Quelque chose s’est passé après l’invasion de l’Ukraine par la Russie que nous n’avons pas encore mesuré, trop occupés alors à analyser le terrain de la guerre, à découvrir qu’à quelques kilomètres des Européens se battaient pour vivre comme nous dans une démocratie libérale, que la Russie de Vladimir Poutine était coincée, rhétoriquement, politiquement et militairement dans la Seconde Guerre mondiale, que nous étions, nous Occidentaux, Européens, démocrates, anesthésiés par la certitude faussée que la guerre c’est les autres, qu’un Sud global, hétérogène et incohérent, mais amphétamine à marxistes à bout de souffle, nous détestait viscéralement.Mais ce qui s’est passé devant le refus d’une partie des nations de condamner l’invasion d’un Etat souverain par un autre raconte quelque chose de plus grave : l’idéologie a gagné sur le droit, la force sur la diplomatie. Les choses auraient dû se passer comme ça : le concert des nations réunies au siège de l’ONU dénonce en une seule note claire l’invasion illégitime d’un Etat par un autre. Dans un second temps, des débats auraient pu se tenir sur la légitimité des sanctions, sur le soutien sonnant et trébuchant des Occidentaux à l’Ukraine, sur la crise énergétique et alimentaire qui ne manquerait pas de toucher les pays les plus pauvres. Mais, tout de suite, instantanément, une partie du monde, ce qu’on appelle par commodité le Sud global, a dit “non” en votant contre ou en s’abstenant.Chacun avait une bonne excuse : pour les uns, c’était l’empressement de l’Occident à soutenir la guerre de ceux qui lui ressemblaient (des Européens blancs), et, pis, à accueillir des millions de réfugiés sans faire débat ; pour d’autres ce fut l’occasion de dénoncer l’impérialisme occidental en revendiquant des coups d’Etat décoloniaux (mais en se plaçant dare-dare sous la protection de Poutine et des milices Wagner) ; Lula et le pape François y virent l’occasion de redorer leurs blasons anti-impérialistes au feu du refus de s’aligner sur le grand méchant américain ; la Chine y vit pragmatiquement l’occasion d’imposer son désir de “dédollarisation” du monde et de se payer de l’énergie à bon marché ; l’Inde se frotta les mains devant les économies qu’elle pourrait faire tout en déployant sa diplomatie ; la Turquie du néosultan Erdogan se rêva au cœur du jeu, parlant à tous, commerçant à tout va, signant l’installation de futures usines de drones de demain en Ukraine, vendant et achetant en douce à la Russie, espérant un pied ancré là, un autre ici, fantasmant surtout, face à la dissolution du compromis international devant la loi du plus fort, d’annexer entièrement l’Arménie grâce à son satellite azéri ivre de sang arménien ; tous se retrouvèrent sous la bannière “Sanctionnés du monde entier, unissez-vous !”. En somme, tout le monde s’est trouvé une bonne excuse pour détester l’Occident.Où étaient-ils ?Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir réunis au Caire des dirigeants arabes de Jordanie, d’Egypte, des Emirats arabes unis et d’autres tancer l’Occident de ne pas assez se mobiliser, en dépit du droit international, pour dénoncer les bombardements d’infrastructures civiles et de civils, eux tous qui s’étaient abstenus de voter contre la Russie qui bombardait et bombarde encore des infrastructures civiles et des civils. Quelle ne fut pas ma surprise de voir la reine Rania de Jordanie, plus jeune que jamais (Avez-vous remarqué que les femmes de présidents ou de rois musulmans qui prônent la charia ne sont jamais voilées ? Que c’est réservé à la plèbe, incapable de tenir sa concupiscence en laisse ?), la larme à l’œil dénoncer le “deux poids, deux mesures” ? Mais où étaient-ils, ces nouveaux chantres de la paix, quand le Yémen subissait – et subit depuis plus de dix ans – une guerre doublée d’une crise humanitaire d’ampleur qui condamne des enfants à la faim et la maladie ? Où étaient-ils face au génocide des Rohingya en Birmanie, des Ouïgours en Chine ? Quand se sont-ils dressés contre les ratonnades meurtrières de musulmans par les suprémacistes hindous, qui effacent les empereurs moghols des manuels scolaires ? Où étaient-ils quand Bachar el-Assad massacrait sa population civile ? Ah oui, excusez-moi, ils étaient trop occupés à le réintégrer dans la Ligue arabe.Abnousse Shalmani est écrivain et journaliste engagée contre l’obsession identitaire
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Author : Abnousse Shalmani
Publish date : 2023-11-10 11:00:00
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