Une voix qu’on écoutait, mêlée à d’autres, le dimanche soir, sur France Inter, dans la fameuse émission, Le Masque et la Plume, à laquelle il participait sans discontinuer depuis le début des années 1970. Une voix qui incarnait des parti-pris qu’on pouvait trouver discutables, voire parfois irritants, mais qui avaient le mérite de leur singularité et qui, en tout cas, ne devaient pas grand-chose à l’air du temps, tant, pour Ciment, la critique de cinéma et la politique des auteur·ices faisaient figure de religion révélée.
Animateur infatigable de la revue Positif, spécialiste de la civilisation américaine, et de ce fait, parfaitement anglophone, correspondant personnel de Stanley Kubrick – il était un des très rares critiques à avoir conversé régulièrement avec un cinéaste presque invisible – et grand spécialiste de Joseph Losey ou d’Elia Kazan, Michel Ciment était un pur produit de la cinéphilie française et plus précisément d’une génération nourrie à la fois au cinéma classique américain et aux Nouvelles Vagues du monde entier qui avaient fleuri dans les années 1960, période où il avait commencé à exercer sa sagacité critique.
Entretiens avec des icônes
Héritier de la querelle historique entre Positif et les Cahiers du Cinéma, Ciment n’avait jamais cessé de ferrailler contre la revue d’André Bazin et de Serge Daney. On peut dire que les Cahiers, dont il était le meilleur ennemi, lui étaient presque aussi indispensables que sa revue Positif, car il savait que ces deux piliers de la cinéphilie française étaient les deux faces d’une même passion pour le cinéma.
Contempteur acharné, voire féroce, de Godard, Rivette, Akerman ou Straub et Huillet – cinéastes totems des Cahiers – il était parti à la recherche d’une modernité alternative représentée par des cinéastes comme Francesco Rosi, Theo Angelopoulos, Jerry Schatzberg, John Boorman, Jane Campion ou Terrence Malick… Des cinéastes avec lesquels, pour la plupart, il s’était souvent entretenu, au point de devenir un vrai spécialiste d’un exercice qui faisait, pour lui, partie intégrante du travail de critique. Plusieurs livres d’entretiens en témoigne, en particulier, Kazan par Kazan ou Le Livre de Losey dans lesquels la grande culture de Ciment lui permettait de parler à la bonne hauteur avec des cinéastes dont la trajectoire était tout de même assez complexe.
La passion éteinte
Pour l’avoir fréquenté régulièrement, en particulier, pendant dix ans (entre 1993 et 2003), à la tribune du Masque et la Plume, j’aimais l’idée d’une sensibilité critique différente de la mienne avec laquelle il était stimulant de se disputer, même s’ils nous arrivaient parfois de tomber d’accord, par exemple, sur Hou Hsiao-hsien ou Wong Kar-wai. Michel Ciment était un “adversaire” critique valeureux et coriace, qui vous mettait en situation de hausser le niveau de votre argumentation et c’était en soi une vraie qualité. Quelle que soit la manière dont on se référait à lui, il faut reconnaître à Ciment une insatiable curiosité pour le cinéma qui, jusqu’au bout, ne s’est jamais démentie.
On peut même parler à son sujet de véritable passion pour la nouveauté, lui qui adorait découvrir, à Cannes ou ailleurs, de nouveaux auteurs qu’il s’efforçait, la plupart du temps, d’inscrire dans une généalogie historique aussi précise que possible. L’érudition et le sens de la polémique étaient, chez lui, inséparables. Sa disparition coïncide avec la fin d’une époque où la critique était encore considérée comme fondamentale. Sans lui, le paysage critique français, voire international, n’aura plus tout à fait le même visage, et nos dimanches soir, plus tout à fait la même saveur.
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Author : Thierry Jousse
Publish date : 2023-11-14 11:11:31
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