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“Philisophy is sexy” : comment Marie Robert a conquis les trentenaires

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Toque en fourrure sur la tête, bien qu’il fasse chaud dans ce café versaillais, rire en grelot et pommettes saillantes, la petite-fille de chocolatiers et de bijoutiers, a d’une héroïne de Tolstoï la coiffure, le brin de mélancolie et de petits yeux couleur ciel. “Philosophy is sexy”, c’est elle, Marie Robert, 39 ans, phénoménal succès décliné en 193 000 abonnés Instagram, 100 000 à ses podcasts bimensuels, 15 000 fans de sa newsletter, cinq livres en cinq ans (40 000 exemplaires chacun, course en tête dans les classements Amazon, quinze traductions), tournées de signatures, foires, salons – un tourbillon, qui commença par un coup de mou.2009, elle a 24 ans et ça ne va pas fort, elle arrête sa thèse de doctorat (“Des Évangiles au Tractatus, histoire d’une transmission littéraire et philosophique”), elle rompt avec son amoureux, le fils de l’écrivain Dan Frank, et met un terme à son cours “Magie et religions” à l’institut de psychologie de Paris V, où elle faisait réfléchir ces apprentis psychologues “au besoin de récits dans nos vies”. Une annonce pour un poste dans une école privée hors contrat Montessori à Bailly, à laquelle elle postule le pied lourd, et là, double coup de foudre : l’un avec le fils de la directrice, Alexandre d’Esclaibes, aujourd’hui le père de son petit James, 13 mois, l’autre à enseigner le français, la philosophie, au collège puis au lycée ; conduire ses gamins aux parcours scolaire hoquetants au cœur des textes, triompher avec eux de l’aridité pour saisir leurs leçons, la transporte, elle dit ne jamais se lasser de découvrir dans leurs visages la lumière des premiers émois philosophiques.Debout à 5h45, la professeur prend l’habitude de publier sur Instagram un texte consacré à son métier – gratitude, émerveillement et méditation bienveillante, son triptyque fétiche. Et ce petit compte de rien du tout est lu, attendu. Première graine. Cinq ans plus tard frappe la révélation dans les rayons d’Ikea. 2014, une journée cauchemar, 200 euros dépensés en bougies qui sentent bon alors qu’elle cherchait des meubles pour son école, elle enrage, et voilà que, furieuse d’avoir cédé à des achats inutiles, “surgit dans mon esprit le conatus de Spinoza, le désir est l’essence de l’homme”. Ce précepte clé du désir comme pulsion de vie l’apaise, “je réalise que chaque situation de crise a sa réponse dans le grand livre de la philosophie, je me dis qu’il serait pertinent d’en faire profiter.” Seconde graine.Philosophie sentimentaleLe week-end suivant, toujours pas de bibliothèque Ikea dans le coffre, mais séance de cuisine dans la maison de campagne de son frère, Guillaume Robert, éditeur chez Flammarion – ça tombe bien –, elle lui lit son premier texte, Spinoza chez Ikea. Lui, de onze ans son aîné, vient de casser la baraque feel-good avec le Foutez-nous la paix de Fabrice Midal, un livre conçu avec l’agent littéraire, Susanna Lea. Il envoie à la grande architecte américaine de best-sellers le chapitre de Marie, songeant alors deux choses. Primo, “il fallait que ça marche, je ne pouvais pas faire perdre de l’argent à ma maison avec ma sœur”. Secundo, “je me suis rendu compte du boulevard”. Le boulevard ? Tous les livres grand public de philo sont aujourd’hui écrits par des hommes (Charles Pépin, Frédéric Lenoir etc..), dans “le développement existentiel”, comme il qualifie le filon, aucune femme. Eureka.Le premier livre, une coédition Flammarion-Versilio (la maison de Susanna Lea) est titré Kant tu ne sais plus quoi faire, en anglais, c’est pratique, ça donne : “When you Kant figure it out”, tout pensé et rédigé en version traduisible – Ikea existe partout -, et donc tout est d’emblée lucratif car vendu en quinze versions à l’étranger. Le livre se compose de douze chapitres digestes, une gentille promenade où l’on découvre qu’Aristote aide à se relever d’une gueule de bois, Nietzsche à accélérer le tempo d’un jogging, et Pascal à couper les chaînes tout info, avec pour chaque auteur un résumé de son œuvre et de ses concepts clefs. Carton en librairies, dédicaces à New-York (où Susanna prête son appartement), partant l’infatigable Marie Robert, qui carbure à la spiruline et à la course à pied dans le bois de Bailly, poursuit à haute intensité.Newsletter, podcasts, Instagram, ses pastilles acidulées caracolent. Des pensées faciles, positives, nourries par la vulgarisation d’un grand auteur. Une recette magnifique, tant il est bon de se consoler d’avoir acheté des babioles en songeant qu’on n’aura rien accompli de pire que de laisser advenir son “conatus”, idem quand on aura eu envie d’étrangler ses enfants à Disneyland en se consolant à la pensée de l’autonomie de l’enfant chère à Jean-Jacques Rousseau. Soit “de la philosophie sentimentale”, selon la deuxième définition de son frère éditeur. Son public, très majoritairement féminin, beaucoup de trentenaires et un quart de quinquagénaires, apprécie les bons vœux matinaux de “Philosophy is sexy”, ses souhaits à la poétique absconse, telle que “je vous souhaite une journée d’héroïsme au goût salé”, “je vous souhaite une journée océanique”, ou parfois carrément crypté : “je vous souhaite une journée d’aiguilles, de tournevis et de fouets électriques” ou “je vous souhaite d’ouvrir le courrier de vos cellules”, le tout avec des photos en noir et blanc. Son frère estime qu’elle n’a pas “encore assez de succès”, commercialement et fraternellement convaincu que l’autrice pourrait vendre encore bien plus. C’est que, dans nos jours chagrins, offrir à la quête de sens d’une génération qui n’aura connu de la philo que les bachotages de la terminale, des préceptes simples, anoblis par leurs références, fait florès, or les manuels de pensée positive, pétris d’injonction à l’auto-conversion, ont lassé. “Un boulevard” donc.Capsules vidéo pour la marque SézaneElle s’y prête avec allant, elle le dit elle-même, “j’ai toujours envie de réconforter”, elle ne sait pas dire d’où ça lui vient, elle n’a jamais fait de psychanalyse, elle évoque sa micro-cellule familiale, ses parents et son frère adulé, “nous nous vivons comme un refuge”. Contre quoi ? Quelle adversité ? Elle l’ignore, prolongeant ce lien “gémellaire” avec son frère avec lequel elle partage ses vacances, bientôt un week-end à Barcelone, et “Noël bien sûr”. Il leur arrive de dormir dans la même chambre, souvent pendant leurs premières tournées de dédicace afin de ne pas rogner trop les budgets de promotion.C’est lui qui le confie, il s’étonnerait presqu’on s’en étonne, il l’a “adoré” depuis sa naissance, l’a trimballée toute petite à ses premières foires aux livres. Comme à Colmar, Marie Robert a alors treize ans, Guillaume Robert, 24 ans et il la présente à Susy Morgenstern, l’auteur légendaire de l’École des Loisirs. Il y a deux ans, ils l’ont revue ensemble et l’octogénaire aux lunettes roses a enjoint à la jeune femme de faire un bébé. Un mois plus tard, Marie est enceinte de James.Pour l’heure, Madame “Philosophy is sexy” ne vit pas de son succès éditorial, mais sa popularité, et ses messages sans aspérité, séduisent les entreprises qui lui achètent ses travaux. Des petites capsules-vidéo pour la marque de vêtements Sézane, une conférence autour de la joie chez Veuve-Clicquot, la raison d’être chez Monoprix, suivront Bouygues construction, la BPCE, l’Urssaf et même la CAF, où elle anime des ateliers sur les émotions. Dans le même temps, avec son compagnon, elle a monté quatre écoles Montessori bilingues, deux à Paris, une à Clichy, et la dernière à Marseille, où elle passe la moitié de la semaine. Des écoles privées, 550 euros le mois de scolarité à Marseille, 800 euros à Clichy, et 1000 à Paris, pas de cantine dans ce tarif, les enfants apportent des lunch-box. Marie Robert écrit son prochain livre, autour du réconfort. Son agenda google est organisée par couleurs selon les activités. Ni Kant, ni Spinoza ne le lui ont enseigné, mais ça sert.



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Author : Emilie Lanez

Publish date : 2023-11-22 16:00:00

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Tags :L’Express

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