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Magatte Wade : “Tant que l’Afrique ne sera pas prospère, le racisme existera”

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Conférencière renommée et cheffe d’entreprise, Magatte Wade a figuré, en 2014, au classement Forbes des personnalités d’Afrique les plus inspirantes. Défenseuse d’un capitalisme vertueux, sceptique à l’égard de l’aide au développement pour les pays africains, cette personnalité hors norme, que la France n’a pas su garder, plaide pour libéraliser les économies en Afrique.L’Express : Vous êtes originaire du Sénégal, vous avez fait vos études en France et vous avez la nationalité française. Alors pourquoi avoir choisi de vivre aux Etats-Unis ?Magatte Wade : Je ne me serais jamais contentée de ce qui était possible pour moi en France. Les choses ont changé, mais, à l’époque, je n’avais aucune raison de croire qu’en tant qu’immigrée sénégalaise en France, sans piston, j’aurais pu diriger une entreprise. Votre milieu, l’adresse sur votre CV et la photo qui y figure définissent votre avenir.Ma vie a changé après un échange aux Etats-Unis. Même dans le Midwest, les vibes étaient bien différentes de celles de Paris ! On m’avait parlé d’un pays raciste, l’”Amérique profonde”. Ma famille d’accueil a payé les frais de mon visa pour m’embaucher. Quand j’ai déménagé, le propriétaire m’a fait un prix sur mon loyer : “Tu viens d’arriver, c’est normal.”En moins d’un an, j’étais dans la Silicon Valley. J’avais été caissière au Carrefour de Chartres, et me voilà chasseuse de têtes pour de grandes entreprises, dont Google. On m’a donné ma chance malgré mon gros accent français, parce qu’on a vu ma détermination. Des jeunes en train de créer l’avenir jour et nuit, c’est ce que j’attendais de la vie, et la culture américaine me convenait mieux.Pensez-vous que la France soit un territoire propice à l’innovation et l’entrepreneuriat ?La France produit parmi les meilleurs talents techniques, mathématiciens, ingénieurs du monde, mais n’est pas “entrepreneur friendly”. Quand un ingénieur français sort d’une école, un jeune Américain du même âge a monté sa deuxième boîte. La même personne avec le même métier a deux avenirs totalement différents. C’est dommage, car il y a une jeunesse française entrepreneuriale, mais, le talent, on ne peut pas l’enfermer : les entrepreneurs vont là où on leur permet de créer.Les Français veulent avoir une retraite et du pouvoir d’achat, et c’est normal. Mais c’est l’entreprise et, donc, l’entrepreneur qui créent cela. Les Français ont une vision fermée de l’économie, par crainte de perdre leurs acquis. Ils cherchent à redécouper le même gâteau sans imaginer qu’on peut l’agrandir, ou qu’on peut en faire d’autres. On dit souvent que les Américains sont de grands enfants, mais les enfants voient les possibles là où les adultes voient les obstacles.Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous motive à entreprendre pour l’Afrique ?Le respect pour les Africains viendra avec la prospérité. “Le sort de tous les Noirs, où qu’ils vivent, est lié au sort de l’Afrique”, dit le président du Ghana, Nana Akufo-Addo. C’est ainsi, les stéréotypes collent à la peau noire. On ne peut toujours pas dissocier une personne noire de la manière dont on voit l’Afrique. Tout ce que je fais, c’est pour contribuer à une prospérité qui repositionnera les Africains et toutes les personnes noires sur l’échiquier mondial.C’est dans cet ordre qu’il faut agir pour lutter contre le racisme. L’activisme d’une Rokhaya Diallo ne règle pas le problème de fond. Tant que l’Afrique ne sera pas prospère, le racisme existera. Je n’ai pas de temps à perdre à dire aux gens d’arrêter d’être racistes. Pour moi, cela revient à gérer les symptômes d’une maladie, pas ses causes.Si l’Afrique est pauvre, c’est par manque de liberté économiqueComment est-ce d’entreprendre au Sénégal ?L’Afrique est le continent où l’économie est la plus surrégulée du monde. Or la surrégulation mène à la corruption. Si l’Afrique est pauvre, c’est par manque de liberté économique. Ce n’est pas un hasard si 90 % des entreprises sénégalaises sont dans le secteur informel. Etre entrepreneur légalement, c’est la croix et la bannière à cause de la bureaucratie : dès que ma société atteint une certaine taille, on a droit aux inspecteurs. Quand on m’a imposé de tripler le salaire d’une candidate, j’ai dû renoncer à l’employer.Tout doit changer, et autant commencer petit, dans les start-up cities. Au Bénin, par exemple, il y a [la nouvelle zone économique spéciale de] Glo, mais, après deux ou trois ans d’existence, elle est à peine remplie, en partie à cause du régime juridique et de la gouvernance. C’est normal : cela demande une grande expertise. Mais un entrepreneur, la première chose qu’il voit, c’est la créativité rendue possible par la juridiction, pas l’incitation fiscale.Il y a aussi un frein monétaire. Un des héritages coloniaux de la France, c’est aussi le système monétaire et juridique. Le monde africain francophone est encore le pré carré de la France avec le franc CFA, arrimé à l’euro et, donc, moins flexible.Quelles ont été vos expériences quand vous avez essayé d’apporter des projets d’investissement en Afrique ?C’est une urgence d’attirer des investissements, et de partout, pas seulement de la France. On dort sur des opportunités.Au Bénin, j’ai présenté un projet américain d’investissement majeur à l’Apiex [l’agence gouvernementale de promotion des investissements et des exportations] de 500 millions de dollars et avec des emplois à la clé. On attend toujours une réponse. Cela fait maintenant presque un an. Pendant ce temps, l’Apiex multiplie les opérations promotionnelles en France pour y séduire le secteur privé, sans grand succès. C’est à n’y rien comprendre. J’appelle ça, comme le faisait l’économiste ghanéen George Ayittey, “les hippopotames contre les cheetahs” : la bureaucratie lente et gloutonne contre les guépards, rapides et rusés.En 2014, Magatte Wade a été classée par Forbes parmi les personnalités d’Afrique les plus inspirantes.Que pensez-vous de la politique migratoire française ?En France, les politiques utilisent les immigrés pour avancer leurs pions. Pour marquer des points, certains disent : “On ouvre les frontières”, d’autres : “On va les garder dehors.” J’interpelle surtout les gens de gauche. S’ils se sentent réellement concernés par le sort des migrants, ils devraient comprendre pourquoi ils migrent. On ne quitte pas sa communauté et sa famille par plaisir. Il faut dépasser l’émotion. S’il y avait du travail en Afrique, ils resteraient chez eux. Apporter de la liberté économique n’est pas de l’ingérence : c’est résoudre un problème qui est une réalité universelle.Vous êtes critique à l’égard de l’aide au développement, pourquoi ?C’est un outil néocolonial qui crée de la dépendance. Nos dirigeants s’en mettent plein les poches. On préfère envoyer de l’Aspégic plutôt que de traiter l’origine des maux de tête. Si on traite les symptômes et non la cause, on reste en mauvaise santé.Un exemple : aux Etats-Unis, l’entreprise Toms Shoes a lancé une campagne “une paire achetée, une paire offerte à un Africain”. Au Sénégal, soyez sûr qu’avec ça aucun business de chaussures ne verra le jour. Il n’y a pas de concurrence à la gratuité. Les enfants sont chaussés, mais leurs parents resteront pauvres et ne pourront pas les envoyer à l’école. Les entrepreneurs sociaux se sont enrichis en croyant bien faire sans essayer de comprendre pourquoi ils étaient trop pauvres pour avoir des chaussures.Je ne veux pas que l’Africain vive bien au détriment du Français, et inversementPensez-vous que l’éducation a un rôle à jouer dans la transmission de la culture entrepreneuriale en Afrique ?L’éducation du monde francophone est un dinosaure. On n’apprend pas aux jeunes à apprendre, mais juste à se préparer pour l’examen. Les écoles au Sénégal sont encore marquées par cet enseignement à la française, où le professeur fait descendre le savoir vers les élèves. Avec l’IA générative, l’être humain devra être armé de créativité, de pensée indépendante, de capacité à collaborer. Le jeune Africain a besoin du “just do it”. Si nous puisons dans cette culture-là en Afrique, on y arrivera. Ainsi, j’ai créé une école entrepreneuriale qui reprend les codes de Montessori, avec un accent sur l’initiative et l’agentivité [la capacité d’action].Vous qui vivez aux Etats-Unis, que pensez-vous du mouvement Black Lives Matter ?Le mouvement soulève un problème sérieux, celui des violences policières, mais, combiné à une vision marxiste, il perd tout son sens. Comment peut-on dire que les vies noires comptent et défendre une vision marxiste de l’économie ? C’est un non-sens pour moi !Comment vous définiriez-vous politiquement ?Je suis une “libertarienne au cœur qui saigne”. Ma motivation, c’est d’améliorer la vie des gens les moins fortunés. Je crois en l’entrepreneuriat et la liberté économique comme étant de loin les outils les plus puissants. Je ne veux pas que l’Africain vive bien au détriment du Français, et inversement, je suis avant tout humaniste. Je veux créer des ponts pour que les peuples du monde se fassent la courte échelle entre eux, quelle que soit leur origine sociale ou géographique.



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Publish date : 2023-11-15 05:12:39

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Tags :L’Express

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