Tout près de la rivière Sambre, dans le nord de la France, un homme attaque des femmes seules au petit matin. Il le fait par-derrière avec une cordelette, puis les agresse sexuellement ou les viole. La scène se répète des dizaines de fois à partir des années 1980, durant trente longues années. Trois décennies d’errance policière, et surtout d’indifférence générale au sort des victimes avant l’arrestation d’un homme ordinaire. Cette ample affaire criminelle est aujourd’hui le sujet d’une série réalisée par Jean-Xavier de Lestrade, dont l’œuvre prend chaque année plus d’épaisseur.
Révélé il y a une vingtaine d’années par sa série documentaire Soupçons, qui a lancé la mode internationale du true crime, le Français a ensuite posé sa patte sur des fictions souvent inspirées, de 3 fois Manon et Manon 20 ans à Laëtitia, d’après le roman d’Ivan Jablonka.
Cauchemar
Le réalisateur continue ici dans sa veine réaliste son interrogation des rapports de pouvoir hommes-femmes. Pour cela, il épouse un parti pris fort : ne pas montrer les agressions – sauf une – mais les entendre d’abord racontées par celles qui les ont subies. Sambre crée patiemment, par le seul biais de sa narration, une communauté de personnages féminins qui ont vécu le même cauchemar et l’ont raconté à la police ou à la justice.
Scénarisés par Alice Géraud (autrice du livre Sambre : radioscopie d’un fait divers chez Lattès, dont la série est l’adaptation) et le chevronné Marc Herpoux, les six épisodes adoptent un rythme à la fois chronologique et thématique, avec des personnages-clés mis en avant successivement, que ce soit la première victime jouée par la formidable Alix Poisson, une juge, plusieurs policiers, la maire de la ville (Noémie Lvovksy), une scientifique (Clémence Poésy), ou le criminel lui-même, pour finir.
Un “bon” père de famille
Ce large spectre donne à l’ensemble une vision quasi panoptique, un point de vue sur l’évolution d’un territoire et d’une société depuis les années 1980 – on pense, par certains aspects, à la minisérie méconnue de David Simon, Show Me A Hero.
Ici, le quotidien est rythmé par l’usine et les hommes, de façon presque systématique et automatique, n’écoutent pas les femmes. Sambre révèle dès le premier épisode l’identité du violeur, comme pour signifier que chacun·e, au fond, pouvait le connaître. Nous regardons vivre un homme intégré, un “bon” père de famille tout juste colérique, entraîneur de l’équipe de foot du coin, ouvrier compétent.
Il faudra trente ans pour le confondre, alors que son mode opératoire ne change pas. Jean-Xavier de Lestrade montre avec une acuité totale comment et pourquoi cet homme a échappé à la police, avec des scènes féroces impliquant des fonctionnaires qui brutalisent verbalement les victimes ou ne se donnent pas les moyens d’agir. En face, des femmes tentent de s’exprimer ou d’oublier. Une société du silence et du déni ressemble à cela. Cette société-là coûte cher et gâche des vies : telle est la leçon, subtilement argumentée, d’une série qui réussit à rester captivante tout en déroulant un programme tristement prévisible.
Sambre de Jean-Xavier de Lestrade, avec Noémie Lvovsky, Clémence Poésy, Alix Poisson, Olivier Gourmet. En replay sur le site de France Télévisions.
Source link : https://www.lesinrocks.com/series/sambre-sur-france-2-30-ans-de-silence-racontes-dans-une-serie-captivante-600573-16-11-2023/
Author : Olivier Joyard
Publish date : 2023-11-16 09:14:43
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
