On aurait bien aimé aimer. C’est-à-dire qu’on y allait dans de bonnes dispositions, avec l’excitation réelle de découvrir le Celebration Tour de Madonna à l’Accor Arena, soit le condensé de tous ses plus grands tubes, le résumé fiévreux de sa carrière dont on pourrait prendre pour lancement l’année 1982 et le single Everybody, même si en 1978 elle débarquait à New York pour devenir danseuse, y passait un casting pour Patrick Hernandez (Born to be Alive, pour rappel) et s’envolait en tournée européenne à ses côtés. Bref, l’idée de passer de la Danceteria du New York fin 1970 début 1980 à la période Mirwais en embrassant le bustier conique de Gaultier et l’influence du voguing, tout cela nous plaisait.
Vous nous voyez venir, l’enthousiasme fit légèrement pschiiiit. Pour commencer, il y eut près d’1h40 de retard pour des “raisons techniques”. Bon soit passons, ça peut arriver à tout le monde. Déboule enfin Bob the Drag Queen en maîtresse de cérémonie, sous les traits de Marie-Antoinette, chargée de lancer un show aux allures de gros, mais alors très, très gros gâteau à la crème pâtissière avec des fruits confits et alcoolisés. Déboule Madonna en mode madonne avec une auréole, drapée dans une longue robe noire, pour Nothing Really Matters, le début d’une sorte de vaste comédie musicale.
Queen of pop
Tout n’est pas à jeter, loin de là. Il y a de beaux passages dans ce Celebration Tour grandiose aux multiples écrans et catwalks dans le public. Il y a, notamment, la capacité de Madonna à asseoir la dimension méta de ce type de rétrospective nostalgique. Comme elle jouait des codes de genres – amenant Camille Paglia à la défendre dans les colonnes du New York Times début 1990 contre un autre pan féministe lui reprochant son auto-réification –, Madonna joue désormais avec sa propre mythologie. Elle donne ainsi vie à des doubles qui l’accompagnent tout au long du show : la Madonna qui déboulait à New York, puis celle de Like a Virgin, puis celle qui mimait la masturbation lors du Blonde Ambition Tour. Madonna a démultiplié les personnages, le raconte et réaffirme ainsi son statut de Queen of Pop que personne ne pourra plus lui enlever.
Loin d’une vision essentialiste de l’artiste féminine qui devrait placer le naturel – souvent confondu avec “la vérité” – au cœur de son projet artistique, Madonna enfonce le clou du travestissement, du fake, du changement, de la fluidité… bref de l’auto-détermination, l’auto-création, l’auto-célébration. Dans un grand moment du spectacle, la voici qui diffuse sur les multiples écrans un résumé accéléré de sa carrière à coups de photos, d’extraits d’interviews et de clips, de commentaires sur sa personne (par Beyoncé, notamment), d’extraits d’articles de presse, de reportages… Voilà, ce fut ça Madonna, la reine du scandale, qui clôt cette séquence en expliquant que son plus grand outrage est certainement celui d’être restée là, en place, de ne pas s’être éclipsée l’âge aidant.
Prise de parole
L’autre grand moment la voit naviguer dans les airs dans une nacelle de verre, chantant Live to Tell, alors que des panneaux diffusent des photos d’artistes morts du Sida : Keith Haring, Robert Mapplethorpe…- avant de laisser place à des photos d’anonymes. Des téléphones s’allument, Bercy se fait silencieux.
Que retenir d’autre ? Bien sûr, il y eut les retentissants La Isla Bonita, Ray of Light, Don’t Tell Me… Mais tout est bouffé par une dévotion aux “tableaux” scéniques. Des moines, une bande de faux punks cherchant à rentrer en boîte – et Basquiat se faisant recaler –, des boxeurs sur des rings, un combat entre des hommes enturbannés façon Dune et Madonna en reine orientale voilée… On ne comprend pas tout, et le manque de fluidité dans l’enchaînement des tableaux et des morceaux est flagrant. Le résultat est très poussif. Même la séquence de voguing où Madonna recrée un catwalk et attribue des 10 à celles qui enchaînent les mouvements – sa fille Estere comprise – fait un flop. Alors oui, elle cherche le contact, vraiment. Notamment en empoignant sa guitare pour reprendre I Will Survive… trop brièvement.
Elle prendra la parole à plusieurs reprises, et longuement. Une première fois pour raconter ses débuts à New York, combien elle repense à celle qu’elle fut à cette époqu, combien elle n’en revient pas du chemin parcouru. Une deuxième fois pour raconter avoir frôlé la mort et passé des jours sous oxygène à l’hôpital, mais avoir été sauvée par l’amour de ses enfants – qui l’accompagnent sur scène, l’une au piano, une autre au voguing, un troisième au solo de guitare électrique. “Je me sens comme Wonder Woman, je peux tout surmonter”, s’exclame-t-elle.
On la sent tout de même fragile, icône ayant vu la mort en face, ayant peut-être perçu que le grand divertissement ne pouvait sauver la chair, mais tout au plus assurer un semblant d’immortalité, les IA créant désormais la vie post-mortem. Plus le show avance, plus le rythme cahote, comme si elle jouait la montre, cherchant à en dire le plus possible en deux heures, nous entraînant soudainement dans un mash-up étrange de Billie Jean et Like a Virgin avec la silhouette de Michael Jackson et la sienne dansant en ombres chinoises, cherchant à nous éblouir à coups de chorégraphies, de déguisements, de performances, quitte à en oublier ce pour quoi nous étions aussi et surtout venu·es : ses chansons. Reste une forme d’auto-immortalisation fascinante, l’histoire d’une artiste qui n’aura eu de cesse de se bousculer.
Source link : https://www.lesinrocks.com/musique/madonna-show-grandiose-et-legere-deception-a-paris-600419-13-11-2023/
Author : caroleboinet
Publish date : 2023-11-13 11:26:31
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