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Stéphane Courtois : “L’attaque du Hamas du 7 octobre est une nouvelle Saint-Barthélemy”

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Le progrom du 7 octobre vient de nous le rappeler, tout comme l’agression de l’Ukraine, la persécution des Ouïghours, le massacre des Kurdes, et tous les actes barbares qui rythment la vie des peuples et des nations, la cruauté est un fait politique incontestable. De la cruauté en politique (Perrin)*, ouvrage collectif passionnant qui vient de paraître sous la direction de Stéphane Courtois, coauteur du Livre noir du communisme (Robert Laffont, 1997) et du Livre noir de Vladimir Poutine (Robert Laffont, 2022), lui restitue sa dimension historique en montrant sa récurrence et sa variété. Des assassinats politiques aux tueries des régimes totalitaires en passant par les guerres révolutionnaires, les auteurs, parmi lesquels Patrice Guéniffey, Thierry Lentz ou encore Olivier Dard, ne nous cachent rien des horreurs commises pour s’emparer du pouvoir et le conserver. On y trouvera, au-delà de vastes connaissances, une leçon de vigilance pour le présent. Descartes notait à raison que “c’est proprement avoir les yeux fermés sans tâcher jamais de les ouvrir que de vivre sans philosopher”. Ni connaître l’histoire, faudrait-il ajouter.L’Express : Vous publiez un ouvrage collectif sur la cruauté en politique au moment où les guerres, en Ukraine et au Proche-Orient, occupent le devant de la scène. Le moment est bien choisi…Stéphane Courtois : Ce livre est le fruit d’un colloque ayant précédé l’épidémie de Covid-19. Mais je vous accorde qu’entre la guerre en Ukraine et l’attaque du Hamas du 7 octobre, il est rattrapé par l’actualité. Il serait cependant naïf de penser que la cruauté était devenue résiduelle avant ces épisodes. Les massacres, dans l’histoire, ont été fréquents, et ils le restent. La cruauté fait partie de la nature humaine. Il existe chez l’homme une propension, dans certaines circonstances, à exterminer son prochain.Quelle est la différence entre la cruauté et l’abus de pouvoir, la violence, la guerre ?La cruauté peut certes avoir un sens métaphorique, mais nous nous sommes intéressés ici à son sens littéral, qui renvoie à son étymologie, crudelitas en latin, “qui fait couler le sang”. Elle implique tous les actes de grande violence commis en politique, comme la torture, l’assassinat, l’élimination. Ces actes ne concernent pas forcément la politique au départ, puisque si l’on en croit l’histoire de Caïn et Abel, la cruauté est apparue fort tôt dans notre histoire. Mais elle prend des proportions plus grandes encore en politique, c’est-à-dire quand il est question du pouvoir et du prestige.Mes collègues historiens qui étudient la guerre utilisent toujours des euphémismes : violence extrême, exactions, brutalité, brutalisation… mais jamais le mot qu’il faut employer, la cruauté. Si vous parlez à un historien de la révolution française, et qu’il est, comme la majorité de ses collègues, communisant et robespierriste, il vous expliquera que non, pas du tout, que c’est ainsi, qu’il ne faut pas prêter plus d’attention que cela à la cruauté. Au contraire, les auteurs de ce livre ont pour particularité d’accepter d’évoquer cette réalité, l’extraordinaire violence dans sa dimension la plus concrète. L’ouvrage comporte un chapitre, par exemple, sur les crimes du FLN ou sur la façon dont Mahomet s’empare du pouvoir en exterminant des tribus, notamment juives.Vous montrez que la cruauté s’accompagne de la jouissance d’exterminer son ennemi.C’en est même la quintessence. On a pu voir, dans les vidéos diffusées par le Hamas, que les terroristes exultaient de joie en perpétrant leurs atrocités. On pourrait aller jusqu’à comparer l’attaque du 7 octobre au massacre de la Saint-Barthélemy, dont on tend à oublier qu’il fut atroce. Mais quand la cruauté prend la proportion de massacres de masse, la jouissance devient plus indirecte, statutaire, car les perpétrateurs ont alors le sentiment du devoir accompli – c’était le cas des bolcheviques et des SS. Même si au bout du compte, ces gens finissent par ne plus supporter ce qu’ils font et ont besoin de se saouler avant d’agir.L’ouvrage se penche notamment sur les combats de gladiateurs, et montre qu’ils n’étaient pas aussi barbares qu’on le pense.C’était effectivement le cas dans les premiers siècles de la République romaine. Mais la gladiature s’est faite de plus en plus ritualisée, en particulier au moment de funérailles. Puis sous l’Empire, organisée par des hommes politiques très importants qui cherchaient à accroitre leur clientèle, elle visait à attirer une grande foule – le Colisée à Rome pouvait accueillir 50 000 spectateurs. Elle mettait en jeu des combattants qui étaient les stars de l’époque. Même si l’image du pouce pointé vers le haut ou vers le bas est largement fausse, le combat était l’occasion d’un moment pseudo-démocratique, où le public avait le sentiment de pouvoir décider du sort des gladiateurs et de l’issue du combat en fonction de certaines règles ou valeurs comme les techniques employées ou le courage. Les gladiateurs étaient ensuite glorifiés via leurs tombeaux. Tout était codifié.Après la paix relative de l’Empire romain, analysez-vous, une rupture se produit au Moyen Age après l’effondrement de ce dernier.Une période de violences endémiques et de vendettas s’ouvre, opposant les grandes familles aristocratiques les unes aux autres, chacune ayant ses propres règles. Ce sont les monarchies, c’est-à-dire un pouvoir qui se centralise, qui vont mettre fin à ces guerres particulières et à l’arbitraire incontrôlable de nombreux seigneurs. Citons Gilles de Rais, connétable de France, compagnon de Jeanne d’Arc dans la guerre contre les Anglais, l’un des plus proches compagnons du roi et qui, pour fabriquer de l’or, sombre dans l’alchimie la plus fantaisiste et se met à assassiner dans des conditions abominables des enfants par dizaine jusqu’au moment où l’Eglise l’oblige à avouer, à faire pénitence puis le remet au bras séculier du roi qui le supplicie. Même chose quand Louis XIII et Richelieu interdisent les duels et exécutent quelques duellistes pour l’exemple, parce qu’au lieu de se tuer en duel, les nobles auraient mieux fait d’aller faire la guerre… Comme le rappelle Richelieu dans son Testament politique, il n’est pas acceptable qu’ils privent l’Etat de leur service en s’entretuant. Il a fallu des siècles pour que les pouvoirs centraux puissent canaliser, limiter, interdire ces conflits interpersonnels.La pacification se fait par la construction de l’Etat. Mais l’Etat, lui aussi, peut faire couler le sang, contre ses sujets ou citoyens, ou en faisant la guerre.La cruauté en politique n’intervient pas, de nos jours, dans n’importe quelle situation. Heureusement, nos sociétés vivent d’ordinaire en paix intérieure et internationale. Mais évidemment, des situations emblématiques existent où cruauté et politique se rencontrent. On peut citer pour commencer le cas des guerres interétatiques régulières, qui sont plus ou moins réglementées. Clausewitz l’a bien résumé : la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Un Etat reste généralement rationnel en poursuivant ses objectifs de puissance, de ressources et de frontières, c’est pourquoi on réglemente la guerre. Les critères sont précis : peut-on assassiner les prisonniers ou non ? Les civils ou non ? Deux points très importants qui existent depuis la Grèce antique. A cette époque, les guerres d’hoplites étaient extrêmement ritualisées. Au premier ou au deuxième mort, on cessait le combat.Les Romains, qui étaient assez brutaux, ont assoupli cette règle. Et en définitive, les peuples vaincus étaient bien traités s’ils se soumettaient comme l’a montré la formidable prospérité de la “France” gallo-romaine après la défaite des Gaulois à Alesia. Il n’empêche que les Romains ont commis le premier génocide connu et reconnu, l’extermination de Carthage, où sur les 750 000 Carthaginois, 700 000 ont été assassinées et 50 000 réduits en esclavage. Carthage et ses habitants disparaissent alors pour toujours. Aujourd’hui, des conventions continuent de régir les affrontements entre Etats en guerre.Qu’est-ce qu’une guerre irrégulière, et est-elle plus cruelle qu’une guerre régulière ?Dans ce cas, l’une des deux parties en conflit n’est pas un Etat constitué, et une armée régulière alors est confrontée soit à un groupe rebelle, soit même à une population entière. Ainsi de la guerre napoléonienne en Espagne, qui fut d’une violence incroyable et que le peintre Goya a bien illustrée. On n’en parle guère en France… Cette guerre a eu des suites car une partie des soldats et officiers français qui y avaient participé sont allés ensuite conquérir l’Algérie, comme Bugeaud, qui y commit des massacres. La récente attaque du Hamas contre Israël relève également de la guerre irrégulière, doublée en outre d’une guerre de religion et d’une guerre révolutionnaire.L’exemple même de la guerre révolutionnaire cruelle est la guerre de Vendée, un épisode dont l’historiographie française ne parle quasiment pas. Rien chez Michelet. Presque rien chez les spécialistes du sujet, et ce même avant que les communistes ne prennent le contrôle de l’histoire de la révolution, depuis la Sorbonne. Or les discours radicaux à la Convention, puis les ordres du Comité de salut public donnés aux généraux, et enfin les colonnes infernales sur le terrain ont provoqué une guerre civile et révolutionnaire qui a entraîné au moins 150 000 morts dans des conditions abominables, et ce dans une région de petite taille.Après la chute de Robespierre et la liquidation de la Convention, Napoléon devenu Premier consul limogera le général Turreau, qui dirigeait ces colonnes. Napoléon ne supportait pas ce genre de généraux qui avaient fait la guerre en exterminant des civils. On trouve chez ces deux hommes une perception de la guerre bien différente.Mais cela n’empêchera pas Napoléon de mener cette guerre sanglante en Espagne !Il ne s’attendait pas à y rencontrer une telle résistance. Il y avait nommé son frère roi et pensait l’affaire réglée. Sa réaction s’explique en partie parce qu’il commençait à cultiver une hubris de plus en plus puissante. C’est un élément important : les décideurs politiques peuvent avoir un comportement rationnel jusqu’au moment où l’hubris les saisit. Leurs triomphes sont tels qu’ils deviennent enragés et leur cruauté incontrôlable.C’est le cas de Hitler. En 1939, Hitler persécute les juifs allemands et les nazis assassinent plusieurs milliers d’entre eux. Fin mai 1940, alors qu’il est clair que la France est battue, Himmler envoie un mémorandum à Hitler sur le sort des juifs pour lui proposer de les envoyer à Madagascar, colonie française, parce que les Allemands, explique-t-il, ne peuvent pas appliquer les méthodes inhumaines d’extermination des bolchéviques. C’est étonnant quand on sait ce qui se passe ensuite… Hitler est indécis. En 1941, quand l’Allemagne attaque l’URSS, on passe à l’étape suivante, la “Shoah par balles” en URSS, où plus d’un million de juifs sont tués. En décembre 1941, la situation s’aggrave pour l’Allemagne et une pensée s’installe chez Hitler : je ne sais pas si je vais gagner la guerre contre les Alliés mais au moins je gagnerai celle contre les juifs. Peu après, en janvier 1942, c’est la conférence de Wannsee et la décision de la “solution finale” qui aboutira à l’extermination de plus de 6 millions de juifs.Vous évoquiez à l’instant les guerres civiles. Pourquoi sont-elles si cruelles ?Elles le sont massivement en effet. Il est parfois difficile d’expliquer leur niveau de brutalité. Au Rwanda, par exemple, 800 000 personnes se sont entretuées à la machette, des gens qui n’étaient pas de la même ethnie mais qui étaient voisins. C’est un cas presque unique parmi les génocides, tant il fut court et barbare. Parfois, la justification est politique, comme pour la Vendée ou la guerre civile russe. Cette dernière, qui a été terrifiante, s’est déroulée dans un contexte de guerre européenne et mondiale qui allait faire des millions de morts. C’est ce que Lénine emploie comme justification : pour mettre fin à un conflit mené par les capitalistes impérialiste, nous devons employer les grands moyens. Chez Lénine, dans l’ensemble, le message a le mérite d’être toujours clair, puisqu’il passe son temps à réclamer la terreur. “Trouvez des gens plus dur! Pendez plus !” Telles étaient ses exigences. Plus il a le sentiment d’avoir une chance de conserver le pouvoir, plus il devient féroce. C’est à ce moment-là que se produit la grande famine de 1921-22 ou 3 à 5 millions de paysans sont sacrifiés – paysans qui seront toujours maltraités par les régimes communistes, sans doute parce que, comme l’écrivait Montesquieu, « ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers ».La statue de Lénine près du siège du gouvernement local à Comrat, principale ville de Gagaouzie, une région autonome de Moldavie où la nostalgie de l”URSS est forte, le 7 avril 2014Est-ce quand la révolution accouche d’un Etat totalitaire que la cruauté est à son paroxysme ?Concernant la Russie révolutionnaire puis l’URSS, je n’emploie pas le mot d’Etat communiste mais celui de “pouvoir”, car “Etat” signifierait qu’on mette sur le même plan par exemple, un régime comme la IIIe République et le système léniniste, ce qui est absurde. Il est sous-entendu que l’Etat est un Etat de droit et non un parti-Etat, un pouvoir révolutionnaire totalitaire. Or un pouvoir totalitaire n’agit pas de façon à défendre le bien public général, il adopte une démarche purement idéologique : il incarne un bien absolu et s’oppose aux méchants. Dans ce contexte, la tuerie se justifie automatiquement. Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous, et on va vous exterminer.Cette logique aboutit à la normalisation de l’extermination. Chez les nazis, cela donne la SS et les centres d’extermination ; en URSS, le fameux bourreau de la Loubianka, Vassili Blokhine, est un homme ordinaire et bon mari qui, à la fin de sa carrière, aura assassiné d’une balle dans la tête environ 15 000 personnes et sera couvert de médailles par le parti, avec toutes les primes afférentes – une voiture, une montre en or, un revolver. Après avoir “travaillé” la nuit, il allait acheter des fleurs pour couvrir l’odeur du sang qui le faisait suivre par les chiens dans la rue. Il n’était pas connu personnellement de Staline mais celui-ci s’informait régulièrement de ses faits et gestes.Quel était le rapport de ces dictateurs à la cruauté? Etaient-ils tous des criminels sanguinaires ?Hitler n’a jamais signé un seul ordre d’extermination des juifs, tout s’est passé à l’oral entre lui et Himmler. Himmler lui-même ne semble avoir assisté qu’une fois à une exécution, où il a failli tomber dans les pommes. Lénine était du même type. Il a peu participé aux événements. Il n’était pas en Russie au moment des événements révolutionnaires de 1905, puis il est reparti en exil, n’est revenu qu’en avril 1917 et s’est réfugié pendant des semaines dans la clandestinité. Par la suite, Lénine donnait des ordres généraux pour trouver des gens plus durs et pendre davantage, avant de promulguer le décret sur la terreur rouge de septembre 1918, puis de mettre personnellement la main à la rédaction du nouveau code pénal, en juin 1922, qui légalisait la terreur. Mais cela restait pour lui très abstrait et d’ailleurs il avait trouvé l’homme indispensable qui allait se couvrir de sang, le fondateur de la Tcheka, Felix Dzerjinski, qu’il appelait “notre Fouquier-Tinville” – les filiations sont claires.Staline, de son côté, était un criminel. Il a commencé sa carrière de révolutionnaire comme criminel de droit commun, acoquiné avec le plus grand bandit du Caucase, Kamo, avec lequel il menait des opérations de pillage violentes, à la bombe, au revolver. Il s’illustra lors du hold-up de Tiflis qui rapporte beaucoup d’argent aux bolcheviks. C’est d’ailleurs comme cela qu’il est repéré par Lénine, qui parle alors du “merveilleux Géorgien”. Pour Staline, la cruauté était concrète, il savait ce qu’était tuer un homme.Quant aux communistes chinois, ils ont été formés par des Kominterniens de Moscou à la fin des années 1920 et dans les années 30, avec des méthodes ultraviolentes. Mao lui-même ne mégotait pas sur les ordres d’extermination, ayant lui aussi trouvé l’homme indispensable, Kang Sheng, qui dirigeait sa police secrète ou plutôt l’organe de la terreur.Et il ne faut pas ignorer que certains dictateurs sont de véritables psychopathes qui prennent plaisir dans la souffrance d’autrui, comme le tyran ougandais Idi Amin Dada.Vous montrez aussi que la cruauté peut s’étaler au grand jour ou se faire secrète.Cela dépend des objectifs politiques poursuivis. La cruauté publique, violente et spectaculaire, par exemple pendant la guerre civile russe – à Sébastopol en Crimée, 50 000 militaires blancs ont été pendus aux balcons – vise à tétaniser toute opposition. J’ai évoqué le Hamas tout à l’heure, ou encore la Saint-Barthélemy : le but est de briser l’énergie de l’ennemi. Mais ensuite, lorsqu’il s’agit de gérer un pays de 170 millions d’habitants, comme a dû le faire Staline pendant les années 1930, si l’on ne veut pas déclencher une révolte générale, il faut pratiquer une terreur de masse mais secrète. La Grande Terreur de 1936-37 – plus de 700 000 personnes assassinées d’une balle dans la tête en 14 mois sur ordre précis du Kremlin avec des quotas par région – est entièrement secrète. Les gens disparaissent du jour au lendemain.Autre exemple, le massacre de Katyn en avril et mai 1940 : si Staline avait publiquement annoncé qu’il allait exterminer 15 000 officiers polonais prisonniers de guerre, cela aurait tétanisé tout le monde, même Hitler… Alors il le fait en secret et les soviétiques le cachent le plus longtemps possible, jusqu’en 1990 ! Jusqu’à la fin de l’URSS, ils ont nié être responsables et aujourd’hui ils sont en train de faire machine arrière, en prétendant que ce n’est pas si clair. L’ordre original d’exécution signé par tout le Bureau politique le 5 mars 1940 existe pourtant bel et bien !J’ai retrouvé une citation de Soljenitsyne extraite d’un texte publié le jour où il a été arrêté puis expulsé d’URSS, le 12 février 1974 : “Quand la violence fait irruption dans la vie paisible des hommes, son visage flamboie d’arrogance, elle porte effrontément inscrit sur son drapeau, elle crie : ‘Je suis la violence ! Place, écartez-vous, ou je vous écrase !’ Mais la violence vieillit vite. Encore quelques années et elle perd son assurance, et pour se maintenir, pour faire bonne figure, elle recherche obligatoirement l’alliance du mensonge. Car la violence ne peut s’abriter derrière rien d’autre que le mensonge, et le mensonge ne peut se maintenir que par la violence.”On retrouve la même culture du secret chez Vladimir Poutine, qui parlait en février 2022 d’une “opération spéciale” au moment de l’invasion de l’Ukraine.Poutine a mis un an à prononcer le mot guerre ! Il se place dans la pleine continuité de la pratique soviétique, stalinienne même. C’est un homme du KGB, c’est-à-dire de l’organe de la terreur soviétique. Il y a appris le secret, le mensonge, la désinformation et la provocation. C’est aussi pour cela que les dirigeants occidentaux se sont fait rouler dans la farine. Ils auraient dû mieux connaître le système soviétique. Les Chinois utilisent le même procédé avec les Ouïghours : soit ils sont, sous la terreur, incités à parler et à penser “chinois”, soit ils sont qualifiés de terroristes et traités comme tels. Comme l’a montré George Orwell, le discours des communistes est systématiquement l’inverse de la réalité.La cruauté du régime russe ne s’est-elle pas accentuée dans les dernières années ? Faut-il y voir l’effet de l’hubris que vous remarquiez précédemment ?Certainement. Revenons sur son ascension. Un jour, on apprend qu’un certain Vladimir Poutine est nommé chef du FSB, héritier du KGB. Dans l’euphorie de l’effondrement de l’URSS, personne n’y prête attention. Il fait carrière en politique, jusqu’à être élu président. Pour le dire autrement, il était envoyé par le KGB pour reprendre le pouvoir en main. Cela a été confirmé par Poutine lui-même via plusieurs déclarations qui ont été dévoilées depuis. La police politique est restée très puissante en Russie, surtout après le basculement de la fin des années Brejnev. Le dispositif soviétique de base était fondé sur le parti, le pilier fondamental et décisif, l’Armée rouge et l’organe de la terreur. Staline a toujours fait en sorte que le parti commande aux deux autres, en liquidant l’état-major de l’armée avant la guerre et celui du NKVD après la Grande Terreur. Mais en 1979 à la mort de Brejnev, Iouri Andropov, le patron du KGB, a été nommé chef du parti. Les hommes du KGB, y compris Poutine, en ont conçu un grand sentiment de supériorité. C’est là que l’hubris commence. Sauf qu’en 1991, l’hubris s’effondre avec l’URSS. Les anciens officiers du KGB avaient peur de l’avenir, ils n’étaient plus rien. Quelqu’un comme Poutine n’était plus rien.En 1992, après la dislocation de l’Union soviétique, le gouvernement de Boris Eltsine invite le dissident Vladimir Boukovski à servir d’expert à la Cour constitutionnelle lors d’un procès devant déterminer si le parti était une organisation criminelle. Eltsine, d’abord, laisse faire et lui donne accès aux archives. Jusqu’au moment où des archivistes vont s’apercevoir que Boukovski copie des milliers de pages avec un scanner… Il est forcé de repartir et l’idée d’un procès du parti et du KGB est abandonnée. La corruption s’emballe, ce qui offre au KGB des moyens de pression.C’est dans ce contexte que Poutine émerge. Il n’est qu’un petit lieutenant-colonel. Président, il ressemble à un petit fonctionnaire à la posture timide et au costume bas de gamme. Le basculement dans l’hubris se fait en 2008 avec l’opération en Géorgie. Il constate qu’aucune réaction réelle ne s’ensuit. Il a face à lui des gens très faibles, comme Sarkozy, qu’il manipule à l’envi. Il est retors, habile, il peut tenir un discours diabolique un jour et affable le lendemain – comme les bolcheviks. Et il continue. Raison pour laquelle il est surpris de rencontrer une résistance en février 2022 car il pensait que tous les dispositifs de guerre hybride qu’il avait installés allaient lui permettre d’entrer en Ukraine exactement comme Hitler était entré en Autriche en 1938.La supériorité des démocraties libérales est d’avoir réussi à limiter considérablement la cruauté politique. N’avons-nous pas perdu la capacité à la prévoir et à la reconnaître chez les autres ?Exactement. Nous avons éjecté la cruauté à l’extérieur. C’est faire preuve de beaucoup de naïveté. Mais je ne jette la pierre à personne. En 1991, j’étais moi aussi persuadé qu’une vaste autoroute démocratique venait d’être inaugurée. Et cela arrangeait tout le monde de penser que les élites russes n’avaient plus rien à voir avec les bolchéviques. Même les oligarques se sont fait avoir, et tout récemment, Prigojine. Poutine s’est servi de Prigojine et Wagner, qui faisaient la guerre pour lui. Mais l’hubris s’est emparée de Progojine, à tel point qu’il s’est trouvé victime d’une provocation orchestrée par Poutine – c’est mon interprétation. On lui a laissé entendre qu’il y avait dans l’armée des gens prêts à faire un coup d’Etat. L’objectif était de le pousser à se lancer, et partant de pouvoir l’éliminer “légitimement” puisqu’il s’était attaqué au pouvoir. Ceux qui y ont vu la “fin” de Poutine avaient évidemment tort. Ce sont des méthodes bolchéviques : pousser à la faute pour ensuite attaquer tout en faisant mine de se défendre.Il ne faut pas surestimer Poutine qui, en Ukraine, s’est trompé dans les grandes largeurs, mais il ne faut pas non plus le sous-estimer. Il a les capacités et les moyens de mener ses projets à exécution. Il faut avoir conscience, notamment, que la guerre civile, chez les bolcheviques, qui s’inspiraient sur ce point directement des écrits de Marx, était un outil de la révolution. hubris.* De la cruauté en politique. De l’Antiquité aux Khmers rouges, sous la direction de Stéphane Courtois. Perrin, 400 p., 25 €.



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Publish date : 2023-11-19 07:00:00

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