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Russie : comment l’industrie de défense se met sur le pied de guerre

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Le char T-90 flambant neuf file en ligne droite à la lisière d’une forêt. Au bout de quelques mètres, il fait rugir son canon dans une gerbe de flammes. Puis, sur un riff de guitare saturée, commence une séquence retraçant son processus de fabrication. La vidéo de ce blindé – tout juste sorti des chaînes de montage de l’usine d’Uralvagonzavod, à Nijni Taguil, dans l’Oural – est l’une des nombreuses publiées sur les réseaux sociaux par le célèbre fabricant russe pour servir sa propagande. Et par la même occasion, celle du Kremlin. Plus d’un an et demi après le début du conflit en Ukraine, les usines russes sont en ordre de marche pour couvrir les besoins de l’armée.Moscou ne lésine pas sur les moyens. Avec 109 milliards de dollars prévus en 2024, soit 6 % du PIB russe, les dépenses militaires devraient représenter près du tiers du budget de l’Etat. Aux dépens des fonds alloués à l’éducation ou à la santé, gelés pour l’heure. “L’économie russe est largement mobilisée pour la guerre, abonde Julien Vercueil, économiste spécialiste de la Russie et vice-président de l’Institut national des langues et civilisations orientales. Une part significative des ressources civiles est détournée pour satisfaire l’effort de guerre voulu par Vladimir Poutine.”Travail en trois-huit, sept jours sur septCette mobilisation n’échappe pas à l’état-major ukrainien. “Les capacités de l’industrie militaire augmentent, malgré l’introduction par les principaux pays du monde de sanctions sans précédent à l’encontre du pays agresseur”, s’inquiétait le commandant en chef des forces ukrainiennes, Valeri Zaloujny, dans The Economist, le 1er novembre. D’après une étude ukrainienne du Yermak-Mc Faul group, 67 % des composants étrangers utilisés dans la fabrication des drones russes proviendraient de Chine, tandis que des puces et processeurs japonais, sud-coréens ou suisses auraient également été retrouvés, à la marge, dans certains aéronefs.En parallèle, à Kazan, Irkoutsk ou Iekaterinbourg, plusieurs fabricants russes d’avions militaires, d’hélicoptères de combat, de drones et de munitions guidées ont agrandi leurs installations, selon des images satellitaires analysées fin octobre par le média ukrainien Skhemy/RFE/RL. “En octobre 2022, la Russie produisait environ 40 missiles à longue portée par mois. Aujourd’hui, c’est une centaine”, note Jack Watling, chercheur au Royal United Services Institute, dans un rapport. De quoi muscler les capacités de frappes russes à l’heure où l’Ukraine redoute un nouveau ciblage massif de ses infrastructures énergétiques.Dès 2022, nombre d’usines d’armement ont commencé à travailler en trois-huit, sept jours sur sept. “En un an, la production de chars a été multipliée par sept, celle des blindés légers comme les BMP ou les BMD, par 4,5”, a affirmé Sergueï Tchemezov, PDG du conglomérat d’Etat Rostec, sur la chaîne publique Rossiya-24, début novembre. Quatre mois plus tôt, le ministre russe de l’Industrie, Denis Mantourov, assurait que la production mensuelle de munitions dépassait désormais les volumes produits en 2022.Doutes sur les quantités réellesDifficile, toutefois, de prendre ces affirmations au pied de la lettre, en l’absence de données claires. “La Russie semble avoir augmenté sa production d’armement, mais l’ampleur de certaines annonces paraît difficile à croire. Et l’on n’en perçoit pas les traces dans d’autres secteurs tels que l’industrie sidérurgique, alors qu’on pourrait s’attendre à ce qu’elle augmente son activité de manière symétrique, pointe Tomas Malmlöf, chercheur à la Swedish Defence Research Agency. Il y a une part de communication stratégique et de propagande dans ces annonces.” L’objectif : entretenir le narratif d’une industrie de défense russe aux capacités démesurées, comme à l’ère soviétique.Avant la guerre, celle-ci était capable, selon les estimations, de produire environ 250 chars (neufs et modernisés) par an. “Pour augmenter drastiquement la production, il ne suffit pas d’accélérer les cadences dans les usines déjà existantes, souligne Mark Cancian, conseiller principal du Center for Strategic and International Studies, à Washington. Il faut en construire de nouvelles, mettre en place des chaînes d’approvisionnement, embaucher des travailleurs et les former : ce processus prend des années.” Aux Etats-Unis, l’entreprise d’armement Lockheed Martin a ainsi prévu, en 2022, un délai de quatre ans pour doubler sa production annuelle de lance-missiles Javelin, passant de 2100 unités à 3960 d’ici à 2026.En outre, les volumes annoncés ne semblent pas en mesure de combler les pertes russes. Au printemps dernier, le chef du Kremlin avait fixé l’objectif de construire et moderniser 1600 chars à l’horizon 2026. Bien qu’important, ce chiffre est loin de couvrir les pertes (environ 2500 blindés, selon le décompte du site spécialisé Oryx). La production d’obus, quant à elle, pourrait atteindre 2 millions d’unités par an, loin des 10 à 11 millions utilisés par les forces russes depuis le début du conflit. “Même avec l’aide de la Corée du Nord, les Russes ne peuvent pas maintenir une telle dépense de munitions, relève Mark Cancian. Ils seront toujours en capacité de se battre à un niveau élevé, mais ils devront hiérarchiser les cibles.” La guerre est partie pour durer.



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Author : Paul Véronique

Publish date : 2023-11-19 06:00:00

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Tags :L’Express

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