De passage à Paris début novembre, la première dame ukrainienne, Olena Zelenska, était là, notamment, pour promouvoir le travail de sa fondation, créée en septembre 2022, et lever des fonds internationaux afin de protéger la vie des Ukrainiens à l’arrière du front : bâtir des abris dans les écoles, reconstruire les hôpitaux détruits, acheminer l’aide humanitaire… Directrice de cette fondation, Nina Horbachova a pour tâche de répartir de manière efficace les fonds pour la reconstruction des infrastructures scolaires, médicales et culturelles. Entretien.L’Express : Pouvez-vous dresser un bilan général de l’action de la Fondation Olena Zelenska après plus d’un an d’existence ?Nina Horbachova : Bien que la fondation soit très jeune, nous avons plusieurs résultats encourageants. Ainsi, nous avons réuni plus de 25 partenaires dans le monde entier, principalement des philanthropes, des corporations, des gouvernements et des institutions internationales. Depuis un an, nous avons récolté près de 10 millions de dollars [9,2 millions d’euros]. Mais le volume total de nos projets, c’est-à-dire à la fois la participation financière et les dons sous forme de matériels (ordinateurs pour l’éducation en ligne des enfants, générateurs…) – s’élève a près de 48 millions de dollars [44 millions d’euros].Nous sommes présents dans 19 des 24 oblasts de l’Ukraine, surtout dans les zones proches de la ligne de front. Nous étions, par exemple, parmi les premiers, l’année dernière, à lancer des projets dans les oblasts tout juste libérés de Kharkiv et de Kherson. Nous avons fourni des générateurs et des systèmes de traitement d’eau – tout ce que nous pouvions faire pour que la population puisse tenir pendant l’hiver, alors que la Russie attaquait les infrastructures énergétiques critiques.Justement, craignez-vous l’hiver qui arrive ?Bien sûr. Nous nous préparons à des attaques russes sur les infrastructures énergétiques, comme l’an dernier. A l’époque, nous n’étions pas du tout prêts. Cette fois, nous sommes beaucoup plus forts et plus sûrs de nous. Cela étant, nous invitons nos partenaires à nous envoyer massivement des générateurs, qui seront installés en priorité dans les écoles et les hôpitaux. Mais nous ne cherchons pas pour autant à nous habituer à la guerre : c’est impossible, nous ne le pourrons jamais.Comment la fondation va-t-elle participer à la reconstruction du pays ?La reconstruction de l’Ukraine passe avant tout par le retour à la vie normale de la population. D’après nos estimations, entre 70 et 80 % des bâtiments résidentiels ont été détruits dans les régions près de la ligne de contact. La priorité de l’Etat est avant tout de reconstruire les bâtiments résidentiels et de mobiliser l’aide humanitaire pour la population. Une de nos priorités est le bien-être des enfants, notamment ceux qui ont perdu leurs parents. En Ukraine, un réseau de familles d’accueil a été mis en place, certaines d’entre elles accueillent jusqu’à 10 orphelins.Nous avons hérité d’orphelinats de la période soviétique, mais nous voulons que ces institutions disparaissent au profit de familles d’accueil, où les enfants peuvent vivre dans un vrai cadre familial. Actuellement, il existe plus de 1 300 familles d’accueil qui remplissent le rôle d’éducateur. Toutes ont reçu une formation sur cette question. Le problème, c’est que 400 de ces familles ont été chassées par la guerre, et 80 d’entre elles ont vu leur maison complètement détruite. Pour ces familles, nous avons développé un programme, “L’adresse de l’enfance”, pour leur construire des résidences – 14 ont déjà été bâties.Autre projet, la reconstruction de l’hôpital d’Izioum, une ville qui a connu sept mois d’occupation. C’était l’hôpital principal de l’oblast de Kharkiv. Il couvrait les besoins de 150 000 personnes. Aujourd’hui, civils comme militaires reviennent à Izioum, bien que la région soit encore minée. Nous avons déjà envoyé 1 million de dollars [920 000 euros] pour la reconstruction de quatre blocs opératoires.Nous avons aussi un grand projet de reconstruction d’un complexe créatif et sportif à Borodianka, dans la région de Kiev. Ce centre a été complètement détruit par les Russes, et sa reconstruction permettra à 2 000 enfants de retrouver des activités sportives et créatives.Parmi les grandes priorités, il y a, enfin, la reconstruction des écoles et des crèches, et l’aménagement d’abris dans ces établissements. Aujourd’hui, plus de 4 000 d’entre eux n’ont pas d’abri. Quatre écoles sont actuellement en reconstruction et on profite du chantier pour transformer leurs sous-sols en abris antiaériens, afin qu’ils soient accessibles à tous, selon les standards de l’Etat.L’attention et la couverture médiatique internationales portées à l’Ukraine sont en baisse. Le remarquez-vous dans votre travail de levée de fonds pour la fondation ?Je ne peux pas dire que l’attention envers notre fondation a diminué. Nous continuons de bénéficier de la confiance de nos partenaires, qui voient les résultats concrets de ce qu’ils investissent pour nos trois priorités d’action (médical, éducation et aide humanitaire). L’aide aux enfants est particulièrement motivante pour eux.La fondation est très concentrée sur la santé mentale de la population. Quelles sont les priorités, et peut-on parler librement de santé mentale en Ukraine ou est-ce encore tabou ?Ce n’est pas du tout tabou. Elle l’était encore à l’époque soviétique, mais, aujourd’hui, nous avons compris que nous devions en parler franchement. Il existe un programme d’Etat de santé mentale, patronné par la première dame d’Ukraine, qui veille au rétablissement psychologique des civils et des militaires, et qui a été développé dans chaque région.En ce qui concerne les actions de la fondation, nous nous concentrons sur l’aide aux enfants. Ainsi, cette année, nous avons offert à 200 familles d’accueil, soit 1 400 adultes et enfants, des séjours deux semaines dans les montagnes des Carpates, dans l’ouest de l’Ukraine, afin qu’ils prennent des vacances et puissent se reposer, s’évader… Il y a aussi des projets pour la santé psychique des enfants qui ont vécu des situations particulièrement dures – par exemple, avoir été témoin de la mort de leurs propres parents, tués par les Russes.Des millions d’Ukrainiens ont fui le pays et la guerre pour s’installer en Europe. Avez-vous l’espoir qu’ils reviennent ?Bien sûr que nous voulons qu’ils reviennent, et le plus vite possible, nous avons grandement besoin d’eux ! Tout ce que nous faisons, c’est pour préparer leur retour : la rénovation des bâtiments médicaux, des écoles, des lieux d’art et de culture… Je donne un exemple : à Boutcha et à Irpine, à une vingtaine de kilomètres de Kiev, des crimes de guerre impensables ont été commis entre février et mars 2022. Dès le mois de juin, des gens commençaient à revenir. Mais la mère qui a quitté l’Ukraine avec ses enfants ne reviendra, elle, que lorsqu’elle jugera que la situation est complètement sûre pour sa famille.Malheureusement, nos enfants sont toujours forcés de vivre sous les bombardements. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour qu’ils deviennent non pas une génération de victimes, mais celle des vainqueurs de cette guerre. L’aptitude des enfants à oublier cette guerre au fil du temps et, malgré tout, à vivre normalement est impressionnante.
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Publish date : 2023-11-17 16:23:21
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