Depuis quelques jours, plusieurs témoignages évoquent des crimes sexuels commis par le Hamas durant le massacre du 7 octobre en Israël. L’un d’entre eux, celui d’une survivante, participante du festival Tribe of Nova, qui décrit un viol barbare, a été diffusé par la police israélienne lors d’une conférence de presse internationale le 14 novembre. Des images montrant des femmes abattues à moitié dénudées ont également été montrées et une bénévole de l’ONG Zaka, qui a aidé à l’identification des corps, a aussi évoqué des mutilations sexuelles. Récemment, le journal britannique The Guardian rapportait dans un article que des féministes israéliennes s’inquiétaient de la non-conservation des preuves de ces crimes sexuels. Depuis, les autorités israéliennes ont ouvert une enquête spécifique sur ces viols et mutilations sexuelles. Céline Bardet, juriste, enquêtrice criminelle internationale et fondatrice de l’ONG We are NOT Weapons of War, fait le point sur les difficultés auxquelles ces dernières vont devoir faire face pour documenter ces crimes sexuels.
Pourquoi les preuves de crimes sexuels en temps de guerre sont-elles si difficiles à rassembler?
Les preuves sont particulièrement difficiles à rassembler dans les zones de conflit ou de crise. On peut rencontrer deux situations: soit on arrive au moment où les exactions ont été commises et il y a alors plus de chances de récolter des preuves puisque des examens médico-légaux vont pouvoir être conduits, soit on arrive après et c’est là que ça se complique. La plupart du temps, en temps de guerre, les témoignages arrivent après: il y a quasiment toujours un temps entre le moment où la victime a été violée et le moment où elle va le dire. Donc, dans neuf cas sur 10, il n’y a pas d’examen médico-légal, soit parce que les victimes n’ont pas été prises en charge tout de suite, soit parce qu’elles n’ont pas été identifiées comme telles, donc on va s’attacher aux témoignages des survivant·es, des témoins directs ou indirects et également au contexte dans lequel les propos des victimes vont être corroborés. Un témoignage de survivant·e est fondamental, c’est un élément de preuve mais il n’est pas suffisant, on va également prendre en compte d’autres éléments de contexte, de différentes natures et émanant de différentes sources.
Dans le cas d’Israël, quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontées les autorités pour les mettre au jour?
La situation en Israël est singulière car on est à la fois dans un pays avec des institutions qui fonctionnent mais aussi un pays qui fait face à un crime de masse d’une ampleur inédite. Si des crimes sexuels ont été commis lors du massacre, les personnes victimes sont mortes, ce qui met les autorités israéliennes face à une difficulté supplémentaire. Ça ne signifie pas que ces violences sexuelles ne seront jamais prouvées mais que l’enquête va être plus difficile. On a déjà eu le cas au Rwanda où il y a eu des viols de masse sur des femmes qui ont ensuite été tuées. Suite au 7 octobre, Israël a choisi une réponse militaire et n’a pas nécessairement mis la priorité sur les enquêtes qui doivent être menées quand on fait face à un tel crime de masse. À leur décharge, les combats ont continué au moins 48 heures dans la région où les massacres ont eu lieu et les autorités font face à une pression très forte liée au contexte religieux du pays puisque dans la religion juive, l’inhumation des personnes décédées doit avoir lieu le plus rapidement possible. Beaucoup de familles ont voulu enterrer les corps, corps qu’il a fallu chercher et identifier alors même que certains étaient très abîmés, donc tout ça a déjà pris beaucoup de temps. Et d’ailleurs, c’est encore en cours, on l’a vu avec la militante pour la paix Vivian Silver, qu’on pensait otage du Hamas et dont le corps a finalement été identifié il y a quelques jours. On oublie aussi que les attaques du 7 octobre ont donné lieu à un traumatisme immense, total, les Israélien·nes sont dans un état de sidération et ça signifie que c’est très complexe de recueillir des témoignages. Enfin, de manière générale, lorsqu’il y a un conflit et que des exactions sont commises, on voit bien que la question des crimes sexuels n’est pas forcément mise en priorité alors même qu’ils sont des éléments constitutifs des crimes internationaux et que l’objectif d’une enquête en droit international est justement d’aller documenter la façon dont les personnes ont été tuées.
En quoi est-ce nécessaire de dénoncer des violences sexuelles dans le cadre d’un conflit?
Les violences sexuelles commises en temps de guerre ne constituent pas selon moi une exaction ou une violence plus grave qu’une autre, en revanche, c’est une violence très singulière car elle crée des traumatismes profonds, pour les victimes d’une part mais aussi pour leur famille, leur communauté. C’est un élément constitutif de crime international comme n’importe quel autre qu’on devrait regarder de la même manière que le reste mais encore aujourd’hui, on a du mal à le prendre en compte. Est-ce que le fait que les personnes en charge des enquêtes soient principalement des hommes a une influence là-dessus? Non pas que les hommes ne soient pas compétents pour le faire mais je crois que les femmes vont plus facilement y penser. Il faut que l’on intègre que les violences sexuelles font partie des violences de guerre et qu’il ne s’agit pas de simples dommages collatéraux.
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Author : Julia Tissier
Publish date : 2023-11-17 08:47:22
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