L’écrivain franco-argentin nous a confié sa réaction face à l’élection de l’ultralibéral d’extrême-droite Javier Milei à la tête de l’Argentine.
Que penses-tu de l’élection de Javier Milei en Argentine ?
Peut-on penser quelque chose de ce qui n’a pas de sens ? De ce qui tente d’échapper, continuellement, à toute logique ? Non. Et oui. Malheureusement, je dirais, au milieu de tout le malheur que j’éprouve depuis l’élection de Javier Milei, il n’y a, en politique, pas d’autre choix que d’essayer de comprendre – même ce qui semble le plus incompréhensible.
L’Argentine, après les États-Unis, après le Brésil, a réussi à élire comme président un clown sordide d’extrême-droite. Elle a même fait mieux que ces deux pays tellement plus puissants : Trump croyait que boire du désinfectant était un remède contre le Covid ? Bolsonaro pouvait dire à une députée qu’elle n’était même pas digne de se faire violer ? Les Argentins ont réussi à élire un président qui demande à Conan, son chien mort il y a des années, de lui dire ce qu’il faut faire depuis l’outre-tombe.
Comment l’expliques-tu ? Comment se porte l’Argentine pour en arriver là ?
L’Argentine se porte mal depuis très longtemps. Aussi mal, plus mal encore, que tant d’autres pays dans le monde. C’est pour ça, je crois, que l’enseignement principal qu’on peut tirer de cette élection est celui de la défaite de la démocratie. En Argentine, comme dans tant d’autres pays, la démocratie a failli, elle n’a pas réussi à créer une société plus juste, elle n’a pas réussi à mieux repartir les richesses. Que les citoyens, lorsqu’ils sont désespérés, se tournent vers les pires promesses, vers les plus terribles mensonges, est quelque chose que, au moins depuis le nazisme, nous n’avons pas le droit d’ignorer.
En quoi cette élection est une nouvelle désastreuse ?
En Argentine, comme dans tous les pays tentés par l’extrême-droite (l’Inde, Israël, l’Autriche, la Pologne, le Pérou, la Grèce, la Norvège, la Suisse, l’Italie, l’Espagne, la France, et j’en passe), les politiciens semblent exercer leur profession comme si c’était un jeu, un jeu pour obtenir ou rester au pouvoir. Ils semblent, tous ou presque, ne pas vouloir comprendre qu’il y a des gens pour qui la politique est quelque chose de sérieux : c’est ce qui détermine les conditions de leur vie – et ce qui devrait leur faire espérer qu’elles s’améliorent.
C’est pour cela, je crois, que l’étonnement en Argentine devant l’arrivée de Milei, comme en France devant les 40 % de votes pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, me semble être un mensonge auquel seuls ceux qui feignent une myopie politique pour excuser leur cécité historique peuvent prétendre. Pour arriver à des situations comme celle de l’Argentine, il faut que des millions de personnes soient réellement désespérées. Exactement de la même manière que de croire que ce qui s’est passé le 7 octobre en Israël était “surprenant”, “inattendu”, alors que soixante-dix ans de politique occidentale et vingt-cinq ans de politique d’extrême-droite israélienne promettaient férocement un nouvel événement sanglant, se dire aujourd’hui surpris de ce qui se passe en Argentine, comme partout où l’extrême-droite arrive ou se trouve aux portes du pouvoir, n’est pas seulement imbécile, c’est assassin.
Comment la victoire de Milei dessine une carte du monde très inquiétante ?
Comme vous pouvez le constater, si j’ai peu d’espoir que les citoyens dans les pays démocratiques échappent à la tentation de l’extrême-droite, j’ai encore moins d’espoir que les politiciens les aident à y échapper. À la victoire de Milei, me semble-t-il, il n’y a qu’une réponse possible, la même réponse qu’il faudrait adopter, en France, si Macron réussit finalement à ce que l’extrême-droite arrive au pouvoir : être mauvais perdant.
Le dernier roman de Santiago Amigorena, La Justice des hommes (POL), est paru en août 2023.
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Author : Nelly Kaprièlian
Publish date : 2023-11-22 14:45:37
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