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“Je suis en colère” : dans la Gironde, les services de protection de l’enfance à bout de souffle

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Rares sont les professions que l’on exerce sept jours sur sept, de jour comme de nuit. “D’ailleurs, la ‘famille d’accueil’ porte bien son nom, puisque je ne pourrais pas accueillir des enfants placés chez moi sans l’adhésion de mon mari et de mes deux propres enfants. Beaucoup de professionnels jettent l’éponge, car leur mission, de plus en plus difficile, atteint trop leurs proches”, explique Isabelle Philippe, qui exerce la fonction d’assistante familiale depuis sept ans, dans sa maison d’Ambarès-et-Lagrave, à 20 kilomètres de Bordeaux. “Une vraie vocation !” lance la jeune femme, qui accueille en ce moment trois enfants âgés de 6 mois à 7 ans. “Aujourd’hui, ceux qui débutent dans le métier sont beaucoup plus livrés à eux-mêmes en raison d’un manque criant d’effectifs”, soupire-t-elle. “Dans le même temps, nos tâches sont de plus en plus difficiles : les violences intrafamiliales ont explosé, le nombre d’enfants placés est en nette augmentation et beaucoup ont besoin d’un suivi médical important”, poursuit son mari, Emmanuel, qui vient de mettre fin à sa carrière de fonctionnaire de police au centre d’appels du 17 du commissariat de Bordeaux, afin de s’engager à son tour comme assistant familial.”Se sentir utile”, voilà le moteur de ce couple au plus près du terrain. Une mission toujours complexe, à entendre la plupart des professionnels et spécialistes du secteur. Presque tous dressent un état des lieux alarmant de la protection de l’enfance, chargée de 370 000 mineurs sur tout le territoire. Les annonces de la Première ministre, Elisabeth Borne, lundi 20 novembre, dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux mineurs étaient particulièrement attendues. Certaines mesures concernent spécifiquement la protection de l’enfance : un dispositif “scolarité protégée”, “véritable feuille de route entre les acteurs de l’école et ceux de la protection de l’enfance”, qui inclut notamment la nomination de référents et la systématisation d’entretiens pédagogiques à 15 et 17 ans pour les enfants concernés ; la nomination de 10 délégués départementaux à la protection de l’enfance, placés auprès des préfets, déploiement visant à être généralisé ; ou encore un “coup de pouce financier” de 1 500 euros pour les jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance (ASE), automatiquement perçu à la majorité… Autant de pistes jugées décevantes par la plupart des acteurs du secteur. “Je ne suis pas déçu, je suis en colère ! Ces annonces ne répondent absolument pas à la réalité des besoins des enfants concernés”, tance Jean-Luc Gleyze, président (PS) du département de la Gironde, qui bataille sur ce dossier depuis plusieurs années.Car, sur ce territoire, comme ailleurs en France, les services sont saturés. Dans la Gironde, 12 000 enfants bénéficiaient de mesures de protection en 2015, ils sont 15 000 aujourd’hui. Il y a huit ans, 3 500 d’entre eux étaient en situation de placement, ils sont désormais 5 800. La situation est tellement tendue que 200 enfants, dont le placement a pourtant été ordonné par la justice, ne peuvent être extraits du domicile familial malgré les risques de maltraitance encourus. “Le budget que nous consacrons à la protection de l’enfance a augmenté de 65 % en huit ans. Il représente le poste le plus important de la collectivité, soit 310 millions d’euros”, insiste Jean-Luc Gleyze, tout en expliquant être aujourd’hui arrivé à un “point de rupture” et en appeler à la responsabilité de l’Etat, qu’il qualifie de “plus mauvais parent de France”. “Les départements, chargés de l’aide sociale à l’enfance, ne peuvent exercer correctement leurs missions que si les tâches dévolues à l’Etat en parallèle sont réellement assurées, notamment dans le secteur de la santé. Or ce n’est pas le cas”, dénonce-t-il.De plus en plus de jeunes enfants et de bébésSi le département de la Gironde compte 1 193 places en instituts médico-éducatifs, 852 enfants censés y entrer se trouvent aujourd’hui sur liste d’attente. En attendant de rejoindre un établissement adapté à leurs besoins, ces derniers sont confiés à la protection de l’enfance. Idem pour ceux qui devraient mais ne peuvent être pris en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse. A cela s’ajoute la pénurie de professionnels de la santé, notamment dans le domaine de la pédopsychiatrie, qui fait que les délais de demande de suivi des enfants victimes de maltraitance, parfois atteints de polytraumatismes, s’allongent. “Les enfants dont on parle sont à la croisée de plusieurs services publics : celui de la protection de l’enfance, bien sûr, mais aussi ceux de l’éducation, de la santé et de la justice. Ce sont les premières victimes d’un système qui, hélas, craque de partout”, résume Thierry Herrant, de l’Ufnafaam, une fédération qui regroupe des associations de familles d’accueil.A tous ces facteurs de tensions s’ajoute la question de la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA). Fin septembre, le département du Territoire de Belfort avait pris la décision inédite de suspendre l’accueil de ces enfants étrangers isolés, faute de capacités d’accueil suffisantes. “Ce qui est illégal et va à l’encontre de la Convention internationale des droits de l’enfant, selon laquelle tout mineur en situation difficile doit bénéficier d’une mesure de protection quels que soient sa situation, son parcours ou son origine”, s’insurge Jean-Luc Gleyze, alors que, dans son département, les MNA représentent 10 % des effectifs pris en charge par l’ASE.Autre phénomène souligné par tous les professionnels : foyers et familles d’accueil voient arriver de plus en plus de jeunes enfants et de bébés. Preuve pour certains que la campagne de communication autour du 119, numéro national dédié à la prévention et à la protection des enfants en danger, porte ses fruits. Tout comme le plan gouvernemental consacré aux 1 000 premiers jours de l’enfant. Pour d’autres, c’est surtout le signe d’une précarisation et de difficultés sociales croissantes. Franck Bottin, directeur du Centre départemental de l’enfance et de la famille (CDEF) de la Gironde, affirme que ses services d’hébergement sont aujourd’hui à plus de 120 % de taux d’occupation. “La pouponnière, qui compte 35 places, accueille entre 45 et 49 bébés depuis le mois de février”, confirme le responsable.En 2019, un documentaire de l’émission Pièces à conviction, sur France 3, avait mis au grand jour des faits de violence au sein du foyer d’Eysines, géré par le CDEF, pointant notamment le manque de moyens et de compétences nécessaires pour gérer des jeunes souffrant de troubles psychiatriques. Quelles mesures ont été mises en place depuis ? “Nous avons poursuivi le travail qui avait été entamé avant même la diffusion du documentaire et qui consistait à réduire le nombre d’enfants hébergés par le seul foyer d’Eysines. Plusieurs maisons ont notamment été achetées par le département de façon à mieux les répartir et à diminuer les effectifs dans chaque unité”, répond Franck Bottin, pour qui le problème de “suractivité” persiste et reste problématique.”Un système à bout de souffle”Le 1ᵉʳ septembre dernier, dans une lettre ouverte adressée à Charlotte Caubel, secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance, 24 présidents de département appelaient à la mise en place d’états généraux de la protection de l’enfance et dénonçaient “un système à bout de souffle”. “Je ne crois pas à des états généraux qui réinterrogent tout le monde sur des difficultés qui sont déjà connues, a avancé cette dernière dans une interview accordée au Figaro, le 11 octobre dernier. Mais nous sommes dans un moment politique qui pose la question de l’alliance entre l’Etat et les départements pour permettre d’établir des priorités afin de sortir de cette période de tension.”Au détour de l’entretien, la secrétaire d’Etat s’est dite prête à “envisager” de recentraliser la protection de l’enfance, se disant “attachée à ce que l’ensemble des mineurs soient traités de manière équivalente”. Une très mauvaise idée pour Jean-Luc Gleyze, pour qui “le jacobinisme n’est pas un facteur d’égalité républicaine”. “Et puis tous les départements s’accordent à dire que l’ASE doit rester décentralisée, car c’est de cette manière que nous sommes au plus près des besoins des familles et des enfants”, ajoute-t-il.En 2015, le département de la Gironde comptait 800 familles d’accueil, elles ne sont plus que 620 aujourd’hui. Même situation de pénurie du côté des éducateurs spécialisés : l’année dernière, l’institut régional du travail social, qui forme les futurs professionnels de la Nouvelle-Aquitaine, enregistrait une baisse des inscriptions de 25 à 30 %. Et de plus en plus d’élèves abandonnent leurs études en cours de cursus. “Lorsque j’ai passé le concours, il y a treize ans, la sélection était rude, on devait travailler dur pour rejoindre cette formation. Mais, depuis, le mode d’admission a changé. Tout passe par Parcoursup, et beaucoup de jeunes s’engagent dans cette voie sans vraiment se rendre compte de la réalité du métier”, explique Barbara Trainaud, éducatrice spécialisée, aujourd’hui coordinatrice au CDEF de la Gironde. Comme dans bien d’autres secteurs, la crise du Covid a également entraîné une prise de conscience. “Beaucoup de travailleurs sociaux se sont rendu compte qu’ils ne voulaient plus travailler en horaires décalés et en étant si peu rémunérés. Ils préfèrent changer de secteur professionnel”, constate la jeune femme. Selon elle, impossible d’attirer de nouvelles recrues sans une revalorisation salariale de tous ces travailleurs sociaux indispensables sur le terrain. Et Franck Bottin de renchérir : “On aura beau créer de nouvelles places d’accueil, si personne n’est là pour encadrer les enfants, la situation restera bloquée.”



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Author : Amandine Hirou

Publish date : 2023-11-22 11:00:00

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