Si on a envie de rapprocher How to Have Sex de Molly Manning Walker et Bottoms d’Emma Seligman, c’est d’une part parce que les deux films sont sortis (l’un en salle, l’autre sur une plateforme de streaming) à moins d’une semaine d’intervalle. C’est aussi parce que les deux réalisatrices, respectivement âgées de 30 et 28 ans et autrices de leur premier et deuxième films (Seligman a déjà signé le très réussi Shiva Baby en 2020), incarnent un renouveau du cinéma contemporain qui passe non seulement par des récits féministes et portés par des personnages queer, mais aussi par une recherche formelle qui en fait deux films prototypaux, à la fois similaires et opposés.
Similaires parce qu’ils répondent tous deux à la question “comment vivre sa première fois quand on est une fille” et opposés parce qu’ils y répondent de façon radicalement différente.
Le consentement
À partir du référentiel incarné par le film d’Harmony Korine, Spring Breaker, How to Have Sex raconte l’excursion festive d’une bande de filles bien décidée à s’alcooliser jusqu’à plus soif et à perdre leur virginité. Le film déploie une mise en scène qui parie sur l’effet de choc d’un point de rupture, un brutal effet gueule de bois, où la fête se métamorphose en cauchemar lors d’une scène de sexe non consenti. Taxé dans plusieurs critiques d’autres journaux de convenu, formaté ou mal construit, le film dit pourtant sa vérité avec une radicalité assez révolutionnaire : déplacer la question du consentement de sa base légale à celle d’un rapport à l’autre.
À fleur de peau, mais jamais intrusive, tout en étant extraordinairement sensorielle et immersive, la caméra de Molly Manning Walker décrit une culture non seulement du viol, mais surtout de la négation du corps féminin, de son plaisir et de son désir.
Girl just wanna have fight
Le référentiel d’Emma Seligman est, lui aussi, un film dirigé par le regard masculin, on pense à SuperGrave de Greg Mottola. Porté par des acteur·ices tous·tes géniaux et géniales et une BO signée Charli XCX, Bottoms suit la mise en place d’un cours d’auto-défense féministe lancé par deux looseuses dans le but d’ainsi parvenir à avoir leurs premières expériences sexuelles avec les filles qui y participeront. Teen movie totalement zinzin, il est à la fois un déplacement inédit (si ce n’est peut-être Booksmart) en termese d’invention de personnages lesbiens et la réalisation d’une utopie concrète, où les femmes peuvent littéralement casser la gueule des mecs, même les plus musclés, ceux de l’équipe de football américain du lycée. Le problème que résout ce fight club féministe est celui de l’inégalité de genre dans la capacité à user de la violence. Avec son humour noir décapant, ses giclures de sang et son débit survolté, le film est une jubilation constante et libératrice.
Avec ces deux films, l’un sombre et réaliste, l’autre solaire et dément, ce sont les deux faces du même problème que posent Manning Walker et Seligman, à savoir la question de la jouissance féminine, sa négation par la culture du viol et sa célébration de la pratique de la violence comme vecteur d’émancipation.
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 22 novembre. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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Author : Bruno Deruisseau
Publish date : 2023-11-22 08:23:24
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