Frenchie Shore, c’est chaud. C’est brutal. C’est trash. Comment, devant la déferlante de crudité et de vulgarité assumées, éviter de plonger dans le jeu du mépris, ce que le critique Patrice Blouin, passionnant analyste de la téléréalité, appelle dans son livre Les Champs de l’audiovisuel (éditions MF, 2017) la “phobie de classe”?
Comment devenir autre chose qu’un père ou une mère de famille effaré·es d’imaginer leur progéniture ado devant ces successions de “bite”, “chatte”, “sucer”, d’insultes jamais retenues, de corps objectivés ? La ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, dans son rôle, a réagi auprès du Parisien en déplorant la viralité des vidéos qui circulent. “Pour des adolescents qui vont se dire, c’est ça la réalité des rapports humains, des rapports sexuels, ça peut être une entrée en matière catastrophique”, a-t-elle ajouté.
Loft Story nouvelle génération
Que font Enzo, Iris, Julie, Kara, Melvin, Nicolas, Ouryel, Pépita, Théo et Tristan pour provoquer autant de remous ? Ils et elles parlent beaucoup, se frottent souvent, s’affrontent toujours, commentent leurs actions dans une version contemporaine du confessionnal de Loft Story, face caméra. Vieille recette. Mais contrairement à leurs aîné·es Jean-Édouard et Loana, ils et elles appartiennent à une génération pour qui la téléréalité a toujours fait partie du paysage. Tous et toutes en maîtrisent les codes, savent que les extraits courts destinés aux réseaux feront office de récit, autant que l’émission elle-même. Il n’y a donc pas d’histoire dans Frenchie Shore, rien d’autre à faire que de parler et se toucher. Et “profiter”, sous l’œil des caméras surveillantes.
Les profils des personnages sont connus : ils tournent plus ou moins autour de la bimbo – version homme ou femme – et de celui ou celle qui avance dans la vie sexuellement libéré·e. En même temps, l’émission ne transige pas sur une idée bien à elle de l’inclusion. Le casting est divers, souvent racisé, paritaire, il accueille une femme grosse et trois personnes LBGTQI + sans qu’à aucun moment on ne doute que la France leur ressemble – et inversement. Le coming out trans d’Ouryel, dans l’épisode 2, se déroule de façon simple et directe. “Je suis une femme trans”, dit-elle, accueillie avec bienveillance. On avait vu cela seulement dans Drag Race France, qui n’a pourtant rien à voir, puisqu’elle mêle le souci du spectacle à celui de l’éducation. Ici, aucun discours militant, contrairement au show bienveillant de France TV.
Tout pour le plaisir
Pour des raisons évidentes, l’émission (déconseillée aux moins de 16 ans) ne peut montrer de séquences à caractère sexuel sans utiliser le floutage. Et s’il y a du sexe dans les trois épisodes déjà diffusés, il y a aussi et surtout des paroles sur le sexe, d’une crudité inédite. Elles sont plus importantes que les interactions physiques. Ici, impossible donc d’aller aussi loin que le cinéaste Abdellatif Kechiche dans son sulfureux Mektoub My Love, Intermezzo (2019), jamais sorti en salle, qui filmait des culs féminins et des corps tournés vers le désir pendant de longues heures, dans un état de transe absolu, et enchaînait avec une scène de cunnilingus dans les toilettes d’une boîte. Étrangement, c’est à cet extrême-là de la représentation que l’on pense devant Frenchie Shore, qui n’en demande sûrement pas tant. Peut-être à cause du twerk, commun au film et à l’émission comme motif récurrent ? Peut-être parce qu’il n’est question que de plaisir ?
Difficile en tous cas de rester indifférent·e à un objet étranger au vernis de l’art, qui mêle les représentations éculées et les audaces bizarres. Frenchie Shore déploie un rapport problématique à la notion de consentement avec au moins une léchouille par surprise, met en avant des corps divers tout en conservant un fond sexiste et homophobe : Enzo, le candidat gay, est censé être là pour “détourner tous les hétéros”, comme il le dit lui-même, mais il est le seul à ne pas avoir de compagnon en terme d’orientation sexuelle. Il faut avoir le cœur bien accroché pour rester devant ce déchaînement contradictoire, qui a pourtant le mérite de fixer un moment des rapports intimes et sociaux d’une jeunesse. Pas la jeunesse, mais une jeunesse qui se met en scène, ne s’excuse de rien, et probablement, emmerde celles et ceux qui voudraient la critiquer pour sa vacuité.
Frenchie Shore sur MTV et Paramount+ depuis le 11 novembre.
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Author : Olivier Joyard
Publish date : 2023-11-22 14:05:16
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