Comme à la maison. Xavier Niel a donné rendez-vous, vendredi 17 novembre, à la station F, l’antre préféré des start-up parisiennes et dont il est le cofondateur, pour son grand événement “ai-Pulse”, consacré à l’intelligence artificielle. Parmi les invités prestigieux figurent le patron de Nvidia, Jensen Huang (en visio), roi du matériel informatique spécialisé en IA, ou encore Eric Schmidt, ancien PDG de Google, firme pionnière dans le domaine. Cela étant, c’est bien des ambitions du créateur de l’opérateur Free qu’il sera surtout question. Iliad, son navire amiral, s’engage dans l’IA à travers trois piliers : un laboratoire, un supercalculateur et un service cloud, le tout avec des partenaires industriels et académiques. Quelque 200 millions d’euros ont été annoncés pour soutenir cette stratégie, qui pourrait rendre la galaxie Niel incontournable dans ce domaine en plein essor depuis l’émergence de ChatGPT, il y a un an.D’après l’entourage de la 18ᵉ fortune française (selon le classement Forbes), cette conférence se veut l’antithèse de VivaTech, où le CAC 40 célèbre ses stratégies numériques sur fond de défilé de figures de la tech mondiale grâce à l’entregent unique de Publicis. L’événement de vendredi 17 novembre à la halle Freyssinet s’annonce business tendance geek, avec des présentations et des briefings techniques par des partenaires d’Iliad et des spécialistes de l’IA. Moins de “beautiful”, plus d’hommes et de femmes qui ont les mains dans le code et dans le hardware, l’infrastructure physique.La présentation la plus attendue est celle du laboratoire d’intelligence artificielle, doté de 100 millions d’euros. Selon Iliad, celui-ci entend jouer dans la même catégorie qu’un DeepMind. Lancé comme une start-up indépendante en 2010, avec un financement initial de 50 millions de dollars, DeepMind avait été acquis par Google en 2014 pour un demi-milliard de dollars (une affaire, quand on sait que son concurrent OpenAI, créateur de ChatGPT, est aujourd’hui valorisé à 90 milliards de dollars). DeepMind est devenu au fil des ans un laboratoire d’IA largement médiatisé pour avoir développé un algorithme capable de battre le meilleur joueur de go du monde ou, dans un genre plus aride mais d’une portée autrement importante, d’avoir décodé la structure interne des molécules avec son programme AlphaFold. Devenu un puits sans fond, DeepMind a été réintégré cette année dans le giron de Google, qui a réduit considérablement les dépenses ; autour de 700 millions par an quand même… Tel est donc le modèle de Xavier Niel pour ce laboratoire dont il va dévoiler les partenaires ainsi que l’équipe principale, une demi-douzaine de chercheurs d’envergure mondiale.A l’assaut du cloudCette structure pourra s’appuyer sur le deuxième pilier du dispositif : le supercalculateur géré par une filiale d’Iliad, créée en 1999, Scaleway. Nvidia a fourni un millier de puces H100, un seuil stratégique en termes de puissance, à ce jour relativement rare dans l’IA. Le groupe Iliad ne commente pas le prix de sa machine, baptisée “Nabu” (diminutif de Nabuchodonosor), mais cette dernière engloutit une bonne partie des 100 millions d’euros restants, confirme-t-on. Il faut dire que le prix des puces H100, au tarif catalogue de 36 000 dollars, a même augmenté de 16 % au cours du seul mois de septembre tant la demande est forte. L’investissement est justifié : Scaleway affirme que sa capacité de calcul sera la plus importante du continent européen pour ce qui est des machines dédiées à l’IA – d’autres supercalculateurs, notamment utilisés pour la physique nucléaire, sont sans commune mesure, mais sont directement financés par les Etats. Une première version “mini” de l’outil, Jeroboam, a déjà été mise en service et a participé à l’entraînement de petits modèles, affirme Scaleway. Sans en préciser les bénéficiaires.Troisième composante de l’ensemble, et non des moindres : Scaleway envisage également de devenir “le plus grand cloud public européen dans l’intelligence artificielle”, indique à L’Express son directeur général, Damien Lucas. En plus d’entraîner les modèles, la firme souhaite ainsi gérer au sein de ses infrastructures ce que l’on nomme “l’inférence”. Soit l’utilisation au quotidien des chatbots ou des générateurs d’images, par exemple. Au total, Iliad compte à ce jour sur huit data centers, répartis entre ses entités Scaleway et Free Pro. Cet été, le groupe avait discrètement chapeauté une nouvelle entité dédiée à tous les data centers d’Iliad et baptisée “OpCore”, chargée de plancher sur l’architecture de ces bâtiments très énergivores.Mais la question brûlante demeure la portée de l’investissement global de 200 millions d’euros de Xavier Niel. Une somme significative, mais qui reste lilliputienne par rapport à celles déboursées par les “hyperscalaires” que sont AWS (filiale cloud d’Amazon), Microsoft et Google, dont les dépenses en capital (capex) s’envolent à un rythme de 15 à 20 % par an. Ils devraient atteindre 116 milliards de dollars en 2024, selon une étude de Bank of America. “L’investissement que l’on a annoncé n’est que le premier”, rétorque Damien Lucas. Une “phase 2” du plan Niel, encore secret, serait dans les tuyaux. Par rapport à ces grands clouds généralistes, engagés dans une course à l’investissement pour prendre les positions de demain, Scaleway va néanmoins devoir faire preuve de beaucoup d’imagination – et d’agressivité commerciale – pour trouver les niches ultraspécialisées où il offrira mieux et moins cher que les géants.Niel et ses (nombreux) amisUn levier est actionnable assez rapidement : celui de la souveraineté, une préoccupation qui monte en puissance en France. Il s’agit pour les entreprises de se reposer, pour le stockage de leurs données, sur des clouds locaux respectueux des règles de l’Union européenne. A ce jour, bon nombre d’entre elles ont recours à des prestataires américains sous le coup du Cloud Act. En bref : ces précieuses data sont consultables par les autorités américaines dans certains cas de figure. “Sans infrastructure souveraine, on risque de limiter les entreprises qui ont d’importantes exigences réglementaires”, dans la santé ou la défense, par exemple, analyse Stéphane Roder, à la tête de l’agence AI Builders.Iliad souhaite également profiter du “momentum” politique autour de l’IA (la France a récemment posé 500 millions d’euros supplémentaires afin d’aider la filière à se développer), dans le but de négocier quelques avantages. Ces derniers pourraient notamment prendre la forme d’une ristourne sur les prix de l’énergie, car entraîner des modèles et les utiliser requiert énormément d’électricité. Rencontré par L’Express, Guillaume Avrin, coordinateur national pour l’intelligence artificielle, jugeait ce type de dispositifs possible afin de gagner en compétitivité, et potentiellement utile à d’autres acteurs français, tels qu’OVHcloud, lui aussi lancé dans le marché de l’IA. La France a par ailleurs l’avantage de bénéficier d’une énergie très largement décarbonée, un point important pour les entreprises. Si bien que l’Hexagone est pour le moment plutôt bien positionné dans la grande course de l’IA. “On a la chance d’avoir à Paris un écosystème incroyable”, estime Matthieu Rouif, cofondateur de l’application PhotoRoom. De la formation en mathématiques, parmi les meilleures du monde, aux données de qualité et jusqu’aux start-up, dont un grand nombre – ce n’est pas un hasard – sont reliées d’une manière ou d’une autre au serial investisseur Xavier Niel. C’est le dernier atout, majeur, dans la manche d’Iliad et de Scaleway.Les start-up Mistral AI, qu’un tour de table en cours pourrait valoriser à 2 milliards de dollars, mais aussi Poolside, Nabla, ou encore PhotoRoom ont toutes été financées à divers stades par Niel et ses filiales Kima Ventures ou NJJ Capital. Le circuit entre Scaleway et Kima est déjà une “boucle qui fonctionne bien”, indique Jean de la Rochebrochard, gestionnaire du fonds de l’homme d’affaires, spécialisé dans les amorçages (participations de quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros). On peut s’attendre à ce que ces pépites “maison” soient placées en vitrine du nouveau cloud Scaleway et agissent en “aimants à talents”, pointe le patron de Kima Ventures. L’enveloppe d’Iliad contient d’ailleurs quelques millions réservés aux start-up. Rien de surprenant à cela. Niel s’est taillé une réputation dans la French Tech, avec ses différents investissements sur des paris devenus licornes, comme Alan, Deezer ou Sorare. Puis via ses écoles : 42, la plus tech, qui essaime partout dans le monde, l’Albert School, autour de la data, toute neuve (fondée en 2022), ou encore l’Eemi, l’école de métiers de l’Internet, lancée en 2011 avec les patrons de Meetic et de Vente-privée (devenue Veepee). Enfin, bien entendu, via la pépinière de start-up Station F, véritable totem dans lequel a grandi Hugging Face, ce hub de l’IA open source aujourd’hui valorisé à 4,5 milliards de dollars, et qui dynamise déjà tout l’écosystème européen. “Il y a vingt-cinq ans, la révolution s’appelait Internet, et on était là”, a déclaré Xavier Niel lors de l’annonce de son investissement de 200 millions d’euros. En se positionnant à nouveau sur les infrastructures de base, le père de la Freebox semble bien décidé à opérer le même coup dans l’intelligence artificielle.
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Author : Frédéric Filloux, Maxime Recoquillé
Publish date : 2023-11-15 17:00:00
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