En ouverture de cette première semaine du Festival TNB à Rennes, on découvre, salle Vilar, la première en France du spectacle de la compagnie australienne Back to Back Theatre, dont la troupe est constituée d’acteurs et d’actrices en situation de handicap mental. Derrière son titre poétique The Shadow Whose Prey the Hunter Becomes (L’Ombre dont le chasseur devient la proie), le spectacle prend la forme d’une conférence souvent très drôle, où les trois interprètes assument leur handicap pour mieux nous piéger au fil de leurs échanges en faisant voler en éclats les bons sentiments et le politiquement correct.
Leur volonté d’être accepté·es pour ce qu’ils et elles sont est l’occasion d’une série de gags, où ils font leur miel d’un trac qu’ils partagent avec tou·tes les comédien·nes ou du trou de mémoire qui les guette au détour d’une phrase. Refusant de se laisser enfermer derrière des barrières où on les cantonne, ils questionnent la prétendue domination de notre intelligence en lançant un débat sur l’intelligence artificielle. L’occasion d’imaginer une civilisation du futur, où les machines à penser vont être capables de faire la loi dans nos sociétés en ramenant tout un chacun à plus d’humilité.
Magnifiques de présence et d’écoute entre elle et eux, Simon Laherty, Sarah Mainwarning et Scott Price ne ratent jamais une opportunité pour nous mettre en porte à faux, en épinglant sans ménagement leurs propres fragilités, pour rebondir sans prévenir sur une pique bien sentie, qui brise le quatrième mur. Minimaliste dans sa forme, le spectacle est de ceux qu’on ne risque pas d’oublier, tant cette rencontre est chargée de justesse à travers une générosité qui exclue la démagogie en privilégiant la force de l’incorrection qui déstabilise. Manière de prouver que ceux qui sont venus ici en pensant être des chasseurs, se retrouvent au final à expérimenter depuis l’orée du plateau le sentiment bluffant d’être, l’espace d’un moment, devenus leurs proies.
L’exploration des méandres de l’âme
Direction Le Triangle pour découvrir Extra Life, la dernière création de la chorégraphe et metteure en scène Gisèle Vienne. Sur l’immense plateau plongé dans la nuit et la brume, tout commence dans une voiture arrêtée sur un parking tous phares allumés. Après avoir quitté une fête où ils ont croisé une fille qu’ils ont trouvé très belle (Katia Petrowick), on assiste aux retrouvailles d’un frère (Theo Livesey) et d’une sœur (Adèle Haenel) qui ne se sont pas revus depuis vingt ans.
Une tendre complicité les unit et ils retrouvent des joies qui sont celles de l’enfance en dévorant des chips, en écoutant à la radio une émission dédiée aux extra-terrestres et en se comparant à l’équipage d’un vaisseau intergalactique. La raison de leur séparation ne tarde pas à remonter à la surface, quand ils s’amusent à contrefaire leur voix comme dans les dessins animés, pour rire d’une histoire qui fait peur, celle de deux enfants abusé·es par un certain tonton Jacky.
Ce scénario qui compile à plaisir des situations qui donnent une impression de déjà-vu est une rampe de lancement pour Gisèle Vienne. Quand on s’aperçoit que le décompte du temps s’est arrêté à 5 h 38, le spectacle bascule dans une autre dimension et il est l’heure de se lancer dans l’exploration des méandres de l’âme et ceux de l’espace-temps à travers des visions dignes de celles de Stanley Kubrick dans 2001, l’Odyssée de l’espace. Sur des compositions originales de Caterina Barbieri, c’est en multipliant les effets qu’offre la technologie des lasers que les lumières signées par Yves Godin s’avèrent purement stupéfiantes.
Invitation dans un univers troublant
Prodigieuses dans l’invention de paysages et d’architectures qui nous projettent dans les ailleurs d’un inconscient où les rêves sont aussi sombres que fascinants. Un univers apte à enfermer le trio des protagonistes dans la transparence liquide de tunnels sous-marins, à les contenir sous les ors d’un plafond immatériel ou à les soumettre aux menaces de la trame rougeoyante d’une toile d’araignée géante.
La danse s’accorde à ces images, elle témoigne d’une gravité modifiée où les corps se déplacent au ralenti, elle rend aussi compte des mouvements d’attraction-répulsion qui parcourent ces êtres électrisés et sait se faire sensuelle quand il s’agit d’assumer la séduction et le désir charnel qui réunit ces trois-là. Un bouleversant parcours d’hallucinations qui entraine la dissolution du groupe et annonce le retour forcé vers une solitude retrouvée.
En nos temps troublés, le cauchemar du réel à dénoncer n’est jamais loin. Après les saluts et des applaudissements nourris, les artistes sont revenu·es sur le plateau pour témoigner de leur soutien au peuple palestinien et relayer l’appel des 7000 artistes de la scène française, travailleurs et travailleuses de l’art qui unissent leurs voix en appelant à la mobilisation collective pour un cesser de feu dans la bande de Gaza.
The Shadow Whose Prey the Hunter Becomes, par la compagnie Back to Back Theatre, écriture collective, mise en scène Bruce Gladwin, en anglais surtitré en français. Avec Simon Laherty, Sarah Mainwaring, Scott Price.
Jusqu’au 18 novembre à 18 h, Festival TNB, salle Vilar, Rennes.
Le 25 novembre, Morlaix.
Du 7 au 9 décembre, Théâtre Garonne, Toulouse.
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, du 13 au 17 décembre, Théâtre de la Bastille.
Extra Life, conception, chorégraphie, mise en scène et scénographie Gisèle Vienne. Avec Adèle Haenel, Theo Livesey, Katia Petrowick.
Jusqu’au 18 novembre à 15 h, Festival TNB, Le Triangle, Rennes.
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, du 6 au 17 décembre, MC93, Bobigny.
Les 18 et 19 janvier 2024, Tandem Scène nationale, Douai.
Les 31 janvier et 1er février 2024, MC2, Grenoble
Du 21 au 24 février 2024, Comédie de Genève, Suisse.
Les 27 et 28 mars 2024, Le Volcan, Le Havre.
Source link : https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/au-festival-tnb-a-rennes-gisele-vienne-et-back-to-back-theatre-font-date-601238-17-11-2023/
Author : Patrick Sourd
Publish date : 2023-11-17 11:36:37
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