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Nathalie Gontard : “Le recyclage participe à pérenniser la pollution plastique”

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Accord ou pas accord ? Le troisième rendez-vous de l’année autour de la lutte contre la pollution plastique s’achève ce dimanche 19 novembre. Les représentants de 175 pays sont réunis depuis lundi à Nairobi, au Kenya, pour discuter d’un projet de traité, publié en septembre, et qui vise à définir pour la première fois des mesures concrètes dans la lutte contre ce fléau qui inonde la nature.Avant ce nouveau round de discussions, une soixantaine de nations ont appelé à “des dispositions contraignantes dans le traité pour restreindre et réduire la consommation et la production” de plastique. Une position que ne partagent pas les pays membres de l’Opep, certains pays producteurs et les lobbys des industries plastiques, favorables à un recyclage encore plus poussé. Ce dernier est pourtant “extrêmement limité”, pointe Nathalie Gontard, directrice de recherche à l’Inrae. Selon cette spécialiste des emballages et du plastique, il contribue même à “pérenniser” la pollution. Entretien.L’Express : Le recyclage est souvent mis en avant par de nombreuses entités pour lutter contre le fléau du plastique. N’est-ce pas illusoire de croire qu’il sera possible de recycler tout le plastique produit ?Nathalie Gontard : Évidemment. Il faut comprendre que le recyclage du plastique est extrêmement limité. D’ailleurs, ce qu’on appelle recyclage n’en est pas : c’est du décyclage. Il est important de savoir faire la différence. L’idée de recyclage, donc de réduire la pollution plastique, vient de ce concept d’économie circulaire : quand on a un problème de déchets et d’épuisement des ressources, on va régénérer le déchet à l’identique. On a pris exemple de cette notion sur la nature, qui le fait très bien, comme avec les feuilles des arbres qui tombent à l’automne et participent à un grand cycle (dégradation de la matière, photosynthèse) pour en redonner d’autres identiques au printemps. Afin de résoudre le problème des déchets, on essaie actuellement de mettre en place le plus possible ce système d’économie circulaire.Or avec le plastique, le meilleur recyclage – qu’on peut tout de même appeler recyclage – est celui des bouteilles en PET (polyéthylène téréphtalate). Car on est capable de refabriquer une bouteille en PET à partir de bouteilles de PET. On collecte de façon très stricte, on nettoie, on décontamine, on repolymérise le polymère qui est abîmé, on le mélange souvent avec du plastique vierge et on se retrouve avec une autre bouteille. Sauf que ce procédé est limité, au contraire des feuilles des arbres : on peut en faire un ou deux cycles et il y a 30 % de perte à chaque fois. Disons que cela pourrait tout de même permettre de diviser par deux la consommation de plastique vierge pour une utilisation donnée. Et donc de réduire par deux les déchets de ces bouteilles plastiques en PET. Mais ce recyclage, qui ne concerne que les bouteilles en PET, représente moins de 1 % de notre consommation de plastique.Pourquoi certains pays comme les Pays-Bas, l’Autriche ou l’Allemagne, affichent-ils alors un haut niveau de recyclage ?Car c’est en réalité, je l’évoquais plus tôt, du décyclage. Je reviens à la bouteille en PET : on ne la retransforme finalement pas en bouteille mais en fibres pour faire des pullovers. Donc la boucle n’est pas bouclée : on ne refabrique pas le même objet, mais un autre. On se dit que c’est bien, cela rend la bouteille utile. On communique dessus, on tranquillise le consommateur. Or ce pull acheté en polyester recyclé, dit écologique, il l’a été au détriment d’un pull en laine, un élément biodégradable qui est actuellement en chute libre. En plus, ce pull, au premier lavage, va émettre des microfibres de plastique, et donc polluer. Il ne sera pas non plus recyclable en fin de vie : il partira en décharge et continuera à se dégrader en microplastique.En fabriquant ce pull, on ne fait pas disparaître le problème. Et on a en plus monté une filière de pulls en polyester recyclé qu’il faut alimenter en déchets. Pour résumer : on ne contribue nullement à la réduction de la pollution plastique, on crée même une dépendance aux déchets et à cette pollution. On fait disparaître des filières, on cherche des nouveaux déchets et on plastifie notre monde. Les nouveaux débouchés et bonnes occasions pour caser ce plastique recyclé ne manquent pas. On stocke sous une autre forme un déchet qui va continuer à se dégrader.Dans ces pays, le niveau de recyclage élevé n’a pas donc pas fait baisser la consommation de plastique ?Pas du tout. Théoriquement, si c’est du vrai recyclage, la consommation aurait dû être divisée par deux. Or elle continue d’augmenter, cela n’a aucun sens. Autre illustration très concrète : on a accumulé 9 milliards de tonnes de plastique sur Terre, à mettre au regard des 2 milliards de tonnes de biomasse animale totale. C’est énorme. Si on savait recycler, on n’aurait plus besoin de plastique vierge et on irait chercher ces déchets plastiques pour les nettoyer et fabriquer des bouteilles, des emballages, etc. Mais notre production de plastique vierge continue d’augmenter…Le recyclage participe-t-il finalement à l’augmentation de la pollution plastique ?À la pérenniser, oui. Car ce n’est pas une économie circulaire mais une économie tire-bouchon : on va continuer à polluer, à avoir besoin de plastique vierge, et ainsi de suite. Les industries pétrochimiques font le forcing pour qu’on ne fasse surtout pas la différence entre le recyclage et le décyclage. Cela peut se comprendre, elles défendent leurs intérêts. Mais c’est encore plus grave quand des personnes qui sont censées prendre des décisions, notamment politiques, ne sont pas non plus capables de faire cette différence. De même que certains experts.Regrettez-vous ce manque de connaissances de la part de la classe politique ?Il y ades difficultés à comprendre les fondements de la pollution plastique, oui, et donc la façon d’y remédier. On en arrive à des situations où on fait un pas en avant, un pas en arrière, en tombant dans des stratégies très mal construites dès le départ. Dans le même temps, il est un peu difficile de le leur reprocher car il y a eu énormément de communication sur de petites choses qui ont apporté beaucoup de confusion. Un exemple : la pollution plastique, ce n’est pas le déchet que l’on voit. Celle-là est moche mais n’est pas très dangereuse. Ce qui l’est, et qu’on va retrouver partout, ce sont les micro et nanoparticules de plastique.On n’en ressent pas encore les effets, mais sur ces 9 milliards de tonnes de plastique sur Terre, il y en a une proportion très faible qui est déjà sous forme de microplastique. Ce n’est que le début d’une grosse vague qui va arriver de façon inexorable. Une fois que le plastique est réduit sous forme de fragments, on ne peut plus aller les chercher dans notre environnement, dans nos corps.Réduire notre consommation, donc la production de plastique, est-elle la seule solution viable ?Il faut qu’on ait le courage, nous, les plus gros utilisateurs, de prendre des mesures pour réduire notre consommation. Et en le disant, je pense que les premiers acteurs à viser sont les industriels et tous les secteurs d’activité qui doivent nous proposer des biens et des services avec le strict minimum de plastique. Je ne suis pas naïve : je sais qu’on ne se passera jamais de plastique. Mais il faut qu’on limite son utilisation à celle qui sert vraiment notre bien-être et qu’on se débarrasse de plus de la moitié du plastique qui ne sert strictement à rien à part encombrer notre vie, et surtout hypothéquer les conditions de vie des générations futures. Des objectifs extrêmement contraignants en termes de réduction doivent être fixés à tous les secteurs d’activité. Il faut ouvrir les yeux : le recyclage ne sera jamais impactant sur la pollution plastique.Qu’attendez de cette dernière ligne droite des négociations internationales ?Pas énormément. Les pays producteurs militent pour qu’on ne s’attaque pas à la réduction de la production primaire. Ils ne sont pas vraiment contrebalancés : les utilisateurs ont beaucoup de mal à prendre leurs propres responsabilités et à avoir eux-mêmes des stratégies claires. Il faut que l’Europe en ait une concernant la pollution plastique, car celle en vigueur est totalement axée sur le recyclage. L’UE finance des tas de projets de recherche autour du sujet alors qu’il n’y a quasiment rien sur la réduction de l’utilisation. Or c’est une question énorme.Ces négociations permettent de prendre conscience du problème et d’en parler. C’est un premier pas. Mais je ne suis pas certaine qu’il puisse déboucher sur des solutions efficaces. Il faut que chaque État prenne ses responsabilités, et nos autorités politiques en particulier. Elles sont les gardiens du temple de notre santé, de notre environnement et de notre survie, pas seulement de notre portefeuille.



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Author : Baptiste Langlois

Publish date : 2023-11-18 07:00:00

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Tags :L’Express

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