Il fut un temps où la France produisait beaucoup d’électricité. Ses centrales nucléaires paraissaient même surdimensionnées par rapport aux besoins en énergie du pays. Cette époque semble bel et bien révolue. L’an dernier, le niveau de production d’électricité d’origine nucléaire est tombé à 279 térawattheures (TWh), le pire résultat depuis 1988. Et la remontée promet d’être poussive.”La situation s’améliore”, assure pourtant Etienne Dutheil, directeur du parc nucléaire chez EDF. Le problème de corrosion sous contrainte devrait être définitivement résolu en 2025. Et le programme START, qui vise à augmenter l’efficacité des arrêts de tranche, commence à porter ses fruits. “On a reconstruit les plannings, travaillé les bonnes pratiques, donné plus d’autonomie aux équipes sur le terrain”, précise le responsable. Résultat : la durée de préparation à un changement de combustible est passée de 18 à 11 semaines et EDF vise désormais 9 semaines. Autre bonne nouvelle : les prolongations d’arrêts ont été réduites d’un tiers en 2023 par rapport à 2022. Et les sites les plus en difficulté affichent de bien meilleures performances. Ainsi, la dernière visite partielle sur le réacteur numéro 3 de la centrale de Paluel, comprenant le rechargement en combustible et un important programme de maintenance, n’a pris que 100 jours. Le meilleur résultat depuis au moins 12 ans. A Saint-Laurent, l’arrêt simple pour rechargement effectué l’an dernier n’a pris que 40 jours. La durée la plus courte des 8 dernières années.”Globalement, les délais relatifs à la première phase d’arrêt pour rechargement du combustible sont désormais respectés dans près de 70 % des cas, contre moins de 10 % en 2021, et à peine plus de 2 % en 2019″, résume Etienne Dutheil. Ces efforts permettent à EDF d’afficher de meilleures perspectives de production : 335-365 TWh en 2025, et 400 en 2030 grâce notamment à l’entrée en service de Flamanville 3 et l’augmentation de puissance à venir sur plusieurs réacteurs.Mais pour certains experts, quelque chose cloche. “Comment se fait-il que l’on ne revienne pas, même en 2030, aux niveaux de production que l’on a connus dans le passé ?”, interroge Jean-Jacques Nieuviaert, président de la Société d’études et de prospective énergétique. Selon les données publiées par RTE, la France produisait sans problème 430 TWh en 2005. Et que dire de la productivité de nos centrales comparée à celle des autres pays ? “Les taux normaux d’utilisation oscillent entre 78 % et 93 %. En fonctionnement normal, 1 GW de capacité nucléaire produit entre 7 et 8 TWh, alors qu’en France on atteignait péniblement 6 TWh en 2021. Avec les installations que nous possédons, nous devrions normalement produire 480 TWh”, assure l’expert.Fukushima est passé par là”Le revirement récent de stratégie du gouvernement français en matière de nucléaire a chamboulé l’agenda d’EDF, qui investissait surtout ses ressources dans le décommissionnement (NDLR : l’arrêt progressif) des réacteurs. Cela a entraîné une perte d’efficacité indéniable”, analyse Franck Gbaguidi, directeur du développement durable chez Eurasia Group. Face aux critiques, EDF se défend. “On ne met plus en œuvre le même programme industriel qu’il y a dix ou quinze ans. Fukushima est passé par là. Ainsi, les 4e visites décennales représentent, en volume d’opérations, six fois celui des 3e visites décennales. Et les travaux de préparation démarrent dix-huit mois en amont. Les exigences de sûreté se sont aussi renforcées. Il y a plus de contrôles à faire par rapport à ce qui se fait dans d’autres pays. Tout cela a un impact sur la disponibilité des centrales”, assure Etienne Dutheil.Revenir au niveau de production de 2005 semble donc hors de portée pour l’instant. La France peut quand même surmonter l’hiver. “L’essentiel c’est le passage de la pointe, pas la production en elle-même” confirme Hervé Machenaud, ancien directeur exécutif du groupe EDF. Et l’expert de se livrer à quelques calculs : quand l’EPR de Flamanville sera disponible l’an prochain, nous aurons environ 60 gigawatts mobilisables grâce au nucléaire. Or, en France, le maximum appelé à la pointe est d’environ 90 gigawatts. La différence peut aisément être comblée grâce à l’hydraulique, aux importations et aux centrales à gaz”.Mais même s’il ne met pas le réseau en grande difficulté, le déficit de production d’EDF fait quand même grincer des dents. “Beaucoup de spécialistes se disent que la France, avec un parc mieux géré, pourrait se passer complément d’énergies renouvelables (ENR)”, constate Franck Gbaguidi. “Il y a derrière ce raisonnement l’idée que les ENR constituent un obstacle car elles empêcheraient le nucléaire de fonctionner correctement. En effet, selon les règles en vigueur en Europe, l’énergie éolienne est appelée en premier sur le marché, obligeant les centrales nucléaires françaises à lever le pied”, rappelle un expert.Les ENR ont pourtant un avantage : celui de permettre à la France de ne pas mettre tous ses œufs dans un même panier. “La crise en Ukraine nous a montré qu’il valait mieux ne pas être dépendant d’une seule source d’énergie, quelle qu’elle soit, confirme Franck Gbaguidi. En outre, le développement d’une nouvelle filière peut être intéressant sur le plan économique”. L’expert en reste donc persuadé : il y a de la place en France pour le nucléaire et les renouvelables.
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Author : Sébastien Julian
Publish date : 2023-11-17 04:30:00
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