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Qui est Nathan Fielder, figure majeure de la “cringe comedy” ?

Qui est Nathan Fielder, figure majeure de la “cringe comedy” ?



Il y a quelques jours, Nathan Fielder partageait sur X (ex-Twitter) une nouvelle bande-annonce de sa série The Curse, en forme de parodie du trailer de la comédie romantique Anyone but You. Face caméra, Fielder et Emma Stone, qui interprètent le couple fictif de la série, reprennent à leur compte les quelques lignes de dialogue et l’animosité feinte entre la comédienne et le comédien du film, Sydney Sweeney et Glen Powell. La blague pourrait s’en tenir là : le simple pastiche d’un coup marketing un peu ringard. Mais, dans un geste fielderien par excellence, le roi du prank pousse le canular un peu plus loin, en publiant quelques heures plus tard un faux démenti sur le réseau social : “Je veux être très clair : nous avons tourné cette vidéo il y a six mois et je suis sérieusement contrarié que Sony [producteur d’Anyone but You] ait pu voir notre promotion et l’ait copiée. Personnellement, je n’intenterai pas d’action en justice, mais je ne peux pas parler au nom de Paramount+ ou de Showtime.”

Avec un usage malicieux des réseaux sociaux, le copié devient copieur et la simple parodie déborde de son cadre fictif initial pour finir par mettre en scène la concurrence des studios américains et refléter les préoccupations contemporaines concernant l’IA au cœur des revendications de la grève à Hollywood : “En tant qu’artistes, lorsque l’on fait ce genre de vidéo, on lit le script que l’on nous donne avec la confiance absolue que ce qu’on performe est une création originale et non un contenu plagié ou généré par une IA (une bataille que les artistes du monde entier mènent actuellement).”

Nathan Fielder and Emma Stone create a parody trailer of ‘Anyone But You’ to promote ‘The Curse’pic.twitter.com/9MRrckxd38— ScreenTime (@screentime) November 17, 2023

À une échelle réduite, on retrouve ici le jusqu’au-boutisme caractéristique de l’humour de Fielder, qui n’hésite pas à multiplier les couches de ses canulars, en élargissant toujours plus le cadre de ses blagues jusqu’à leur donner une dimension méta souvent vertigineuse. Si ses deux séries précédentes à la croisée du documentaire et de la fiction (Nathan for You et The Rehearsal) ont fait de lui une figure majeure de la comédie américaine malaisante, sa première série fictionnelle cocréée avec Benny Safdie semble enfin apporter une plus grande visibilité à l’humoriste, acteur, scénariste et réalisateur canadien en France.

Gêne et sidération

Après des débuts à la télévision canadienne, Nathan Fielder arrive en 2010 sur la chaîne américaine Comedy Central pour laquelle il travaille à la fois comme acteur et scénariste. En 2013, il cocrée sa propre émission sur la chaîne, Nathan for You, où il se met lui-même en scène en tant que présentateur d’une émission de téléréalité qui a pour but de venir en aide aux petites entreprises en difficulté de Los Angeles. Il met à profit son diplôme obtenu dans “l’une des meilleures écoles de commerce canadienne” (comme il aime à le rappeler dans le générique de la série) pour proposer des stratégies de marketing complètement farfelues qui se relèvent souvent efficaces.

D’une inventivité impressionnante, les solutions de Fielder reposent sur une disproportion hilarante entre les moyens engagés et leurs finalités. Pour booster l’économie de ces boutiques, l’humoriste met en œuvre une logistique invraisemblablement complexe et n’hésite pas à engager des comédien·nes, des sosies ou des dresseur·ses d’animaux, construire des décors de toute pièce (comme un café entier appelé DumbStarbuck) ou réaménager entièrement un petit commerce. S’il ne se pose pas la question de la faisabilité de ses plans extravagants, il ne se préoccupe pas non plus des considérations morales et apparaît volontiers à l’écran comme un menteur manipulateur. L’humour fielderien repose sur cet alliance stupéfiante : un effet de sidération provoqué par une créativité étourdissante croisé à un sentiment de gêne.

Ses plans s’apparentent parfois à de la publicité mensongère, voire de l’escroquerie (un exemple parmi d’autres : Fielder conseille à un supermarché de vendre de l’alcool aux mineurs, mais ceux-ci ne savent pas qu’ils ne pourront récupérer les bouteilles achetées qu’à partir de leurs 21 ans), tandis que d’autres mettent en place un marketing agressif dépourvu de morale (ainsi d’une tombe géante dans un cimetière d’animaux transformée en pancarte publicitaire pour l’animalerie du coin). C’est à cet endroit que la série devient particulièrement retorse, car le simple cadre de la téléréalité et la présence des caméras parvient à interférer dans la réaction des individus (que ce soient les client·es ou les entrepreneur·ses) en inhibant leurs réactions : là où on peut attendre des altercations ou de la colère, la série propose plutôt des moments de flottement traversés par la gêne.

Les puissances du faux

En 2022, sa nouvelle série The Rehearsal, diffusée sur HBO, propose une nouvelle fois une parodie d’émission de téléréalité, mais pousse la dimension conceptuelle de son projet beaucoup plus loin. Fielder invite des gens ordinaires à répéter des conversations ou des moments plus ou moins difficiles de leurs vies en utilisant des décors et des acteurs pour reproduire le plus précisément possible des situations réelles. Le délire perfectionniste du comique est ici mis au service d’une vaste expérience anthropologique, qui donne lieu à la série la plus originale de ces dernières années.

Au fil des épisodes, The Rehearsal s’engage dans un processus expérimental qui gagne peu à peu en ampleur, à mesure que Fielder multiplie les répétitions, les emboîte les unes dans les autres, et intègre l’une d’entre elles au long cours. Ces constructions gigognes vertigineuses finissent par rendre complètement inopérantes les notions de fiction et de réel et prennent la forme d’une machination monstrueuse à laquelle Fielder est lui-même pris au piège.

Passé maître dans le croisement entre documentaire et fiction, Fielder se lance pour la première fois dans un œuvre fictionnelle avec The Curse, tout en déployant de nouveau son humour cringe pour révéler la face la plus abjecte de la gentrification américaine. Comme pour Nathan for You et The Rehearsal, la comédie s’accompagne ici d’une puissante dimension politique (sans relever pour autant du discours univoque ou moralisateur), se faisant la chambre d’échos des crises économiques contemporaines doublée d’une satire de la société du spectacle. En dix ans et trois séries, Fielder a réussi à imposer cet humour qui n’appartient qu’à lui. Espérons que les diffusions de The Curse et de la saison 2 de The Rehearsal, attendue pour 2024, lui permettront d’être reconnu à sa juste valeur, celle d’un génie comique contemporain.





Source link : https://www.lesinrocks.com/series/qui-est-nathan-fielder-figure-majeure-de-la-cringe-comedy-601640-21-11-2023/

Author : Robin Vaz

Publish date : 2023-11-21 13:20:57

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