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“Ecocide”, “islamo-gauchisme”… Quand les mots deviennent des armes politiques

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Longtemps, quand un mari tuait son épouse, son acte était qualifié de “crime passionnel”. Depuis 1992, on parle de “féminicide” – “meurtre d’un être humain de sexe féminin en raison de son sexe”, selon la définition du dictionnaire. La réalité est restée la même, mais le regard que la société porte sur ce type d’homicides a changé. “Féminicide” a marqué les esprits. Le terme n’a pas suffi à mettre fin à ces actes criminels, évidemment, mais au moins les autorités sont-elles désormais soumises à une forte pression pour agir dans ce domaine.Le cas n’est pas isolé. “Ecocide”, “islamo-gauchisme”, “grand remplacement” : les Français découvrent régulièrement de nouveaux vocables lancés dans le débat public par des groupes militants. Un activisme langagier au cœur du passionnant colloque “Lutter avec des mots : néologie et militantisme”, qui s’est tenu les 16 et 17 novembre à l’université de Strasbourg, en Alsace, à l’initiative de deux linguistes, Vincent Balnat et Christophe Gérard, enseignants-chercheurs à l’université de Strasbourg et membres du laboratoire Linguistique, langues, parole (LiLPa).C’est que ces néologismes rendent bien des services aux activistes de toutes obédiences. Fixer l’objectif à atteindre (“sororité”, “urgence climatique”). Offrir de la visibilité à une minorité (“transgenre”). Sans oublier de désigner l’ennemi (“agromafia”, “islamo-gauchisme”, “Françafrique”). “Le succès d’une lutte ne dépend pas uniquement des mots utilisés, mais une bataille militante va souvent de pair avec des créations lexicales. Ces néologismes permettent d’attirer l’attention sur des phénomènes que l’on combat ou des objectifs que l’on souhaite voir se réaliser”, souligne Vincent Balnat.Dans l’affrontement, tous les procédés linguistiques sont bons. Mots composés (“climato-sceptique”) ; préfixes (“antispécisme”, “provax”, “antivax”) ; suffixes (“dégagisme”, “écocide”, “féminitude”)… Et cela d’autant plus aisément que la langue française se prête très bien à ces inventions – ce qui n’empêche pas, ici comme ailleurs, un recours fréquent aux anglicismes (“#Metoo”, “greenwashing”).De “Jean-Pierre Raffarien” à “Macronavirus”Les noms propres n’échappent pas à ce mouvement, notamment quand il s’agit de ridiculiser l’adversaire. Cela se vérifie en premier lieu dans la vie politique et les manifestations, de “Jean-Pierre Raffarien”, à “Jospinocchio”, en passant par “Macronavirus” ou le plus trivial “Jean-Cul Mélenchon”. Les noms des partis eux-mêmes font l’objet d’une attention particulière. Ce n’est pas un hasard si Marine Le Pen, tout à son entreprise de dédiabolisation, a abandonné le trop belliqueux Front national au profit d’un fédérateur Rassemblement national.Plus singulier : il arrive que certains groupes revendiquent le terme stigmatisant dont on les a longtemps affublés, en tout cas, en interne, sur le mode “j’assume ce que je suis”. “Certains homosexuels se réapproprient la désignation “pédés”, tandis que de jeunes immigrés originaires d’Afrique subsaharienne s’affichent comme des “négros””, indiquent Vincent Balnat et Christophe Gérard. D’autres cherchent au contraire à retourner ces appellations contre leurs opposants, notamment à l’extrême droite, où l’on aime dénoncer les “sioniSStes, “les droidelomiSSes” et autres “islamonazis”… Des références que l’on a retrouvées pendant l’épidémie de Covid, où ont fleuri les slogans contre le “passe nazitaire” et les “vacSSins”.Concevoir des vocables inédits pour mener une bataille idéologique n’est pas récent. Persuadés que maîtriser le vocabulaire était un moyen d’imposer leurs idées, les révolutionnaires français ont sans doute été les premiers à y recourir de manière systématique en forgeant des concepts jusque-là inconnus (“sans-culotte”), en modifiant les civilités (“citoyen” et “citoyenne”), en transformant les noms de lieux (Bourg-la-Reine rebaptisée “Bourg-L’Egalité”) et même le découpage du temps (“nivôse”, “pluviôse”, “ventôse”…). Bien des régimes totalitaires suivront leur exemple, notamment l’URSS (“social-traître”, “prolétariat”) et le IIIᵉ Reich (“sous-humanité”, “déjudaïser”, “aryaniser”). Internet, toutefois, change notablement la donne. “Les réseaux sociaux permettent une diffusion plus rapide des néologismes et encouragent chacun à faire preuve de création lexicale, notamment par l’utilisation des mots-dièses”, note Christophe Gérard.Cela n’empêche pas certaines innovations de se référer explicitement au passé. L’universitaire Philippe Blanchet, qui a bâti le terme “glottophobie”, s’en expliquait ainsi dans L’Express : “La manière dont vous parlez est un attribut de votre personne, au même titre que votre nationalité ou votre sexe. Rejeter votre manière de parler, c’est donc rejeter votre personne même. Glottophobie permet d’établir un parallèle avec la xénophobie ou l’homophobie, de faire comprendre que c’est un droit de l’homme qui est bafoué.”Après tout, il aurait été paradoxal que les linguistes n’emploient pas de nouveaux mots pour mener leurs propres combats…(1) Lutter avec des mots : néologie et militantisme. Colloque international organisé les 16 et 17 novembre à l’université de Strasbourg.À LIRE AILLEURSSuivez la semaine des langues régionales sur France 3France 3 propose du 22 au 28 novembre une programmation inédite spéciale langues régionales sur ses antennes régionales. A cette occasion, seront mis en avant “l’alsacien, le basque, l’occitan, le saintongeais, le catalan, le nissart, le provençal, le corse et le breton”, présentés comme autant de “langues” par la chaîne de télévision.Make it iconic. Choose France” : le nouveau slogan lancé par Emmanuel Macron“L’amour des gestes et du savoir-faire, la volonté de défendre une vision originale, l’art de ne rien faire comme les autres”, voilà ce que signifient ces quelques mots : “Make it iconic. Choose France”. C’est ainsi que l’Elysée présente la campagne de communication lancée quelques jours après l’inauguration de la Cité de la langue française, à Villers-Cotterêts. Une coïncidence qui conduit certains à s’interroger sur la cohérence d’Emmanuel Macron dans le domaine linguistique…La Russie veut bannir les mots étrangers de l’espace publicLe texte examiné par le Parlement vise à faire reculer l’usage des langues occidentales dans l’espace public. Il prévoit notamment d’exclure les noms anglais (sale, open, Moskva City…) et parfois français (café) des enseignes, affiches, panneaux, quartiers et projets immobiliers.Le gallo à l’honneur dans les Côtes-d’ArmorL’association Qerouézée organise jusqu’au 26 novembre le festival Gallo en scène afin de défendre cette langue romane parlée dans l’est de la Bretagne. Des événements sont prévus dans différentes villes des Côtes-d’Armor : Bréhand, Dinan, Lamballe-Armor, Landéhen, Morieux, Plérin et Saint-Brieuc.Brest : symposium sur l’”histoire sociale des langues de France”Dix ans après la publicationde l’Histoire sociale des langues de France (Presses universitaires de Rennes), l’université de Brest organise, les 23 et 24 novembre, un symposium sur le même thème, afin de mettre en lumière le paysage sociolinguistique de la France, qu’il s’agisse de langues dites régionales, ultramarines ou d’immigration.25 éditions du Petit Prince dans les parlers du Croissant !Grâce à la collaboration entre locuteurs et universitaires, 25 traductions différentes du Petit Prince sont désormais disponibles dans des variantes des parlers du Croissant, cette langue peu connue pratiquée dans le Massif central. Une aventure linguistique exceptionnelle menée à bien grâce aux éditions Tintenfaß, qui proposent une offre spéciale pour Noël.200 mots rares et savoureux pour briller“Dirimer” (rompre, empêcher) ; “nycthémère” (alternance du jour et de la nuit pendant une durée de vingt-quatre heures) ; “quérulent” (qui a tendance à contester ou à se plaindre)… Marion Navenant propose de remettre au goût du jour 200 mots aujourd’hui tombés en désuétude. Initiative en soi louable, mais pourquoi vouloir le faire uniquement pour “briller” ?200 mots rares et savoureux pour briller, par Marion Navenant (éd. De Boeck Supérieur).Summerlied. L’Alsace en musiquesDepuis vingt-cinq ans, le festival Summerlied accueille tous les genres musicaux, de la chanson au jazz, en passant par le rock, les chants yiddish, la bloosmüsik et le Minnesang. Cet ouvrage agrémenté de quelque 250 photos retrace l’histoire du festival et des artistes qui s’y sont produits. Un hommage à la culture de l’Alsace et, à travers elle, de toutes les régions de France.Summerlied. L’Alsace en musiques, par Jacques Schleef et Albert Weber (Le Verger Editeur).Conférence dans la Drôme : les accents, cette discrimination oubliéePourquoi, en France, un seul accent est-il jugé “normal” ? Pourquoi n’entend-on jamais ou presque à la télévision ou à la Comédie-Française les intonations de Strasbourg, de Dax ou de Montélimar ? Et qui s’est arrogé le pouvoir de définir la “bonne” manière de parler ? De fait, il existe en France une discrimination par les accents, source de souffrances psychologiques plus graves qu’on ne le pense et, de surcroît, non reconnue comme telle. 30 millions de personnes environ sont concernées.C’est sur ce thème que j’aurai le plaisir de donner une conférence le samedi 25 novembre, à 16 h 30, salle des fêtes d’Aubres, près de Nyons (Drôme), dans le cadre du festival Contes et rencontres.À ÉCOUTERQuand la République combattait la langue des signesEn 1880, lors d’un congrès international donné à Milan, les participants imposèrent aux sourds de parler pour s’intégrer dans la société, en réprouvant la langue des signes. Leur argument ? Selon eux, celle-ci n’était pas une vraie langue et ne pouvait exprimer des idées abstraites. Cette émission de France Culture revient sur cette décision qui eut des effets catastrophiques.À REGARDERNos régions ont des chansons, Canta Kanañ !France 3 a diffusé le 15 novembre la captation du premier concert donné en langues régionales à Paris, en septembre, sur la scènede l’Alhambra. Ce spectacle, organisé à l’initiative de la chanteuse basque Anne Etchegoyen, a réuni des artistes s’exprimant en basque, en corse, en occitan, en breton et en alsacien.



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Author : Michel Feltin-Palas

Publish date : 2023-11-21 04:43:29

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