Au mitan des années 2010, c’est un monde nouveau que Toyota voulait explorer avec sa berline Mirai au nom évocateur – il signifie “futur” en japonais. Un monde dans lequel les voitures rouleraient à l’hydrogène. Équipés d’une pile à combustible, ces véhicules électriques ne rejettent que de la vapeur d’eau et peuvent être rechargés en autant de temps qu’il en faut pour réaliser un plein d’essence. Moins d’une décennie plus tard, ces ambitions semblent s’être fracassées sur le mur du marché. Au salon automobile de Tokyo, il y a quelques jours, l’un des porte-parole du constructeur japonais a admis l’échec de cette première voiture à hydrogène. “Nous avons essayé la Mirai, sans succès”, a lâché Hiroki Nakajima, le directeur technique de Toyota, auprès du magazine britannique Autocar.Sans renoncer à une technologie dont il est toujours l’un des plus fervents défenseurs, le géant japonais dit vouloir concentrer ses efforts sur les véhicules utilitaires. Avant Toyota, un spécialiste de l’hydrogène avait mordu la poussière. Le français Hopium a été placé en redressement judiciaire, faute d’être parvenu à produire un seul de ses modèles de luxe. Côté demande, la métropole de Montpellier a renoncé à l’achat de bus à hydrogène en 2022, tandis qu’outre-Rhin, la Basse-Saxe délaisse les trains équipés de piles à combustible pour des raisons de coût. Des annonces qui sèment le doute. L’heure de l’hydrogène dans la mobilité a-t-elle déjà sonné ?”Ce sera comme l’essence et le diesel”Dans la banlieue de Lyon, les dirigeants de Symbio balaient l’hypothèse d’un revers de main. Propriété de Michelin, Forvia et Stellantis, la jeune entreprise poursuit sa montée en cadence. En 2026, elle compte produire 50 000 systèmes de piles à combustible par an, afin d’équiper en priorité des utilitaires. “Les volumes sont importants dans ce segment, ce qui permet de faire baisser les coûts. Les piles à combustible sont adaptées aux véhicules à destination des professionnels car la performance requise n’est pas suffisamment satisfaite par la batterie : ils doivent être dotés d’une autonomie élevée, et permettre une recharge rapide, sans réduction de charge utile”, justifie Christophe Schramm. Aux yeux du vice-président de Symbio en charge du marketing et de la stratégie, l’avenir est clair : “Les véhicules électriques à piles à combustible et à batteries sont complémentaires. Ce sera comme l’essence et le diesel.”A la tête de France Hydrogène, la structure qui fédère les membres du secteur, Valérie Bouillon-Delporte partage ce diagnostic. “15 à 30 % des usages ne peuvent pas être couverts par les batteries dans le domaine des utilitaires, d’où l’intérêt de l’hydrogène, précise la première vice-présidente de l’association. La technologie a aussi du sens dans le cas des camions et des bus utilisés sur de longues distances.” Aux yeux de cette figure emblématique du secteur en France, les transports apparaissent aussi comme un moyen pour les producteurs de ce précieux gaz – dans sa version décarbonée, bien sûr – “de dérisquer leurs investissements en se dirigeant vers des usages disponibles à court terme”.Un rendement moindreL’hydrogène et la mobilité semblent avoir donc tout du couple parfait. Mais les nuages d’incertitudes restent nombreux dans le ciel de leur relation. En tête, figure le sujet de l’approvisionnement en hydrogène. Pour décarboner véritablement les transports, autant miser sur de l’hydrogène décarboné : celui-ci doit donc être produit par électrolyse de l’eau grâce à de l’électricité issue des renouvelables – a minima avec du nucléaire. Or, cette production est très énergivore, ce qui devrait en faire une ressource rare et chère. D’autant que le transport de l’hydrogène reste une gageure. D’où l’intérêt de l’allouer à des secteurs dont la décarbonation ne pourra pas se faire sans son aide. C’est le cas de la chimie, déjà grosse consommatrice d’hydrogène “gris” – issu d’énergies fossiles – et de l’acier. Il pourra aussi être utile au transport maritime et aérien, puisqu’il entre dans la production de l’ammoniac et des carburants de synthèse.Autre point d’achoppement dans le cas des transports terrestres : le rendement d’une pile à combustible reste très en deçà des performances des batteries, dont l’autonomie et le temps de recharge s’améliorent par ailleurs très rapidement. “Quand on chiffre les pertes d’énergie dans les véhicules, on s’aperçoit que pour un modèle à batteries, elles sont de l’ordre de 5 % à la recharge. Malgré les pertes supplémentaires sous le capot, on arrive à un rendement de 77 %. Pour l’hydrogène, l’électrolyse représente 22 % des pertes d’énergie, auxquelles s’additionnent celles liées à la conversion de l’hydrogène en électricité dans la pile à combustible. Le rendement d’un tel véhicule n’atteint que 30 %”, calcule Diane Strauss. Et la directrice du bureau français de l’ONG Transport & Environment (T&E) de conclure que l’électrification des transports terrestres doit passer en priorité par les batteries. Pas sûr que cela ravisse les partisans de l’hydrogène.
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Author : Julie Thoin-Bousquié
Publish date : 2023-11-16 04:53:20
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