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Avec “TANZ”, Florentina Holzinger offre une puissante vision féministe du ballet classique

Avec “TANZ”,   Florentina Holzinger offre une puissante vision féministe du ballet classique



Figure phare de la nouvelle scène européenne, bousculant les conventions et jouant avec les limites, Florentina Holzinger conçoit des spectacles intensément organiques, aussi percutants que stimulants. Nous l’avons rencontrée pour évoquer TANZ, pièce emblématique de son travail, sa pratique chorégraphique, son rapport au corps, son approche du ballet classique et sa conception de l’art en général.

Succédant à Recovery et Apollon, TANZ constitue le troisième volet d’une trilogie axée sur l’apprentissage de différentes disciplines physiques sur scène, avec un focus particulier sur la transformation du corps et la transmission de l’expérience. Comment le projet de cette trilogie a-t-il pris forme et comment s’inscrit-il dans votre recherche artistique ?
Florentina Holzinger – Avant la trilogie, j’ai réalisé Schönheitsabend, un spectacle inspiré par la supposée dernière apparition scénique de Vaslav Nijinski, qui avait choqué le monde du ballet avec ses performances. C’était un personnage flamboyant sur scène, une présence androgyne, queer – du jamais vu jusqu’alors dans le ballet. Cela seul suffisait à être perçu comme “scandaleux” à cette époque. Je trouve intéressant de voir comment la perception du “scandale” change à travers le temps. Cette recherche m’a rapprochée du ballet et je suis tombée sur une pièce de Balanchine, Apollon musagète (sur une musique d’Igor Stravinsky – NDR). Balanchine pousse le ballet à ses extrêmes : les jambes sont plus longues, plus étirées, les danseur·ses sont super athlétiques et la chorégraphie est vraiment une démonstration de virtuosité. C’était la première fois que je m’intéressais de manière très littérale au thème de la douleur et j’ai commencé à travailler avec des personnes se qualifiant elles-mêmes d’“artistes de la douleur”, dont la pratique physique induit le contrôle de la sensation de douleur dans le corps. J’ai été frappée par le fait que des danseur·ses de ballet pouvaient aussi apparaître comme des artistes de la douleur. Le ballet se distingue par le fait que le résultat sur scène est censé exprimer l’exact contraire : l’apesanteur, la légèreté, la facilité.

Florentina Holzinger, TANZ © Nada Zgank – City of Women

Quel rapport entretenez-vous avec le ballet classique, particulièrement concernant le corps féminin ?
F.H. – Le ballet m’intéresse par sa tendance au grotesque via une immense sur-stylisation du corps. Certains fantasmes de féminité y sont portés à l’extrême, cela me fascine et me répugne tout autant. Dans TANZ, il y a aussi de la sur-stylisation et une attraction vers l’extrême, le spectacle est très “ballet” de ce point de vue. Mon histoire personnelle et l’histoire des interprètes, leur expérience de vie, ont joué un grand rôle dans le processus créatif. Nous avons beaucoup parlé de nos éducations en danse, des relations avec les professeur·es, et nous avons échangé des idées générales sur les notions de beauté et de féminité dans la danse. J’ai eu l’impulsion de faire ce spectacle après avoir rencontré Beatrice Cordua. Elle a fait scandale en 1972 en dansant nue dans Le Sacre du printemps chorégraphié par John Neumeier. Depuis lors, elle est appelée “la ballerine nue” dans les médias allemands. Une fois sa carrière de danseuse terminée, elle a enseigné pour des compagnies de ballet. Elle est aujourd’hui âgée de 84 ans et a la maladie de Parkinson depuis des années. J’ai tout de suite eu envie de construire un spectacle autour d’elle. Je lui ai alors demandé de nous donner un cours de ballet chaque jour pendant les répétitions et le cours a fini par être intégré au spectacle. Beatrice a largement inspiré le contenu de TANZ.

La pièce prend comme matériau de départ La Sylphide, un ballet romantique du début du XIXe siècle, composé par Filippo Taglioni, avec un livret d’Adolphe Nourrit inspiré du conte de Charles Nodier, Trilby. Pourquoi avoir choisi ce ballet ?
F.H. – La Sylphide contient certains aspects qui nous ont plu et nous ont semblé assez contemporains : l’élan vers la métaphysique, le fantastique, l’inexplicable ; des personnages de conte de fées sans genre déterminé ; le désir d’union avec la nature et les animaux, etc. Les sylphides et leur capacité à voler ont aussi, bien sûr, exercé une fascination sur nous. Dans TANZ, j’ai réuni sur scène des danseur·ses de ballet et des artistes de la douleur pour faire un spectacle basé sur le plus vieux rêve de l’humanité, fortement connecté au ballet et à la danse : apprendre à voler et défier la gravité.

Le spectacle est filmé en direct (par vous-même) et des images sont projetées sur des écrans. De quelle façon interagissent la performance, le live et le filmage ?
F.H. – La vidéo tient une place importante dans tous mes spectacles. J’aime cette couche de l’écran comme une extension du plateau. La performance live a cela de bien qu’elle donne aux spectateur·ices la liberté de choisir leur propre “cadrage”, de se focaliser ou de zoomer sur ce qu’ils ou elles veulent. Nous jouons bien sûr également avec la manipulation de cette “liberté” à travers des moyens théâtraux. Ce qui surgit sur l’écran, ce sont la plupart du temps les choses que le public estompe, qu’il ne veut pas regarder ou avec lesquelles il n’a pas envie de se confronter.

Florentina Holzinger, TANZ © Eva Würdinger

Les interprètes – uniquement des femmes, d’âges très divers – apparaissent nues dans la pièce et la nudité est un élément récurrent de votre travail. Comment vous situez-vous par rapport à la pornographie ?
F.H. – Pour TANZ, nous avons effectué de nombreuses recherches sur la relation entre ballet et pornographie. Le ballet a été conçu comme une technique pour montrer le corps, avant tout féminin, sous tous ses angles. En exagérant, on pourrait comparer les positions du ballet aux différents angles pornographiques. Le public des premiers ballets était majoritairement constitué d’hommes, excités à l’idée de regarder furtivement sous les jupes des danseuses. La rumeur circulait que les mécènes du ballet se rendaient en coulisses de l’Opéra de Paris, avant les spectacles, pour regarder les danseur·ses s’échauffer et obtenir certaines faveurs des ballerines en échange de leur soutien financier. La composante érotique de ces transactions est indéniable, mais elle n’est plus inhérente à l’univers du ballet aujourd’hui. Je voulais néanmoins rendre cette dimension très claire. Dans notre spectacle, le cours de ballet ressemble de prime abord à un cours ordinaire, mais si l’on zoome et exploite réellement l’image, il devient autre chose. L’idée de la ballerine est similaire à celle de Barbie : elle est désirable et sexy, mais sans organes génitaux, ce qui lui enlève tout pouvoir d’agir et fait d’elle la participante parfaite dans une structure patriarcale.

Vos pièces sont très intenses au niveau émotionnel, parfois même dérangeantes. Que cherchez-vous à susciter chez les spectateur·ices ?
F.H.– Je considère que le corps est mon laboratoire et je m’attache à explorer la danse comme une forme de “super-pouvoir”. En tant que danseuse, je suis très consciente que le corps est le médium et doit être traité avec précaution, comme un instrument, si on veut le réutiliser. Nous ne repoussons presque jamais les limites physiques durant nos pièces. Notre credo est le suivant : ce qui est possible est ce qui procure du bien-être. Ce qui n’est pas nécessairement ce qui a l’air de procurer du bien-être. À cet égard, j’ai beaucoup appris de l’univers du ballet, qui repose tellement sur la création d’une illusion de facilité. Selon moi, l’art peut être inconfortable, déstabilisant, il peut même aller jusqu’à être “problématique” – en tout cas, il devrait faire réfléchir. J’aime aussi remettre en question certaines idées sur l’art. Par exemple, l’idée selon laquelle l’art, par opposition au divertissement, n’a pas besoin de plaire, de divertir ou d’être joli. En fin de compte, nous voulons avant toute chose que chacun de nos spectacles soit “un bon divertissement”.

TANZ va être présenté en France pour la première fois en décembre à la Grande Halle de la Villette. Qu’attendez-vous de cette représentation à Paris ?
F.H. – Ça va être drôle, car Paris était l’épicentre du ballet en Europe au XIXe siècle. Nous sommes donc pile à la source ! Nous comptons sur l’ouverture d’esprit des spectateur·ices pour nous rejoindre dans ce tour de force : vivre une expérience unique, apprendre quelque chose, avoir un peu peur et rire beaucoup.

Certaines scènes peuvent heurter la sensibilité du public. Déconseillé aux moins de 16 ans.

Tanz de Florentina Holzinger, du 14 au 16 décembre 2023 à la Grande Halle de la Villette. Pour plus d’informations, rendez-vous sur lavillette.com

Propos recueillis par Jérôme Provençal



Source link : https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/avec-tanz-florentina-holzinger-offre-une-puissante-vision-feministe-du-ballet-classique-601583-22-11-2023/

Author : opscombat

Publish date : 2023-11-22 09:34:40

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