Il nous est tous arrivé de donner une pièce à une personne sans domicile fixe faisant la manche ou à un musicien de rue. Les ressorts d’une telle action sont typiquement : l’empathie pour une personne se trouvant dans une situation précaire ; le souhait sincère de contribuer à diminuer la détresse, la souffrance, à rendre le monde meilleur, de manière aussi minime soit-il ; et le sentiment de satisfaction procuré par l’accomplissement d’un geste généreux ou altruiste.Malgré ces bonnes raisons, il vous est peut-être aussi arrivé d’avoir un doute sur la rationalité, l’efficacité ou même le caractère juste de cette action : le fait de donner directement à une personne dans le besoin n’a-t-il pas des effets secondaires indésirables, comme le fait d’encourager la mendicité ? Est-il juste de donner à cette personne particulière, qui a fait la démarche de mendier et qui s’est trouvée sur notre chemin, et pas à d’autres, qui étaient peut-être encore plus dans le besoin ? Selon quels critères choisissons-nous ceux à qui nous donnons une pièce ? L’apparence physique ? La qualité de leur musique ? Est-ce que ces critères sont justes ? Et enfin, est-ce que cette démarche consistant à donner quelques pièces à certaines personnes est vraiment efficace ? Est-ce que le même montant de dons ne pourrait pas avoir plus d’effets positifs s’il était dépensé autrement ?Cent euros de dons font-ils plus de bien en France ou en Afrique ?Ces questions légitimes sont pour une partie d’entre nous de bonnes raisons d’orienter nos dons vers des organisations caritatives qui fournissent de la nourriture, de l’hébergement, des soins, ou d’autres services indispensables. A priori, ces organisations fournissent leurs services à toutes les personnes qui en ont besoin, sans favoriser ceux qui mendient, ni discriminer les demandeurs selon leur apparence, leurs talents artistiques ou tout autre critère conscient ou inconscient. Elles devraient donc être en mesure, plus que notre charité occasionnelle et subjective, de mieux couvrir l’ensemble des personnes en détresse, et de répondre à leurs besoins d’une manière plus complète, rationnelle et efficace. A condition toutefois d’être bien organisées, d’avoir des processus efficients, et de ne pas engloutir une part excessive des dons dans des frais de gestion.A ce stade, le donateur rationnel qui souhaite maximiser l’impact de ses dons a du souci à se faire. Comment choisir, parmi toutes les organisations caritatives existantes, celles qui feront le plus de bien aux bénéficiaires par euro dépensé ? Un épluchage des comptes publics des associations ne lui offrira que des éléments très partiels pour faire un comparatif valide. Quand bien même il serait en mesure de comparer l’efficacité de deux organisations fournissant les mêmes services dans le même pays, comment étendre la comparaison à des services différents et à des pays différents ? Cent euros de dons font-ils plus de bien s’ils sont dépensés dans la fourniture de repas ou dans celle de soins médicaux ? En France ou en Afrique ? Et comment comparer différentes méthodes pour atteindre le même but ? Si par exemple on veut favoriser l’accès à l’éducation des enfants de pays pauvres, vaut-il mieux donner pour investir dans les écoles, augmenter le salaire des enseignants, acheter des manuels, financer du transport scolaire, donner des incitations monétaires aux familles, ou améliorer l’état de santé des enfants ? Si l’on veut améliorer leur santé, vaut-il mieux financer le suivi des femmes enceintes, la vaccination, les traitements antiparasitaires ou encore la distribution de moustiquaires ?Il ne suffit pas d’engloutir des milliards pour avoir un effet positifPour la plupart d’entre nous, le sentiment de faire le bien en donnant suffit à motiver et à justifier notre action sans réfléchir excessivement à l’arbitrage entre les différents dons possibles. Mais on sent bien qu’il y a là un vaste potentiel d’optimisation de la générosité, si seulement on avait les bonnes méthodes pour évaluer les différentes actions et les bons outils pour quantifier les effets de chaque euro de don. Heureusement, certaines personnes ont déjà réfléchi à tout cela pour nous, conçu de telles méthodes et outils, mené des évaluations et produit des comparatifs des différentes actions et organisations caritatives.Sur le plan de la recherche, les mêmes méthodes qui servent à évaluer rigoureusement l’efficacité des traitements médicaux – les essais contrôlés randomisés – ont montré leur utilité pour évaluer également tous types de politiques publiques et tous types d’actions caritatives. Le Poverty Action Lab du MIT (J-PAL) en a fait son activité principale. Les résultats sont parfois contre-intuitifs et montrent qu’il ne suffit pas d’engloutir des milliards sur la base de bonnes intentions et de bon sens pour avoir un effet positif sur les populations. Certaines actions ont 100 fois plus d’effets positifs par euro dépensé que d’autres, d’où l’importance de telles évaluations. Par exemple, les chercheurs du J-PAL ont montré que la manière la plus efficace d’augmenter la scolarisation des enfants dans des pays très pauvres était de leur donner des traitements antiparasitaires pour réduire les maladies invalidantes et l’absentéisme à l’école. L’ensemble de ces travaux ont été récompensés par le prix Nobel d’économie 2 019 décerné à Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Michael Kremer.L’altruisme efficace pour guider ses choix professionnelsNourri par ces recherches, le mouvement associatif de l’altruisme efficace mène justement une réflexion générale sur les différentes manières de faire le bien. Au-delà de l’aide immédiate aux personnes en difficulté, l’altruisme efficace élargit la réflexion pour inclure par exemple la prévention des risques catastrophiques globaux et le bien-être animal. Dans ce cadre, l’ONG Givewell, relayée en France par l’association Don Efficace, conduit des évaluations extrêmement rigoureuses et complètes de différents programmes caritatifs. L’association 80 000 hours, elle, se propose d’utiliser les mêmes principes pour guider les choix professionnels vers les activités qui génèrent un impact positif maximal sur le monde. Autrement dit, comment utiliser son temps de travail de la manière la plus bénéfique. Bien entendu, tous ces travaux supposent de fixer un certain nombre de principes, de critères méthodologiques et de pondérations avec lesquels on n’est pas obligé d’être d’accord. Par ailleurs, les lecteurs français resteront frustrés de ne retrouver parmi les recommandations presque aucune organisation caritative française, ni aucune des grandes organisations internationales qui leur sont familières (au moins en partie pour de bonnes raisons).Dans tous les cas, rien n’oblige à suivre aveuglément les préconisations de ces associations. Néanmoins, ces travaux sont la meilleure source d’information et de réflexion pour toute personne qui souhaite donner plus, donner mieux, agir mieux, et donc être plus rationnel et efficace dans sa générosité.Franck Ramus est Directeur de recherches au CNRS et directeur de l’équipe “Développement cognitif et pathologie” au sein du laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistiques de l’Ecole normale supérieure à Paris.
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Author : Franck Ramus
Publish date : 2023-11-19 09:00:00
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