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Israël-Hamas : “Les dirigeants des pays arabes sont tous terrifiés à l’idée d’être renversés”

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Après l’attaque sanglante menée par le Hamas le 7 octobre, le peuple israélien a reçu de nombreuses marques de soutien de la communauté internationale. Mais, plus d’un mois après la tragédie, la question de la “proportionnalité” de la riposte militaire israélienne est désormais au cœur des débats – au point que le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, a interpellé le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, sur les “trop nombreuses pertes civiles” à Gaza, lui rappelant la “nécessité absolue de distinguer les terroristes de la population”.Pour L’Express, le maître de conférences en sciences politiques à l’université Yale Graeme Wood, par ailleurs contributeur du magazine américain The Atlantic, décrit les difficultés auxquelles l’armée israélienne, écartelée entre son objectif de “détruire le Hamas” et la nécessité de préserver les civils, est aujourd’hui confrontée. “Pour savoir si les calculs de l’armée israélienne sont justifiés, la question doit être posée de la manière suivante : si les Israéliens devaient tuer 10 000 de leurs propres concitoyens pour atteindre leurs objectifs, le feraient-ils ? Ou se battraient-ils d’une autre manière ? Ils devraient se battre comme si toutes les vies civiles, gazaouies et israéliennes, avaient la même valeur. Mais, à mon avis, s’ils devaient tuer les leurs, ils réajusteraient leurs tactiques de combat pour éviter d’avoir à les tuer, ce qui me laisse penser que le calcul de proportionnalité qui a été effectué devrait être reconsidéré par Israël. Cela dit, il s’agit d’une guerre, et l’on oublie parfois que, en temps de guerre, des calculs moraux étranges sont obligatoires”, analyse Graeme Wood. Entretien.L’Express : A l’heure où la bande de Gaza est coupée en deux, considérez-vous l’opération menée par l’armée israélienne comme un “succès” ?Graeme Wood : Si l’on mesure le succès uniquement à l’aune de la progression de l’armée israélienne vers son objectif initial – la destruction du Hamas –, alors, oui, c’est un succès : la capacité opérationnelle du Hamas, y compris des autres groupes armés opérant dans la bande de Gaza, tels les combattants du Djihad islamique palestinien, est presque réduite à zéro. De plus, le nombre de morts israéliens dans cette opération est, jusqu’à présent, bien inférieur aux prévisions.Bien entendu, ce constat ne tient pas compte du nombre incroyable de morts, de souffrances et de dégâts causés au cours de cette opération.Les bombardements à Gaza entraînent une baisse quotidienne du soutien international à Israël, au point que même certains de ses alliés appellent à une pause humanitaire, voire à un cessez-le-feu. N’est-ce pas là un facteur important à prendre en compte pour Israël ?Pour les Israéliens, la gestion de l’opinion publique internationale est une question très secondaire, compte tenu de ce qui est en jeu pour eux, à savoir leur survie. Les Israéliens sont conscients que l’opération militaire cause la mort d’un grand nombre de personnes. Mais, en même temps, ils constatent que le monde est sélectivement indigné. Comparée aux manifestations populaires en faveur de Gaza, la perte de vies humaines lors d’actions militaires antérieures, comme en Ukraine ou pendant le siège d’Alep, n’a provoqué pratiquement aucune réaction. D’autre part, une grande partie de l’opinion publique s’indigne sans savoir comment la guerre est réellement menée. Je ne dis pas qu’il s’agit d’une guerre “propre”, mais que nous n’en savons pas assez pour déterminer si Israël a commis des crimes de guerre.Tout le monde ne semble pas être d’accord avec vous… Le 9novembre, un groupe d’avocats a déposé une plainte auprès de la Cour pénale internationale, à La Haye, contre l’Etat d’Israël pour crime de génocide à Gaza.Selon le théoricien américain du droit des conflits armés Benjamin Wittes, lorsqu’une guerre est livrée contre une entité comme le Hamas, qui dit ouvertement se cacher parmi la population civile, l’aspect de cette guerre est le même qu’elle soit menée légalement ou illégalement, jusqu’à ce que des preuves permettent de déterminer ce qu’il en était vraiment. A l’heure actuelle, aucun belligérant ne fournit de telles preuves. Il ne suffit pas de compter les cadavres pour savoir si un crime de guerre a été commis.Il est important de céder le moins possible à l’émotion sur ce sujet, et de comprendre que, si le grand nombre de morts civiles suggère l’existence de crimes de guerre, il ne confirme en rien que celles-ci sont bien la conséquence d’opérations militaires contraires au droit international. Pour l’heure, ce que nous savons, c’est que le Hamas a commis des crimes de guerre. Et cela est incontestable, parce qu’il s’est filmé en train de tuer intentionnellement des civils.Après l’attaque du Hamas, l’Otan a appelé Israël à réagir de manière “proportionnée”. Est-ce le cas ?En théorie, toute armée professionnelle moderne dispose d’une équipe de juristes qui calculent si les pertes en vies humaines sont proportionnelles à l’objectif militaire. De mon point de vue, pour savoir si les calculs de l’armée israélienne sont justifiés, la question doit être posée de la manière suivante : si les Israéliens devaient tuer 10 000 de leurs propres concitoyens pour atteindre leurs objectifs, le feraient-ils ? Ou se battraient-ils d’une autre manière ? Ils devraient se battre comme si toutes les vies civiles, gazaouies et israéliennes, avaient la même valeur. Mais, à mon avis, s’ils devaient tuer les leurs, ils réajusteraient leurs tactiques de combat pour éviter d’avoir à les tuer, ce qui me laisse penser que le calcul de proportionnalité qui a été effectué devrait être reconsidéré par Israël. Cela dit, il s’agit d’une guerre, et l’on oublie parfois que, en temps de guerre, des calculs moraux étranges sont obligatoires.Que voulez-vous dire ?La raison pour laquelle nous avons un droit international de la guerre est que la guerre est une catégorie d’activité humaine différente de l’ordinaire. Dans ce dernier cas, la vie est inviolable et ne fait pas l’objet de calculs de proportionnalité.Autrement dit, on ne fait pas d’analyse coût-bénéfice avec la vie humaine. La perspective de sacrifier quelques vies pour atteindre un objectif est inimaginable. Mais, en temps de guerre, penser en ces termes est une obligation. En fait, c’est le seul moyen que nous connaissions pour gérer une guerre sans sombrer dans la sauvagerie la plus totale.Le Hamas n’a-t-il pas un avantage stratégique sur Israël, qui a non seulement été pris de court, mais qui se retrouve coincé entre son objectif de détruire le Hamas et la nécessité d’épargner les civils ?Si. Le Hamas, comme d’autres groupes insurrectionnels, ressemble à ces bougies fantaisie sur les gâteaux d’anniversaire : vous soufflez et la flamme revient toujours, comme par magie. Si Israël veut isoler et diminuer ces groupes pour s’assurer qu’ils ont un effet minimal sur la vie quotidienne des Israéliens, il peut le faire. Mais peut-il les détruire complètement et définitivement ? Probablement pas.De plus, le Hamas ne respecte pas les lois de la guerre et utilise ouvertement des tactiques telles que la prise d’otages et l’exécution de non-combattants, qui constituent des cas flagrants du point de vue de la Cour pénale internationale. Cela signifie que le Hamas dispose d’une liberté d’action qu’Israël n’a tout simplement pas. Cela dit, Israël dispose aussi d’un avantage considérable : celui d’être un pays puissant doté d’une armée qui, même si elle a été prise au dépourvu, peut mobiliser d’énormes ressources, talents et compétences en un court laps de temps.Cette guerre ravive également les tensions dans la région. Faut-il s’attendre à un embrasement ?Je pense que le moment le plus dangereux est passé. Au lendemain du 7 octobre, Israël était extrêmement vulnérable. L’Iran ou le Hezbollah auraient eu un énorme avantage s’ils étaient entrés en guerre, car ils auraient pu surprendre Israël au moment où il était le moins préparé, ce qu’ils n’ont pas fait.Cependant, le conflit peut encore s’étendre. De mon point de vue, deux scénarios sont à surveiller. Le premier concerne la frontière avec le Liban (et, dans une certaine mesure, avec la Syrie), au nord d’Israël. Après le 7 octobre, des échanges de tirs intenses ont eu lieu entre le Hezbollah et Israël dans cette zone, et ce encore récemment.Or, dans le même temps, Israël réfléchit à introduire une nouvelle doctrine selon laquelle il n’autorisera plus la présence à ses frontières d’un ennemi capable de l’attaquer comme l’a fait le Hamas. Cela s’applique bien sûr à Gaza, mais aussi à la frontière avec le Liban. Or cela impliquera forcément une confrontation avec le Hezbollah. Le déclenchement d’une guerre au nord pourrait facilement s’étendre à d’autres pays, détruisant encore plus le Liban, ce qui serait une catastrophe absolue.Le deuxième scénario est celui d’un mouvement de colère populaire dans les pays arabes, notamment dans les pays en paix avec Israël, comme l’Egypte, la Jordanie et, dans une certaine mesure, l’Arabie saoudite. La production massive d’images de la souffrance et de la mort d’Arabes causées par l’invasion de Gaza exerce une pression croissante sur ces trois pays. Ils entretiennent des relations amicales, voire diplomatiques, avec Israël, et doivent en même temps expliquer à leurs populations pourquoi ils restent amis avec un pays qui tue des Arabes tous les jours. Leurs dirigeants sont tous terrifiés à l’idée d’être renversés. Et si l’un d’entre eux tombait sous l’impulsion d’une révolte populaire, au profit d’un gouvernement d’orientation islamiste, voire djihadiste, la situation régionale serait radicalement modifiée.Le professeur de criminologie et auteur d’Au commencement était la guerre (Fayard), Alain Bauer, a déclaré sur France 5 : “En essayant d’éradiquer le Hamas à Gaza, Israël donne du pouvoir au Hamas en Cisjordanie [et le] Hamas gagne aussi du terrain parmi les Arabes israéliens. […] Israël est en train de s’autodétruire.” Etes-vous d’accord ?Le Hamas était déjà relativement populaire en Cisjordanie avant le 7 octobre. Les habitants de la Cisjordanie ont toujours été gouvernés par l’Autorité palestinienne sous occupation militaire israélienne, il n’est donc pas surprenant qu’il y ait un terrain fertile pour le Hamas, qui n’exerce aucune responsabilité dans cette région. Inversement, le Hamas n’est pas très populaire à Gaza, qui est sous sa gouvernance.Les Israéliens sont extrêmement attentifs à la montée du soutien au Hamas en Cisjordanie, car devoir gérer en même temps la situation à Gaza et une intifada en Cisjordanie rendrait cette guerre encore plus difficile. Assez discrètement, Israël a mené des raids en Cisjordanie au cours du mois dernier – et encore récemment. Je pense qu’il s’agit de préparer le terrain pour s’assurer que ceux qui pourraient être à la tête d’un soulèvement soient neutralisés pendant cette période de grande vulnérabilité pour Israël.En poursuivant son opération à Gaza, Israël ne se met-il pas définitivement à dos de nombreux Arabes israéliens ?Les Arabes israéliens représentent près d’un cinquième de la population d’Israël. Ils sont certainement dans une position très difficile en raison de la sympathie qu’ils peuvent éprouver pour leurs frères arabes, mais, en même temps, ils savent que de nombreux Arabes israéliens ont été tués sans distinction dans l’attaque du Hamas. Je ne dirais pas que le tableau d’ensemble est celui d’une fraternité totale avec Israël, mais les expressions de solidarité que nous voyons de la part de la communauté arabe israélienne auraient probablement été plus faibles avant l’attaque du 7 octobre. Depuis lors, beaucoup ont montré leur empathie à l’égard des victimes et partagent un sentiment d’appartenance nationale.Vous avez évoqué les raids de l’armée israélienne en Cisjordanie. Cette zone pourrait-elle constituer un nouveau front militaire ?De mon point de vue, il est peu probable que la Cisjordanie soit envahie militairement comme l’a été la bande de Gaza. Les situations sont très différentes. Il s’agit d’un côté d’une zone gérée par l’Autorité palestinienne sous occupation israélienne. De l’autre, la bande de Gaza est contrôlée par le groupe terroriste Hamas et n’était pas sous occupation au sens strict.Cependant, la Cisjordanie est déjà envahie d’une manière différente, par le mouvement de colonisation qui progresse régulièrement depuis le 7 octobre. De nombreux colons juifs ont saisi cette occasion pour continuer à chasser les Arabes qui vivent dans la région depuis des décennies ou davantage. Tant que ce processus de colonisation se poursuivra, il n’y aura aucune possibilité de paix. De ce fait, si le risque que la Cisjordanie devienne un nouveau front est faible, le risque d’une intifada y est en revanche plus important.Selon le Times of Israël, le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a déclaré : “Nous devons nous occuper du Hamas en Cisjordanie et de l’Autorité palestinienne, qui a des positions similaires à celles du Hamas et dont les dirigeants se sont identifiés au massacre perpétré par le Hamas, exactement comme nous nous occupons de Gaza.” Ne faut-il pas s’en inquiéter ?Itamar Ben-Gvir est un fanatique notoire et un personnage puissant du gouvernement Netanyahou. Aussi, lorsqu’il déclare que l’Autorité palestinienne devrait être traitée comme le Hamas, les gens sérieux devraient s’alarmer. La vérité est que l’Autorité palestinienne n’a rien à voir avec le Hamas. Il est vrai que la thèse de 1983 de Mahmoud Abbas contient des déclarations antisémites. Et que, oui, c’est inquiétant. Mais l’Autorité palestinienne ne prévoit pas de tuer le plus grand nombre possible d’Israéliens, y compris des enfants, des femmes et des personnes âgées. Si un Ben-Gvir planifie la conquête de la Cisjordanie en assimilant le Hamas à l’Autorité palestinienne, il faudrait demander à Israël si c’est bien son plan, et ses alliés devraient exiger qu’un tel dessein ne soit pas poursuivi.Le président américain, Joe Biden, a appelé à la réunification future de la Cisjordanie et de la bande de Gaza sous l’égide d’une “Autorité palestinienne revitalisée”, dans une tribune publiée dans le Washington Post. Mais l’Autorité palestinienne est impuissante et mal accueillie à Gaza depuis quinze ans. Ne s’agit-il pas d’un vœu pieux ?La solution consistant à redonner du pouvoir à l’Autorité palestinienne est probablement la seule qui soit réellement envisageable. Pourtant, elle a été massivement rejetée par le gouvernement israélien. L’unique option qui pourrait concurrencer de près ou de loin cette solution serait de s’efforcer de faire revenir les élites intellectuelles palestiniennes qui sont parties à l’étranger pour échapper à la situation politique. Les Etats-Unis, la Jordanie, les Emirats arabes unis et l’Egypte devraient alors les soutenir et les supplier de créer un gouvernement et un Etat transparents et non corrompus.Le problème, bien sûr, est de trouver ces personnes. Il faudrait qu’elles soient prêtes à se rendre à Gaza, en passant derrière les chars israéliens (ce qui est une façon humiliante d’arriver dans son propre pays). Elles devraient également avoir les compétences politiques nécessaires pour faire le travail et ne pas être immédiatement dévorées par les pouvoirs en place à Gaza – qui compteraient probablement de nombreux partisans du Hamas, mécontents que des Palestiniens soient prêts à participer à un projet qui aurait vu le jour après l’invasion de la bande de Gaza par Israël.La cote de popularité de Benyamin Netanyahou a récemment atteint 27%, ce qui est très bas pour un dirigeant en temps de guerre. Son avenir politique est-il en danger ?Il est possible qu’il reste au pouvoir. Certes, Netanyahou est détesté par presque tout le monde, y compris par l’aile droite de son pays. Beaucoup le considèrent comme un individu agissant pour promouvoir sa carrière politique au détriment de la sécurité physique des Israéliens. Vous trouverez même des Israéliens à l’extrême droite qui considèrent que Netanyahou a totalement échoué face à l’attaque du Hamas, et qu’il n’est plus digne de gouverner.Cependant, lorsqu’un individu n’a ni fierté ni honneur, il ne part pas de lui-même. Il faut donc le pousser vers la sortie et choisir une autre personne capable de diriger un gouvernement approuvé par un nombre suffisant d’Israéliens. Cela, ajouté au fait que, en tant que telle, la politique de droite de Netanyahou ne déplaît pas à tout le monde, peut constituer un frein à un hypothétique changement. Je pense donc qu’Israël est dans une impasse : tout le monde veut que Netanyahou parte, mais personne ne connaît quelqu’un qui ait les capacités suffisantes pour prendre la relève dans un tel contexte. C’est ainsi : un homme politique qui dirige un gouvernement avec un taux d’approbation de 27 % peut survivre, même s’il suscite le dégoût et la déception de la majorité de ses concitoyens.



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Author : Alix L’Hospital

Publish date : 2023-11-23 04:45:18

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