“Toutes les consultations sont menées au pas de course. Même si ce n’est pas dit clairement, il est évident que le ministère veut tenir les délais afin que ses annonces collent avec les résultats de l’enquête Pisa qui seront révélés prochainement”, avance Guislaine David, cosecrétaire générale du SNUipp-FSU. Le syndicat a été entendu, comme les autres organisations représentatives, dans le cadre de la mission “exigence des savoirs”.La mise en place de cette grande consultation avait été annoncée par Gabriel Attal lors de la journée mondiale des enseignants, le 5 octobre, depuis le parvis de la Bibliothèque François-Mitterrand. Dans un discours fleuve de près d’une heure, le ministre de l’Education nationale avait longuement détaillé son plan d’action visant à aider les professeurs, ces “combattants du savoir”, à gagner “la bataille de niveau”. “C’est l’urgence de notre école”, avait-il insisté avant d’égrener quelques statistiques : en un quart de siècle, les élèves français ont perdu l’équivalent d’un an en termes de niveau. Autrement dit, un élève de 4ème, en 2018, a le niveau d’un élève de 5ème en 1995. Les résultats de français et de mathématiques, matières fondamentales, sont les plus alarmants. Pour preuve, à l’entrée en 6ème, 1 élève sur 3 ne sait pas lire correctement, et seule la moitié d’entre eux trouve la bonne réponse à la question “Combien y a-t-il de quarts d’heures dans ¾ d’heure ?”Le constat est désormais bien connu et l’on ne compte plus le nombre de rapports d’inspection ou du Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN), de travaux parlementaires et de statistiques internes. Voilà pourquoi Gabriel Attal dit vouloir accélérer en lançant cette mission destinée à “élaborer une stratégie”. Elle est coordonnée par Edouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire, Caroline Pascal, doyenne de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, Stanislas Dehaene, président du CSEN, et Gilles Halbout, recteur de l’académie d’Orléans-Tours.Trois groupes de travail, dédiés à l’école, au collège et au lycée, sont actuellement chargés de plancher sur les programmes, l’organisation et les pratiques pédagogiques et la culture générale… Vaste feuille de route, étalée sur seulement huit semaines puisque le ministère a promis des annonces début décembre. “Lors de notre première réunion de présentation, c’est précisément la date du 5 décembre qui était affichée”, révèle une participante, photo à l’appui. Soit le jour même où les résultats de l’étude Pisa 2022, en grande partie consacrée aux mathématiques, seront rendus publics. Tous les trois ans, cette vaste enquête menée par l’OCDE auprès d’élèves de 15 ans dans 85 pays fait figure d’humiliation pour la France. Outre des résultats mitigés, elle ne manque pas de rappeler le caractère inégalitaire de notre système.”Il donne le sentiment de parler vrai”Pas question d’attendre que la sentence tombe pour réagir. Telle est la méthode de Gabriel Attal, qui entend se démarquer par sa volonté d’avancer vite et de s’emparer des dossiers qui préoccupent l’opinion publique. Ce qui semble lui réussir puisque dans le dernier baromètre Ifop/Fiducial pour Paris Match/Sud Radio sur les personnalités politiques préférées des Français, l’hôte de la rue de Grenelle maintient sa place de “premier des ministres”, se situant sur la deuxième marche du podium, juste après Edouard Philippe et devant Bruno Le Maire. “S’il plaît autant, c’est parce qu’il n’hésite pas à aborder cash les sujets qui inquiètent les parents, comme la question du harcèlement ou du niveau scolaire. Il donne le sentiment de parler vrai et de ne pas cacher les problèmes”, confirme Frédéric Dabi. Et le directeur général Opinion du groupe Ifop de préciser : “Il ne se contente pas d’énoncer des constats puisqu’il prend des mesures qui ont un impact sur le quotidien des élèves et des familles. Je pense notamment au décalage des épreuves de spécialité du bac, qui ne se dérouleront plus en mars mais en juin, manière de montrer qu’il agit pour sauver le troisième trimestre.”Fidèle à sa volonté de prendre les devants, Gabriel Attal a accordé une interview au Parisien le 14 novembre pour commenter les scores des tests de niveau passés en début d’année par les élèves. “Les résultats en 4ème sont inquiétants”, affirmait-il, avant de dévoiler des pistes d’action comme la mise en place de groupes de niveau en français et en mathématiques ou une augmentation du nombre d’heures consacrées à ces matières pour les collégiens les plus en difficulté… Autant de points censés être débattus dans le cadre de la fameuse mission Exigence des savoirs.”Le calendrier extrêmement contraint peut donner l’impression que les décisions sont déjà prises, tout comme cet entretien dans lequel le ministre dévoile des éléments de son plan”, déplore Claire Piolti-Lamorthe, présidente de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public. Un plan qui, semble-t-il, concernera essentiellement le collège, alors que ses deux prédécesseurs – surtout Jean-Michel Blanquer – avaient concentré l’essentiel des réformes sur le premier degré et le lycée. La question des groupes de niveau qui, pour les opposants de cette mesure, risquerait de mettre fin au principe du collège unique, est un sujet qui divise la communauté enseignante. Certains, comme Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, craignent un passage en force. “Le ministre s’inscrit plus dans une perspective de communication politique que de réelle efficacité pédagogique”, estime celle pour qui tout semble “malheureusement acté d’avance”.Dans son discours du 5 octobre prononcé à la BNF, Gabriel Attal, après avoir annoncé la mise en place de la mission – et pris soin de rappeler l’importance du dialogue social “préalable à toute action” –, avait certes déroulé des pistes d’action très détaillées : sur les programmes et sur leur organisation par cycles qui peut, a-t-il dit, “nuire à la progression des apprentissages” ; sur les manuels, vantant au passage les “résultats spectaculaires” d’une expérimentation de manuel unique menée à Mayotte ; sur la mise en place de “stages de réussite” pendant les vacances qui conditionneraient le passage en sixième de certains élèves ; ou enfin sur l’importance de faciliter l’accès à la culture générale qui “s’hérite ou s’apprend” et apparaît comme “l’une des expressions les plus criantes des inégalités de niveau dont souffre notre école”.Un autre sondage Ifop-Fiducial pour Sud Radio, dévoilé ce 17 novembre et consacré au “regard des Français sur la situation de l’enseignement et sur le ministre de l’Education nationale”, tombe à pic pour l’équipe de Gabriel Attal : les pistes récemment avancées sont jugées globalement efficaces, notamment la création de classes de niveau avec moins d’élèves (qui recueille 81 % des suffrages) et la mise en place d’heures de cours supplémentaires en mathématiques et en français pour les élèves en difficulté (78 %). Toujours dans le cadre de son opération “exigence des savoirs”, le ministère a également envoyé un questionnaire à l’ensemble des 860 000 professeurs sur les actions prioritaires à mettre en place. “Le problème est que ce questionnaire, anonyme et accessible à tous via un simple lien, peut être rempli autant de fois que l’on veut et par n’importe qui. Ce qui pose tout de même question sur sa fiabilité”, regrette Sophie Vénétitay, qui dénonce également des réponses orientées. “Dans les solutions à mettre en place pour nous aider à faire progresser nos élèves, la notion de la diminution des effectifs par classe n’est pas abordée, or c’est un point crucial !” pointe-t-elle, à l’unisson avec bien d’autres représentants de la profession.
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Author : Amandine Hirou
Publish date : 2023-11-19 06:30:00
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