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Proman : la famille Gomez, des milliardaires partis de rien

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Zone industrielle de Manosque, 23 000 âmes à la ronde, au nord d’Aix-en-Provence. Coincé entre l’A51 et la Durance, un ancien entrepôt de L’Occitane, la savonnerie voisine, abrite le siège social de Proman. Grillage, bitume, bâtiment gris. Cliché connu de la France périphérique. Mais dès l’accueil franchi, surprise : dans l’atrium, une déco pétaradante semble tout droit sorte de la Silicon Valley. Baby-foot, salle de gym, cuisine ouverte, écran géant, poufs bleus et sofas orange, les couleurs de la maison. A l’étage, 150 collaborateurs, cloisons transparentes. Sur les murs, alternance d’injonction – “Work hard, Play hard” – et de bienveillance – “Pas de bla-bla entre nous” -, les slogans claquent. Comme les photos, innombrables, des fêtes organisées par l’entreprise, salariés et patrons mêlés dans un même plaisir sincère de faire partie de l’aventure.Dernière virée mémorable : Marseille-Barcelone en paquebot, pour célébrer – avec deux ans de retard, Covid oblige – le 30e anniversaire du spécialiste de l’intérim. Venus des quatre coins du monde, plus de la moitié des 4 400 salariés se sont retrouvés sur le Costa Fortuna, privatisé le temps d’un week-end d’octobre 2022. L’occasion pour le maître de cérémonie, Roland Gomez, de confier solennellement la présidence à son fils aîné et fidèle second, Roland. Même prénom, tempéraments distincts. Changement de capitaine, mais pas de cap. Un psy en ferait son miel. “Il aurait tort, balaye un proche des deux hommes : le moteur, chez eux, c’est l’action, pas l’introspection œdipienne. Même s’ils aiment se chicaner.”Le 4e acteur en Europe, derrière trois mastodontesVerbe haut et accent rocailleux, “Monsieur Gomez”, comme l’appellent les salariés, pour le distinguer de son dauphin, feint la mise au rebut. “Regardez, c’est écrit là-dessus. Je ne suis plus que le “fondateur”, tonne le patriarche, 74 ans, en brandissant sa carte de visite. Sourire affable du successeur, qui en a entendu d’autres : “Toutes les décisions stratégiques continuent d’être prises en famille.” La méthode a fait ses preuves, dans une discrétion voulue. Comme chez CMA CGM, autre dynastie sudiste, où Rodolphe Saadé, l’actuel patron, échange régulièrement avec Gomez fils.Beaucoup de Français n’ont découvert l’existence de Proman qu’à l’occasion de la Coupe du monde de rugby, dont le groupe était sponsor et recruteur officiel. Combien savent qu’il a réalisé l’an dernier 3,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont la moitié à l’international ? Chaque jour, 100 000 de ses intérimaires sont mis à la disposition de 45 000 clients dans 17 pays. Et grâce à ses 1 000 agences, dont 400 en France, l’enseigne tricolore est devenue le 4e acteur du travail temporaire en Europe, derrière les Suisses d’Adecco, les Néerlandais de Randstat et les Américains de Manpower. Tous cotés en Bourse, quand la société manosquine, contrôlée à 100 % par la famille, s’enorgueillit d’être restée indépendante.Ténacité et “bon sens”, les valeurs de la maisonDans le dernier palmarès du magazine Challenges, les parents et leurs fils – Roland, 51 ans, et Romain, 38 ans – émargent au 104e rang des fortunes françaises, avec 1,2 milliard d’euros d’actifs professionnels estimés. Des milliardaires qui ne doivent rien à personne. Mais tout à leur ténacité et à leur “bon sens”, valeurs cardinales martelées d’un Roland à l’autre. “Cette réussite entrepreneuriale est un cas d’école que nous enseignons aujourd’hui à nos équipes commerciales”, révèle José Santucci, directeur général du Crédit Agricole Provence Côte d’Azur, première banque à avoir fait confiance au clan. Reconnaissant, ce dernier lui a cédé 9 % du capital en 2007. Avant de lui racheter cette participation, dès 2011. Sans rancune. “La fidélité qui nous lie a plus de valeur que le versement de dividendes”, assure le banquier, beau joueur.Un orphelin, élevé par ses grands-parents paysansA l’entrée du vaste bureau qu’il a conservé, deux brevets encadrés font la fierté du créateur : la Légion d’honneur, épinglée en 2019 par Christophe Castaner, et la médaille d’honneur du travail, échelon or, remise en 2021 par Elisabeth Borne. Des diplômes sur le tard. La faute à une jeunesse tourmentée, qui rend d’autant plus extraordinaire l’ascension de “Monsieur Gomez”. A l’âge de dix-huit mois, son père, un Catalan réfugié en France pour échapper au régime de Franco, disparaît du jour au lendemain, emmenant sa sœur Violette, de deux ans son aînée. La rumeur les dira exilés en Argentine. L’orphelin ne les reverra jamais. “Comme ma mère n’était pas très aimante, raconte-t-il avec une pudeur soudaine, j’ai été élevé par mes grands-parents, des paysans sans le sou, dans un petit village des Alpes-de-Haute-Provence, à Lardiers. Après une scolarité chaotique, je suis allé voir le surveillant général du lycée. Je voulais gagner ma vie rapidement. Il m’a répondu : “Chaudronnier soudeur, vous trouverez du boulot dès la fin de votre apprentissage, comme un énarque !”. C’est ainsi que je suis tombé dans la tuyauterie.” Marié à 18 ans à une aspirante coiffeuse, il passe alors de chantier en chantier pour le compte d’un sous-traitant de Pechiney. “Entre chaque mission, j’avais deux jours pour boucler mes valises et trouver un meublé. Ma vie avec Evelyne tenait dans notre Simca 1 100″.Fréjus, Martigues, Avignon, Commentry, Ferney-Voltaire, Pauillac, et même Cuba, où il séjournera trois ans : l’ouvrier qualifié prend du galon, devient chef d’équipe, puis directeur d’une agence de maintenance industrielle. Mais dans les raffineries où il a fait ses classes, les deux chocs pétroliers essorent peu à peu les effectifs. A l’aube de ses quarante ans, ce bourlingueur décide alors de revenir sur ses terres natales. Avec une idée en tête : offrir à ces employeurs qu’il connaît bien, et voit s’enfoncer dans la crise, la flexibilité nouvelle et salutaire du travail temporaire. La première agence Proman, pour Professionnels de Manosque, ouvre ses portes à l’automne 1990. Roland sur le terrain, Evelyne à la compta. Nouveau départ. Et début des ennuis.Cinq ans dans le dur”On a appris le métier sur le tas et commis toutes les erreurs possibles, comme celle d’accepter les entreprises que les autres ne voulaient pas”, relate Roland junior, qui rejoint ses parents dans les mois suivants, sitôt son bac en poche. Très vite, les impayés s’accumulent. Le cauchemar du secteur. “Chaque semaine, on faisait les fiches de paye des intérimaires, poursuit le père. Les clients, eux, nous réglaient à 90 jours. Le moindre retard mettait la trésorerie dans le rouge. Et l’affacturage, pour s’en protéger, mangeait notre marge. On est longtemps resté dans le dur.” La famille tout entière survit par et pour la boutique. Ouvre le samedi, jour de marché à Manosque, pour que les hommes, qui accompagnent leurs femmes sur les étals, passent une tête. Encaisse sans broncher les persiflages des concurrents – “Gomez ? Ça fleure bon le milieu marseillais et le blanchiment d’argent…”. Elle croit en son étoile, laquelle commence enfin à briller au bout de cinq ans, grâce à la reprise d’une, deux, puis dix agences dans la région.La France au père, l’international au filsEn 2004, les Gomez débauchent Laurent Robert, responsable grands comptes chez Manpower. Bonne pioche. Avec lui, le père se met à sillonner la France, pour étoffer le réseau. Deux ans plus tard, alors que le nombre d’antennes a bondi de 40 à 80, la PME plante son premier drapeau à Paris, boulevard Magenta, artère névralgique des missions temporaires, entre les gares de l’Est et du Nord. Elle élargit ensuite sa clientèle au-delà des groupes industriels, douchés par la crise de 2008, et franchit les frontières. Suisse, Royaume-Uni, Canada, Espagne, Pays-Bas… Le Maroc et la Roumanie en 2021. L’Allemagne en ligne de mire aujourd’hui. Les cibles ? Des groupes familiaux dans lesquels Proman monte à son rythme au capital, sans brusquer les propriétaires, au gré des successions. “L’expansion nationale, c’est ‘Papa Gomez’. L’international, son fils, résume Laurent Robert, devenu entre-temps DG. Le premier a eu l’intelligence de prendre progressivement du champ. Le second, de structurer la boîte sur le plan administratif et financier, sans jamais se départir d’un profond respect vis-à-vis de son père, de son œuvre. Et de son flair.”Coup de foudre professionnelCar chez les Gomez, le courant passe tout de suite. Ou trépasse aussi sec. Patron de la branche américaine depuis 2017, Gilles Tanneur a bouclé en avril dernier l’acquisition de PeopleShare – 40 agences, 250 permanents. Un quatrième rachat qui porte désormais à un demi-milliard d’euros le chiffre d’affaires réalisé outre-Atlantique. Croissance fulgurante, qui s’est jouée… sur une rencontre. “Un samedi à Chicago, je reçois un coup de fil dans ma voiture : ‘Roland Gomez voudrait vous parler’, raconte Gilles Tanneur, briscard de l’intérim passé chez Adecco et Crit, dont il avait monté la filiale aux Etats-Unis. Je connaissais la famille de nom, rien de plus. Il me propose de venir à Manosque, séance tenante. Je lui dis que ce n’est pas possible avant plusieurs semaines. Le dimanche suivant, le fils prend un avion à Marseille et débarque ici. On a discuté le lendemain matin au bar d’un hôtel. Quatre heures délicieuses. Il m’a déroulé l’histoire de Proman, avant de me poser toutes les questions clef sur ce marché US auquel il ne connaissait pas grand-chose… et de remonter dans l’avion le soir même ! Une ‘first date’, comme disent les ados.”Conquis, et ravi de l’autonomie qu’on lui laisse depuis, le dirigeant loue chez les Gomez ce “côté ‘countryside’ dont les Américains raffolent, mélange d’humilité et de travail acharné, qui vous donne envie de vous dépasser.” La génération suivante aura-t-elle le même allant ? “Mes trois garçons feront ce qu’ils voudront”, élude Roland Gomez. L’aîné, un troisième Roland, n’a pas l’air prêt à relever le gant. Mais Jean, le cadet, est déjà venu aux Etats-Unis assister à la signature de deux deals. “Il s’intéresse…”, glisse son père. Une confidence remplie d’espoir.



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Author : Arnaud Bouillin

Publish date : 2023-11-15 16:00:00

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Tags :L’Express

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