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En Russie, les femmes de soldats mobilisés en Ukraine défient le pouvoir

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“Qu’elles ferment leurs charmantes bouches”. En Russie, à l’instar d’Elena Penzina, députée de la région de Krasnoïarsk, les autorités s’exaspèrent des revendications de quelques épouses de soldats russes mobilisés en Ukraine – une population pourtant généralement acquises à la cause du Kremlin. Ayant prévu de se rassembler dans la ville de Kemerovo, en Sibérie, le 15 novembre dernier, pour exiger le retour de leurs fils et maris du front, elles se sont heurtées à la machine du pouvoir russe, intransigeante envers la moindre critique sur l'”opération militaire spéciale”.Actuellement, plus de 300 000 hommes sont déployés sur le front en Ukraine, mais contrairement aux soldats engagés dans des milices privées et aux anciens détenus recrutés en prison, ils ne connaissent pas leur date de fin de contrat, et ne “rentreront chez eux qu’après l’achèvement de l’opération militaire spéciale”, a tranché Andreï Kartapalov, président du Comité de la défense de la Douma, le 15 septembre dernier.”Le chemin du retour”Pour des milliers de femmes, cette annonce sonne comme une injustice contre leurs “honnêtes hommes” partis “défendre la patrie”. Car eux n’ont pas évité la mobilisation décrétée en septembre 2022, contrairement à des centaines de milliers d’autres qui ont quitté la Russie.De ce sentiment d’abandon est née sur Telegram, réseau social de prédilection des Russes, la chaîne “Pout Domoï” (“Le chemin du retour”, en russe), en septembre 2023. Suivie par plus de 13 000 personnes, elle cristallise les revendications de ces femmes qui ne se sentent pas écoutées. “Nous, parents et amis des soldats mobilisés, […] voulons une vie décente pour TOUS les citoyens de notre pays !”, insiste leur manifeste publié le 12 novembre, et qui lutte pour la démobilisation des soldats.Le long combat des mères et épouses de soldats”Les mouvements de mères de soldats russes se sont créés à partir de la fin des années 1980, avec la guerre d’Afghanistan puis les guerres de Tchétchénie, retrace Anna Colin Lebedev, sociologue spécialiste des sociétés post-soviétiques et autrice du livre Le coeur politique des mères. Analyse du mouvement des mères de soldats en Russie (2013). Elles ont toujours milité pour le respect des droits des soldats, surtout ceux des jeunes hommes conscrits”.C’est dans cette tradition que s’inscrit, après un an de mobilisation en Ukraine, le mouvement des femmes de soldats pour leur retour. Mais lasse d’interpeller les députés locaux et gouverneurs régionaux, une minorité d’entre elles passe à la vitesse supérieure. Le 7 novembre à Moscou, quelques unes ont manifesté pour la première fois, et des dizaines de groupes se sont constitués dans différentes région sur Telegram pour organiser simultanément des rassemblements dans tout le pays, le 19 novembre. Un seul a pu avoir lieu, à Novossibirsk. Les autres ont tous été annulés sous le prétexte de l’épidémie de Covid-19. Une excuse raillée sur le réseau Telegram, où la défiance envers les autorités se renforce. “Covid, Covid, on en a assez. C’est juste que personne ne se soucie de cette guerre”, grince Lyoubov, sur un groupe Telegram de Saint-Pétersbourg.Des voix antiguerresPour autant, les femmes veillent à ne pas critiquer directement la guerre, et restent dans une démarche légaliste. “Dans leur discours public, elles jouent la carte du loyalisme, une stratégie qui a toujours été payante pour obtenir ce qu’elles veulent des autorités”, précise Anna Colin Lebedev. Les administrateurs de “Pout Domoï” le précisent d’ailleurs chaque jour : “nous ne voulons pas jouer à faire ‘tanguer le bateau’ et à déstabiliser la situation politique”.Malgré tout, les langues se délient. Parmi les messages qui défilent sur les groupes, quelques voix antiguerres osent se prononcer, et enflamment les conversations sur Telegram. “Seul l’arrêt de la guerre ramènera les maris”, écrit un membre. “Vous devriez exiger la fin des hostilités”, lâche un autre.Les réponses à ces commentaires sont incendiaires, accusant leurs auteurs d’être des “agents ukrainiens” ou des “navalnystes” (en référence à l’opposant emprisonné Alexeï Navalny), combles de l’insulte dans la Russie de Poutine. “Notre désespoir a été instrumentalisé par des vautours, déplore Olga Katz, une des femmes les plus engagées pour le retour des mobilisés et dont le frère est soldat. Ce sont des gens qui ne se soucient pas de notre douleur, mais qui veulent faire un coup d’État dans le pays”.Election présidentiellePour le Kremlin, qu’importe que la grande majorité de ces femmes soient de son côté : le pouvoir voit dans leur démarche une critique impardonnable du commandement militaire. Le 15 novembre, au moins 5 femmes de Krasnoïarsk ont ainsi subi des pressions des autorités, les forçant à montrer leur smartphone pour vérifier si elles appartenaient aux canaux de “Pout Domoï”, rapporte le média indépendant russe Important Stories.A l’approche de l’élection présidentielle en Russie, les autorités comptent bien éviter que de tels mouvements ne se développent. “Le Kremlin peut interdire ces mouvements, comme il l’a déjà fait cette année pour certains, ou les inonder d’argent pour obtenir leur silence”, souligne Anna Colin-Lebedev..La démobilisation des soldats, elle, n’est clairement pas pour tout de suite. “Le régime redoute le moment où ils vont revenir”, explique la chercheuse, car ils dévoileront leur expérience traumatique au grand jour. En attendant, sur Telegram ou d’autres réseaux sociaux, les femmes de soldats continuent de témoigner de leur désarroi. Jusqu’à quand ?



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Publish date : 2023-11-23 04:46:20

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Tags :L’Express

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