saisir des opportunités économiques. Le service Coursera n’est pas autorisé en Chine, mais plusieurs universités du pays mettent certains de leurs cours à disposition du reste du monde sur notre plateforme. Le pays développe cependant beaucoup l’éducation en ligne. C’est assez logique vu la taille de la population et le nombre de leurs citoyens habitant en zone rurale. Les cours en ligne sont un excellent moyen de fournir une formation de qualité, même lorsque les personnes vivent dans des zones reculées.Comment l’intelligence artificielle générative peut-elle transformer l’éducation et la formation continue ?Elle change de nombreux paramètres. Une des grandes avancées qu’elle permet, c’est la capacité de traduction qu’elle offre. Au sein de Coursera, nous avons utilisé l’IA pour traduire 4 000 cours en 17 langues différentes. Auparavant, cela coûtait 13 000 dollars de faire traduire un cours dans une langue. Le faire pour 4 000 cours en 17 langues aurait été une dépense colossale. Et cela aurait pris beaucoup plus de temps. Avec l’IA, traduire un cours dans une langue coûte 20 dollars. La traduction est un outil très important pour rendre l’apprentissage accessible à tous ceux dont l’anglais n’est pas la langue maternelle.L’IA permet également de personnaliser l’apprentissage. Nous venons ainsi de lancer Coach, un assistant éducatif personnalisé à qui les élèves peuvent poser n’importe quelle question. Cet outil d’IA sait tout ce que le cours contient et ce que cela signifie. Cette base lui permet de construire des réponses pertinentes et de donner des détails qui ne sont pas forcément abordés en tant que tels dans le cours. On peut également lui demander des conseils pour identifier des métiers adaptés à nos souhaits et des conseils de cours à suivre pour s’orienter sur ces parcours. L’IA va rendre l’accès à l’éducation plus égalitaire. C’est aussi un outil intéressant pour l’évaluation de certains travaux. Sur Coursera, nous le proposons désormais, mais en offrant toujours aux internautes le choix de demander à la place, ou en complément, une évaluation humaine.Si la population d’un pays comme la France ne se forme pas rapidement à ces nouveaux outils d’IA générative, à quels problèmes risque-t-elle de faire face ?Apprendre à utiliser l’IA entraîne de formidables gains de productivité. La Harvard Business School et le Boston Consulting Group [BCG] viennent de publier un rapport que les gouvernements devraient lire de toute urgence. Ils ont analysé l’impact de l’IA générative sur la production des équipes du BCG en les séparant en trois groupes : une sans accès à ces outils, la deuxième avec un accès mais sans formation préalable et la troisième avec un accès et une formation à ces outils. Résultat ? Chez ceux qui utilisaient l’IA générative, la rapidité d’exécution des tâches augmentait de 25 % et la qualité, de plus de 40 %.Les entreprises ne vont pas dicter la vitesse à laquelle elles doivent s’adapter, c’est l’économie mondiale qui le fera. Et l’agilité des sociétés va beaucoup dépendre de celle de leurs employés et de leur capacité à apprendre de nouvelles choses. Au vu des échanges que j’ai eu lors de mes déplacements, il semble que de plus en plus d’employeurs européens envisagent d’augmenter leurs recrutements en dehors de l’Europe, voire ont commencé à le faire, car ils ont du mal à trouver des personnes qualifiées. Dans d’autres zones géographiques, ils trouvent des profils qui sont souvent moins chers, mais aussi plus déterminés à apprendre très vite. Chaque gouvernement, que ce soit celui du Kazakhstan ou de la France, doit mettre en place des programmes de formation adéquats. Les pays qui ne se forment pas vont passer à côté de formidables gains de productivité.Dans l’Union européenne, la population française n’est que 12ᵉ au classement des compétences numériques [rapport Desi 2022]. Comment expliquer cette position médiocre ?Je ne saurais me prononcer sur le cas de la France en particulier. Mais j’observe que les pays européens sont moins intéressés par nos certificats professionnels [NDLR : les cursus Coursera mis au point avec des entreprises telles que Google, IBM etc.] que des pays comme l’Inde ou des Etats d’Asie du Sud ou d’Amérique latine. Qu’est-ce que cela nous dit ? Certains répondront que la couverture et le niveau des établissements scolaires sont peut-être moins élevés là-bas, d’où cet intérêt plus marqué. Peut-être, parfois, en effet. Mais, dans un monde qui change si vite et auquel les écoles doivent s’adapter, combien de temps s’écoulera avant que leurs diplômés soient mieux préparés à ces emplois que ceux issus de parcours traditionnels ? L’économie change si vite aujourd’hui que si vous ne comprenez pas le cloud computing, si vous n’avez pas ces connaissances numériques basiques, votre entreprise ne pourra pas connaître le succès.La technologie est-elle en train d’abolir les frontières du recrutement, selon vous ?Oui, la pandémie a changé la donne. Bien sûr, la natalité est un facteur. Où naissent les travailleurs de demain ? De plus en plus en Afrique et en Asie du Sud. A cela s’ajoute l’offre de formation en ligne, de plus en plus riche. Pendant la pandémie, beaucoup de personnes en Afrique et en Inde ont commencé à utiliser ces outils. Les entreprises ont de leur côté réalisé pendant les confinements que leurs employés réussissaient à travailler très efficacement à distance. D’ailleurs, le télétravail dans le monde n’a pas du tout diminué après la pandémie, bien au contraire, il a continué d’augmenter. L’intelligence artificielle a fait tomber le dernier frein : les barrières linguistiques. Avec le télétravail, la formation en ligne et la traduction dopée à l’IA, les frontières géographiques du recrutement volent en éclats.Comment se former à cette nouvelle économie boostée à l’IA ?Il y a plusieurs catégories de compétences importantes. D’abord, apprendre à apprendre : comment notre cerveau fonctionne, quelles sont les habitudes d’apprentissage efficaces. Il y a également toutes les compétences liées aux données : comprendre la data, les statistiques, savoir lire un graphique… Tout cela devient aussi important que de savoir utiliser un outil de traitement de texte. Il est bien sûr aussi important d’avoir toutes les compétences numériques de base : bien savoir se servir des outils de communication numériques et de son ordinateur. Pour les managers, il est judicieux, enfin, d’apprendre à manager des équipes disséminées dans le monde, avec des personnes qui peuvent avoir des cultures et des opinions très différentes sur les grands événements mondiaux, notamment les conflits.
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Author : Anne Cagan
Publish date : 2023-11-13 10:30:00
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