il nous semblait jusque-là que 2023 ne serait pas une année très forte en séries. Certes, le début d’année avait été marqué par l’événement The Last of Us. Puis les semaines qui ont suivi, par la fin de Succession ou la deuxième saison de The Bear. Mais durant ces neufs premiers mois, on a eu aussi l’impression d’une usure (de la production, de notre désir pour cette production). Un nombre significatif de séries nous paraissait dérouler des programmes narratifs en pilotage automatique. Ou au contraire ployer sous les retournements tirés par les cheveux et les coups de force scénaristiques arbitraires.
Cet automne, et particulièrement ce mois de novembre, vient opportunément inverser la tendance et relancer notre désir sériel. Il y a d’abord le surgissement de The Curse, une création de Benny Safdie et Nathan Fielder, sidérante par sa férocité et son extravagance narrative. Cela faisait longtemps qu’une série ne nous avait pas donné un tel sentiment d’inventer sa propre logique, de ne pas se conformer à des modèles répertoriés. Portée par des interprètes en surchauffe (Emma Stone, Nathan Fielder et Benny Safdie eux-mêmes), The Curse est un vrai surgissement.
Le retour de Brit Marling et Zal Batmanglij
Un meurtre au bout du monde nous permet de retrouver avec joie l’inspiration ésotérique de ses deux showrunners, Brit Marling et Zal Batmanglij. The OA, leur chef-d’œuvre, impressionnait par son arborescence narrative et la prodigalité avec laquelle la série emboîtait les niveaux de fiction et les mondes parallèles. Ce n’est pas tellement sur l’audace narrative qu’Un meurtre au bout du monde nous happe. L’intrigue est un whodunit en huis clos assez classique. Mais la mise en scène parvient toujours aussi infailliblement à rajouter de l’étrangeté aux situations en apparence banale, à injecter un frisson anxiogène à ce qui, à l’écriture, devait ressembler à une succession de temps morts.
L’univers dans lequel nous plonge Tout va bien, la première série dirigée par Camille de Castelnau (scénariste du Bureau des légendes et de Drôle) frappe moins par son étrangeté que par sa familiarité. Rarement une showrunneuse française nous aura semblé dialoguer avec le cinéma d’auteur français de son temps. Il y a du Valérie Donzelli (le sujet évoque La guerre est déclarée), du Arnaud Desplechin (il y est question d’une greffe de moelle osseuse comme dans Un conte de Noël), du Christophe Honoré (Non ma fille, tu n’iras pas danser, cité en titre d’un épisode) dans ce récit choral de la vie d’une famille. Avec une finesse d’observation très aiguë, Tout va bien parvient à transfuser dans une forme sérielle très maîtrisée tout ce qu’on a aimé dans des films d’auteur français de ces quinze dernières années.
Si l’on ajoute que dans une semaine, The Crown va amorcer sa dernière ligne droite et achever un parcours de six saisons jusque-là sans faille, c’est dire si ce mois de novembre porte haut l’art de la narration sérielle.
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 15 nov. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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Author : Jean-Marc Lalanne
Publish date : 2023-11-15 10:20:54
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