Des fumigènes et des drapeaux. S’ils n’avaient pas été roses, on aurait pu s’imaginer au Stade de France. Mais nous sommes à Paris, ce jeudi 16 novembre, où la Manif pour Tous reprend du service. Rebaptisée le Syndicat de la famille, l’association organise un rassemblement pour protester, cette fois, contre la GPA. Dans son viseur, le projet européen de légiférer sur un certificat de parentalité, qui obligerait tous les États membres de l’Union européenne à reconnaître les GPA pratiquées à l’étranger. En première ligne, Marion Maréchal. L’ancienne députée FN, aujourd’hui tête de liste pour les élections européennes de Reconquête (le parti d’Eric Zemmour) était déjà en tête de cortège, 10 ans plus tôt, lors de la mobilisation pour protester contre l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Elle était accompagnée, à l’époque, de plusieurs frontistes, dont Nicolas Bay et Stéphane Ravier. Tous deux, depuis, ont déserté le parti de Marine Le Pen pour se joindre à Eric Zemmour. Ce jeudi, en parcourant la foule, nulle trace d’un quelconque élu du Rassemblement national. Depuis son arrivée massive à l’Assemblée, le parti d’extrême droite a, semble-t-il, déserté les thématiques sociétales.Interrogé sur sa présence éventuelle à la manifestation, un influent député RN rétorque : “Oula, non.” Dieu (ou qui que ce soit d’autre) l’en garde. Un autre, lui, répond : “Je n’y serai pas, mais je soutiens pleinement le message de la manifestation contre la GPA !”. Deux messages, deux ambiances. Deux lignes, aussi. Car depuis des années, les sujets sociétaux embarrassent le parti à la flamme. Coexistent au sein de la formation mariniste deux tendances : la frange catholique conservatrice sur les mœurs, et les tenants d’une ligne plus libérale, voire libertaire. Deux visions irréconciliables, en somme. S’agissant de la GPA, Marine Le Pen a pourtant donné la position officielle dans son programme de 2022. Elle prévoit le renforcement de l’interdiction de la gestation pour autrui, pour “éviter les contournements de la loi en ayant recours à des filières étrangères”, et le refus de reconnaître la filiation des enfants étrangers nés de la GPA.”Il y a un débat au RN sur la GPA””Il y a un débat au Rassemblement national sur la question”, assurait toutefois le député RN Julien Odoul, en septembre, au micro de France Culture. “Je ne sais pas si c’est souhaitable. Je comprends le désir d’enfant, que des couples homosexuels aient envie de construire une famille, il faut voir ce que ça véhicule, il faut que ce soit encadré. Sur les questions sociétales j’ai un regard assez lucide et pragmatique, je ne suis pas arc-bouté sur ces questions-là”. En privé, d’autres élus reconnaissent être favorables à la légalisation de la GPA. De quoi provoquer la colère de certains de leurs camarades. “La GPA c’est la ligne rouge, s’agace l’un d’eux. Et après la GPA ce sera quoi ? Je ne comprends pas comment on peut être au RN et être favorable à l’idée de commercialiser un utérus.” Le débat reste encore flou, puisque aucun texte sur la question n’est prévu, pour l’heure, à l’agenda de l’Assemblée nationale. Mais si tel devait être le cas, les opposants à la GPA espèrent qu’une consigne de vote sera donnée, et qu’elle collera au programme de 2022.Il y a un an, une autre question avait divisé le groupe frontiste : celle de l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Sur les 89 députés, 38 avaient voté pour, 23 contre, et 13 s’étaient abstenus. Marine Le Pen, elle-même, avait varié de position à plusieurs reprises, avant de voter pour. Les plus conservateurs, quant à eux, avaient été invités à la discrétion la plus exemplaire. Officiellement, “pour ne pas tomber dans le piège” de la division tendu par leurs adversaires politiques. Officieusement, pour ne pas laver leur linge sale en public. Car sur les sujets sociétaux, le ton monte rapidement chez les frontistes. Et tous en sont conscients. “On n’aime pas ces sujets, parce qu’on sait que ça va diviser”, confie un député sous couvert d’anonymat. “C’est vrai qu’à chaque sujet sociétal, on se dit que ça va être un nid à emmer***, qu’il va falloir se positionner, et que ça va être corrosif en interne”, ajoute un autre. En cas de conflit, le RN brandit donc sa solution : la liberté de vote. Celle-ci s’applique, au sein du groupe, pour tous les sujets “qui touchent à l’intime”.Des désaccords sur la fin de vieCela devrait être le cas, à la rentrée, pour le projet de loi sur la fin de vie, porté par le gouvernement. Sur ce sujet, encore, les positions varient. Plusieurs parlementaires sont favorables à l’extension de la loi Claeys-Leonetti, voire à la mise en place du suicide assisté. C’est le cas par exemple du député de la Somme Jean-Philippe Tanguy. L’an dernier, en réunion de groupe, Marine Le Pen, opposée à une évolution de la législation, avait rappelé sa position : “Avant l’euthanasie, mieux vaut développer les soins palliatifs.” Tous n’avaient pas été convaincus. Alors, plutôt que de s’épuiser à gérer des divergences de ligne, la présidente du groupe RN avait évacué le sujet : ce sera une liberté de vote.La même recette est d’ailleurs appliquée à plus grande échelle. Sur les questions sociétales, le Rassemblement national ne propose pas de vision propre, ni de grand récit. Sur tous les sujets qui touchent à l’intime, Marine Le Pen en appelle au référendum. S’en remettre à la décision populaire plutôt que de trancher en son nom. Voilà une belle parade, comportant le double avantage d’éviter d’aborder les questions abrasives et de diviser, y compris au sein de son propre camp. “Mais n’est-ce pas le rôle d’un parti politique de proposer un projet de société complet ?”, interroge un cadre de la droite. De fait, depuis 2017, le Rassemblement national a construit sa stratégie d’”alternant”, comme le miroir inversé du macronisme, en s’appuyant sur deux piliers : le pouvoir d’achat et la lutte contre l’immigration. Mais l’anti-macronisme ne suffit pas à constituer un projet sociétal, et sur ces questions, le RN conserve de fait une approche très superficielle.Liberté de vote, la solution de facilité”Cela ne fait pas partie des principales préoccupations des Français, regardez les sondages, il n’y a pas de fortes demandes sur ces questions-là”, évacuent les cadres frontistes de l’Assemblée. “Marine Le Pen fait comme si ces questions étaient secondaires, alors que ce sont des questions ontologiques, qui touchent à notre vision de la société, rétorque un ancien compagnon de route. C’est paradoxal d’imposer une discipline de groupe sur la question des retraites mais de laisser la liberté sur des sujets qui touchent au cœur même de ce que nous sommes.” Désireuse de rassembler plus largement dans la perspective de 2027, Marine Le Pen met savamment de côté tout sujet potentiellement clivant. Ces sujets, d’ailleurs, ne font pas partie de ses obsessions. “Elle a une forme d’indifférence pour ces questions-là, juge un ancien proche. Elle considère que chacun est libre de faire ce qu’il veut et, sur le fond, elle a un désintérêt absolu pour ces sujets presque philosophiques, là où elle est capable de se passionner pour des sujets comme l’euro ou les retraites.” D’autant que son parti a souffert, par le passé, des désaccords sur les questions sociétales. Après tout, pourquoi prendre le risque ? “On ne va pas non plus être à l’avant-garde sur des sujets inflammables, résume un élu. C’est vrai qu’on marche sur des œufs sur ces sujets, parce que c’est sur ces débats de société que nos adversaires essayent de nous piéger, donc on en fait le minimum. Mais regardez les sondages : ça fonctionne.”
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Author : Marylou Magal
Publish date : 2023-11-17 16:00:00
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