On connaissait le foodporn, ces photos et vidéos ultra-esthétisées et retouchées servant à faire ressortir une coulure de sauce, l’élasticité d’un fromage fondu ou le velours d’une brioche bien faite. Destinée à éveiller les papilles et rendre presque sexuelle la confection d’une recette, le foodporn se voit rattrapé par une nouvelle tendance prête à lui voler la vedette : le foodgore.
Contraction de food et de gore, qui définit généralement des films peu avares en émulations d’hémoglobine, le foodgore envahit nos For you pages à coups d’associations d’aliments lunaires causant les pires relents vomitifs. Un gâteau au fromage blanc rempli de bonbons fondus ? De la gelée constituée de jus de cornichons, de poivrons et de merguez ? Un parpaing de viande hachée fourré aux spaghettis et recouvert de tranches de bacon ? Des cuisses de poulet panées aux éclats de chips et cuites dans de la sauce barbecue ?
Ode à la calorie
Téléphones à la main, des dizaines d’américain·es se filment en train de confectionner des plats à base d’aliments tous plus gras les uns que les autres. Ainsi, le foodgore se veut comme le cousin moins raffiné et léché de ces photos de salades super healthy postées par des influenceur·ses entre deux séances de yoga. On troque les graines et le tofu contre de la viande qui suinte, des bonbons de toutes les couleurs et des litres de sodas transformés. Ces vidéos parfois ahurissantes (qui peut bien avoir l’idée d’un cake au Ketchup solidifié ?) dépassent les frontières du réseau social chinois pour être repostées sur X (ex-Twitter), où elles sont vues et relayées par des milliers d’utilisateur·trices dégouté·es.
Les vidéos ont beau être courtes, elles prennent la forme d’émissions de cuisine accélérées, où toutes les étapes sont montrées une par une jusqu’à la dégustation finale par le cuisinier, constamment en extase après avoir goûté son plat. Une façon de jouer jusqu’au bout ce personnage de cuistot en pleine désillusion, convaincu du génie de sa recette alors que celles et ceux qui regardent son travail en ressortent répugné·es et s’empressent de l’en avertir.
Le goût du dégoût
Dans une interview pour Numerama, le maître de conférence Gustavo Gomez Mejia (auteur d’un article dédié au sujet) qualifie ces tiktokeur·euses “d’anti-influenceurs”, dont le contenu n’a pas pour but premier d’être reproduit par le public. Le véritable but ? Dégoûter les gens à tel point qu’ils se sentent obligés de commenter et partager la vidéo, créant ainsi toujours plus d’engagement. Dans les commentaires, certains dénoncent le gaspillage d’aliments (selon eux, le plat irait directement à la poubelle une fois la vidéo tournée), la consommation abusive de viande et la promotion de produits industriels et néfastes pour la santé. Quand bien même les critiques affluent, les vues continuent d’augmenter à une vitesse folle et le foodgore devient un marché véritablement lucratif.
Pour autant, selon Gustavo Gomez Mejia, le ou la spectateur·ice ne tire pas que des sentiments négatifs de ces vidéos. “La satisfaction est causée par la transgression d’un seuil” explique-t-il à Numerama. Il décrit ainsi cette curiosité malsaine qu’il associe à celle qui nous pousse à regarder des films d’horreur pour se mettre au défi jusqu’à la récompense ultime, paroxysme d’un dégoût voulu. Jusqu’où ira le cuisinier avec ces couches de viandes ? À quel point telle recette traditionnelle italienne va être déshonorée ? Dans quel soda va-t-il faire rôtir son pain de viande fourré aux chamallows ?
À bien des égards, le foodgore est à la nourriture ce que le blockbuster hollywoodien peut être au cinéma : du frisson bête et méchant qui entretient une relation amour-haine avec son public et se place en faux opposant d’une culture dominante élitiste. Les chefs Ottolenghi et Luca Pronzato n’ont qu’à bien se tenir…
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Author : Jolan Maffi
Publish date : 2023-11-15 16:03:05
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