Même si nous n’en sommes pas toujours dupes, nous subissons le règne écrasant du “buzz”, qui capte sans cesse notre attention. Du bruit pour pas grand-chose : le buzz est largement devenu l’instrument de mesure de la valeur d’une information qui n’existe le plus souvent qu’à l’état vibratoire, à l’image de toutes les formulations choc et des simplifications lénifiantes…
Il serait tentant de s’en désoler, comme le signe d’une fatale régression de la société du spectacle à l’heure numérique. Mais à lire le nouvel essai incisif et intriguant du philosophe Dominique Quessada, Parasite, on peut aussi chercher à en comprendre la logique opaque, pour ne pas réduire le phénomène du buzz au simple triomphe de la warholisation du monde, selon laquelle tout le monde, y compris un chat grincheux, a droit à ses quinze minutes de célébrité, le buzz maximum.
Devenir viral
En philosophe attentif aux signes de son époque qu’il cherche à éclairer par-delà toute perspective morale en surplomb, Dominique Quessada esquisse une philosophie concrète du buzz, c’est-à-dire du bruit digital, dans lequel tout baigne désormais. “Tout le monde cherche aujourd’hui à ‘faire le buzz’, et à produire de la viralité. Aucun événement n’existe désormais vraiment s’il n’est porté, précédé, accompagné, créé par un buzz”, observe-t-il. Le bruit s’amplifie à l’infini, tel un parasite, dans le champ digital ; il est sa “condition vitale”, “parce que virale”.
Mais, plutôt que de tenter d’éradiquer ce virus informationnel, Quessada suggère d’apprendre à l’accepter comme un nouvel élément de notre vie psychique. Car le buzz est plus qu’une information que des gens partagent sur les réseaux sociaux. Il est cette “forme qui se distingue de l’informe d’où il émerge”, une forme qui émerge de la masse des données de l’Internet. On ne sait pas vraiment comment prend un buzz : il reste un mystère indécodable.
Intelligence alien
Comme l’intelligence artificielle, nous ne savons pas grand-chose des corrélations qui président à son fonctionnement. “Le secret du buzz – sa fonction réelle – est à trouver dans la démesure inédite de ces phénomènes, directement issus de la croissance exponentielle des capacités de calcul à stocker et traiter des données”. En raison de ce mystère même, l’auteur perçoit au fond dans le buzz quelque chose de bizarre : une “intelligence alien” surgie des tréfonds opaques du big data et de l’automatisation algorithmique.
C’est une “forme inédite de structure cognitive issue des dispositifs techniques” que tente de définir le philosophe dans cet essai aventureux, aussi limpide qu’énigmatique dans ce qu’il semble prédire : l’irruption avec cette intelligence alien d’une pensée venue d’un autre monde. En notant, avec une ironie quasi socratique, que “si elle se confirmait” cette information pourrait “faire le buzz” et s’ajouter de façon fracassante au bruit ambiant.
Dominique Quessada, Parasite, essai sur le bruit digital (Puf, collection Perspectives critiques) 208 p, 16 euros.
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Author : Jean-Marie Durand
Publish date : 2023-11-15 14:26:21
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