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En Allemagne, les juifs face au regain de l’antisémitisme : “Nous prenons cela très au sérieux”

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Yehuda Teichtal n’enlèvera pas sa kippa. Dans son costume trois pièces, cravate violette ultravoyante, ce rabbin orthodoxe de la communauté Habad Loubavitch refuse de se cacher. “Il ne faut surtout pas avoir peur !”, insiste-t-il assis dans son bureau de Berlin-Wilmersdorf. Sur le mur, un écran retransmet les images des 12 caméras de surveillance. Devant la synagogue, on installe de nouveaux plots anti-terroristes en béton et un sas de sécurité ultramoderne. “Un jour, tout ça disparaîtra. J’en suis sûr”, veut-il croire.Ce juif de 51 ans né à Brooklyn, dont 63 membres de sa famille ont été assassinés dans les camps de concentration, a débarqué à Berlin il y a 28 ans pour reconstruire ce que les nazis avaient détruit. Il a fait ériger la synagogue, puis inauguré, en juin dernier, avec le maire de Berlin, un campus abritant une école, un gymnase, un cinéma et un studio de musique. C’est le plus grand centre culturel juif d’Allemagne qui a vu le jour depuis la Shoah. “Notre prochain projet, c’est l’agrandissement de la synagogue. Elle sera trois fois plus grande !”, lâche-t-il.Face à la multiplication des actes antisémites – près 2000 ont été recensés depuis le 7 octobre contre 2641 pour toute l’année 2022 – , pas question pour lui de songer à l’exil. “Nous voulons accomplir notre travail”, insiste Yehuda Teichtal qui en appelle à la responsabilité individuelle des Allemands pour protéger les Juifs. “Chacun d’entre-nous doit se sentir comme un délégué à la lutte contre l’antisémitisme. Il ne s’agit pas seulement de nous mais de la liberté de chacun”, dit-il persuadé que l’Allemagne reste un “un pays sûr”.Cocktails Molotov lancés devant une synagogueTous les juifs de Berlin ne manifestent pas la même confiance. “Certains d’entre nous se sentiront toujours plus en sécurité en Israël qu’en Allemagne, même sous les bombes”, estime Hanna Veiler, la présidente de l’Union des étudiants juifs d’Allemagne (JSUD). “S’il y a une chose que nous avons apprise, nous les Juifs, c’est que lorsqu’on menace de nous détruire, nous prenons cela très au sérieux”, insiste David, père d’une famille nombreuse qui préfère garder l’anonymat.Dans l’ancienne capitale du Troisième Reich, la ville de la “solution finale”, les attaques antisémites après le pogrom du 7 octobre ont été un traumatisme. Deux cocktails Molotov ont été jetés devant une synagogue, des étoiles de David ont été taguées dans des entrées d’immeubles. On ne parle plus l’hébreu dans le métro. Les Juifs évitent de porter ostensiblement une kippa ou une étoile de David. Ils préfèrent garder leurs enfants à la maison, ne donnent plus leur vrai nom pour des commandes sur les sites de livraison à domicile ; et n’écrivent plus leur adresse comme expéditeur, pour protéger les destinataires.La montée de l’antisémitisme est un problème récurrent. “J’ai déjà été frappé il y des années dans le métro. On m’a craché dessus. Je ne vois rien de nouveau à part le fait que les jeunes juifs ont pris conscience avec le 7 octobre de la fragilité de leur existence”, estime le rabbin germano-britannique Walter Rothschild. Il est venu débattre au théâtre de la “Volksbühne”, en marge de la présentation d’un livre consacrée au premier pogrom du “quartier des granges” à Berlin, le 5 novembre en 1923, perpétré par des agitateurs nationalistes. C’était dix ans avant la prise de pouvoir des nazis. Berlin vient par ailleurs de commémorer les 85 ans de la “nuit de Cristal”. Les 9 et 10 novembre 1938, un pogrom (1000 commerces pillés, 30 synagogues détruites et 12 000 déportés, seulement à Berlin), qui a “ouvert les yeux aux Juifs les plus fidèles à la patrie”, comme l’écrivait en 1939 la résistance allemande Ruth Andreas-Friedrich.”S’il le faut, nous enverrons des soldats”Mais la communauté juive – 200 000 personnes dans un pays de 84 millions d’habitants – refuse de faire des parallèles historiques. L’ensemble de la classe politique est déterminée à défendre l’existence d’Israël et assurer la sécurité des Juifs en Allemagne. Alors qu’il avait attendu plusieurs mois après le début de la guerre pour aller en Ukraine, Olaf Scholz a été le premier dirigeant européen à se rendre à Tel Aviv, le 17 octobre, pour répéter la formule d’Angela Merkel devant la Knesset en 2008 : la sécurité de l’Etat hébreu est pour l’Allemagne une “raison d’Etat”.“Ceux qui s’en prennent aux juifs d’Allemagne s’en prennent à nous tous”, a martelé le chancelier.La responsabilité historique dans l’assassinat de 6 millions juifs en Europe imprègne la culture allemande. Quand l’équipe nationale de football se rend à Jérusalem, les joueurs se recueillent au mémorial de la Shoah à Yad Vashem. La visite d’un ancien camp de concentration fait partie de la formation d’un policier ou d’un soldat. Le plus grand quotidien populaire allemand, Bild Zeitung, exige de ses journalistes qu’ils signent un engagement moral en faveur de la réconciliation avec les Juifs et du droit à l’existence d’Israël…La Constitution, auquel les Allemands se réfèrent en permanence, est l’expression du rejet du nazisme. “La dignité humaine est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la protéger”, exige l’article premier. Les synagogues et les institutions juives sont donc les bâtiments les mieux protégés d’Allemagne avec une surveillance 24h/24.Il est politiquement inconcevable que l’Allemagne refuse de livrer des armes à Israël comme elle l’a fait pour l’Ukraine au début de la guerre. Boris Pistorius, le ministre de la Défense, a promis de “répondre dans les 24 heures” à toute demande venant d’Israël. “S’il le faut, nous enverrons des soldats”, assure même le député Roderich Kiesewetter, président de l’association des réservistes.Plus d’une centaine de manifestations propalestiniennesLa moindre relativisation des crimes du Hamas entraîne de vives réactions. Après ses déclarations propalestiniennes à Amsterdam, Greta Thunberg a été déclarée persona “non grata” en Allemagne. La présidente des Verts, Ricarda Lang, mais aussi par la cheffe du mouvement Fridays for Future, Luisa Neubauer, ont pris leurs distances avec la militante suédoise. La ministre de la Culture a menacé de couper les subventions de l’exposition d’art moderne de Cassel si des membres de la commission artistique continuaient de signer des pétitions du BDS, une organisation palestinienne antisioniste appelant au boycott des produits israéliens. Déjà éclaboussée par la présence d’une œuvre antisémite à l’édition 2023, cette commission a finalement démissionné en bloc le 16 novembre.Mais la bataille n’est pas gagnée. Plus d’une centaine de manifestations propalestiniennes ont eu lieu à Berlin, une ville qui accueille la plus grande communauté palestinienne exilée au monde (estimée à 40 000 personnes). Une seule manifestation a été organisée en soutien à Israël. “Avant je discutais volontiers avec les chauffeurs de taxi musulman de l’avenir du Moyen-Orient. Je leur disais que j’étais juif. Ce n’était pas un problème. Maintenant, je ne dis plus un mot. Je monte, je paie, je descends”, explique David.Dans les quartiers à forte population musulmane, l’antisémitisme est devenue une évidence. La déléguée à l’intégration du quartier populaire de Neukölln, Güner Balci, a reconnu qu’il existait dans “certains milieux un grand soutien aux actions du Hamas”. Le vice-chancelier, Robert Habeck, a également invité une partie de la gauche à revoir ses arguments : “L’anticolonialisme ne doit pas conduire à l’antisémitisme”, dit-il dans une vidéo qui a fait le buzz sur Internet.Enfin, les immigrés ont été priés de respecter l’histoire de leur pays d’accueil. “Les gens qui viennent vivre ici et qui cherchent une place dans la société sont les bienvenus”, assure Michael Roth, le président social-démocrate de la commission des Affaires étrangères de l’assemblée fédérale (Bundestag). “Mais ils doivent comprendre que ce pays dans lequel il font leur vie a aussi une histoire”, poursuit-il avant de conclure : “Ceux qui veulent devenir citoyen de notre pays doivent défendre l’existence d’Israël”.



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Author : Christophe Bourdoiseau

Publish date : 2023-11-22 05:00:53

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