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Jean-Victor Blanc : “La France est à la traîne sur le traitement de la santé mentale”

Jean-Victor Blanc : “La France est à la traîne sur le traitement de la santé mentale”



Comment définissez-vous la santé mentale ?
Ce qu’il est important de comprendre c’est que tout le monde a une santé mentale. Sa définition va de celle de l’OMS, c’est-à-dire être dans un état de bien-être complet qui fait qu’on n’est pas du tout entravé dans sa vie psychique, physique, professionnelle et que, en gros, tout va bien, à l’autre extrême, qui va correspondre aux troubles psychiques. Là, c’est un ensemble de maladies qui inclut la dépression, le trouble bipolaire, les addictions, qui va relever de la spécialité médicale et de la psychiatrie.

En étant depuis des années sur le terrain, trouvez-vous que le sujet est pris plus au sérieux aujourd’hui ? Pourquoi cela ?
Ça fait plus d’une dizaine d’années que j’ai commencé à me spécialiser en psychiatrie, en étant interne, puis médecin, puis diplômé, et il y a un effet post-COVID indéniable. Avant ça, c’était encore très timide, notamment en France. Venir parler de santé mentale, de psychiatrie, de troubles psychiques et de dépression, dans des médias grand public et mainstream c’était encore compliqué. Il y a eu plusieurs changement, notamment la façon dont beaucoup de personnes s’en sont finalement emparé, notamment dans la pop culture.

Deux ans après, le COVID a-t-il laissé des traces ?
Malheureusement, oui. Moi, je suis spécialisé en addictologie et notamment dans la prise en charge du chemsex, qui est une problématique assez particulière et communautaire. Énormément de mes patients continuent de marquer le COVID comme étant le moment dans lequel ils ont perdu le contrôle sur la consommation ou même qu’ils ont commencé à consommer.

Y a-t-il des communautés pour lesquelles la situation est plus urgente que pour d’autres selon vous ?
Alors, ça va être difficile, il y a tellement d’urgences (Rires) ! Mais c’est vrai que les jeunes ont été particulièrement marqués depuis le COVID. Et en même temps, c’est une génération qui est beaucoup plus vigilante et beaucoup moins pleine de tabous que les autres, donc, il y a quand même de l’espoir. Il y a aussi la santé mentale des personnes racisées qui reste un sujet qui a du mal à émerger, notamment en France. C’est pour ça qu’on en parle spécifiquement durant le festival. La santé mentale des hommes, également, dont on sait que les stéréotypes de genre font que c’est plus difficile pour un homme de parler de ses émotions. Or, la majorité des personnes décédées par suicide sont des hommes. Donc, on voit bien que ces stéréotypes, ils ne résistent pas aux chiffres. Et enfin, les personnes LGBTQI+ qui ont également une vulnérabilité psychique pour plein de raisons, notamment systémiques.

Vous parlez énormément de la représentation de la santé mentale dans la pop culture, notamment lors de tes conférences mensuelles en partenariat avec MK2 et tes ciné-clubs Culture Pop & Psy au cinéma Le Brady. Quel est le retour du public sur le sujet ?
C’est ce qui est assez génial avec ce genre d’événements : le public est très mixte, et c’est pour ça que ça me plaît autant. Des personnes concernées viennent avec leur entourage, ou alors ce sont des professionnels du milieu, ou juste des gens qui sont venus parce qu’ils aimaient le film projeté… Là, la dernière séance, on l’a faite en partenariat avec le festival Les Femmes s’en mêlent autour du film Her Smell d’Alex Ross Perry. On y a parlé de l’industrie musicale et de comment elle traite les artistes. La diversité du public offre une diversité d’échanges post-séance très enrichissante !

Dans le milieu de la pop culture aussi vous avez observé un changement de paradigme dans la représentation de la santé mentale ?
Oui, c’est sûr qu’il y a eu différentes étapes qui ont marqué des changements progressifs. Probablement que Happiness Therapy a quand même été le premier film grand public avec un casting bankable, des Oscars, et un succès critique et public, qui aborde frontalement la question de la santé mentale, des troubles psychiques, de l’hospitalisation, des médicaments… Et puis, plus récemment, c’est sûr qu’il y a eu 13 Reasons Why et Euphoria notamment. Donc ce qu’il est intéressant de constater, c’est que c’est vraiment un ensemble de choses qui vont traverser les secteurs, que ce soit la musique, le cinéma, mais aussi maintenant l’art contemporain, la mode, le sport… Et c’est pour ça qu’on sort complètement du caractère anecdotique d’une prise de parole unique ou d’un fait people quelconque. Quand on découvre l’affaire Britney Spears, ça ouvre beaucoup plus de questions qu’on ne le pense : c’est quoi la tutelle ? Comment sont traitées les artistes féminines dans la pop ? Comment l’étaient-elles avant ?

Y a-t-il des schémas scénaristiques qui, a contrario, vous semblent délétères dans la mise en scène des maladies mentales et de la santé mentale ?
Oui, c’est vrai qu’il y a des choses qu’on voit de moins en moins, mais qui continuent encore de parasiter, notamment en France. Même s’il y a des choses innovantes, on reste un pays à la traîne en termes de traitement de la santé mentale. Par exemple, réduire le personnage uniquement à son trouble relève clairement de la stigmatisation et l’enferme dans une seule dimension : une personne juste malade, toxicomane ou encore bipolaire, et rien d’autre. Ça, c’est quand même quelque chose d’assez problématique, parce qu’en plus d’être faux, ça peut finalement enfermer des personnes dans leurs troubles et potentiellement aggraver leur situation. Il y a aussi le fait de le représenter de manière toujours dramatique, comme s’il n’y avait aucun espoir de rétablissement et que ça finira forcément mal. Je pense à un film que j’aime beaucoup, Mommy de Xavier Dolan, qui a beau être une œuvre très intéressante, elle ne donne aucun espoir – autre que le suicide – à son personnage principal. Comme si c’était le seul moyen d’échapper à un destin inéluctable, soit celui de l’enfermement forcé quand on est atteint d’un trouble psy.

Mais une œuvre qui ne représente pas correctement la santé mentale est-elle forcément mauvaise ?
Justement, j’essaie d’avoir une approche plus nuancée, je ne suis pas du tout pour la censure. Ce ne serait pas très efficace et on revient de tellement loin que ça n’aurait pas tellement de sens. Je pense qu’il vaut mieux apporter un contexte. Dans le cadre de Pop & Psy je vais prioriser des œuvres plus enrichissantes en termes de traitement de la santé mentale que des œuvres qui le font mal.

En ce moment, il se passe vraiment quelque chose autour de l’autisme, sur les réseaux sociaux ou bien dans les productions audiovisuelles. Comment voyez-vous cet attrait soudain ?
C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose. C’est un trouble qui, pendant longtemps, a été très stigmatisé. Aujourd’hui, à la faveur notamment des réseaux sociaux, de séries et de prises de paroles diverses, venant souvent de personnes sans déficience intellectuelle, on a l’impression que les troubles du spectre autistique (TSA) sont presque quelque chose d’anecdotique, plus associés à un handicap et dont on pourrait se réclamer parce que ça fait chic. Pourtant, les chiffres montrent que la plupart des personnes atteintes de TSA vont être sujettes à des formes plutôt graves, des conséquences psychiques et un handicap intellectuel assez important. C’est là que la pop culture peut aussi, parfois, donner une image erronée de certains troubles, d’où l’importance d’assortir ces projections de connaissances et d’un petit peu de contexte.

C’est un trouble qui fait l’objet de beaucoup de spéculations sur les réseaux, notamment via le phénomène d’auto-diagnostic. Que pensez-vous de ça en tant que professionnel ?
De mon point de vue, c’est assez problématique. L’intérêt du diagnostic, c’est d’aborder une solution avec une aide adaptée au patient et une prise en charge. Seul un médecin peut faire ça, l’auto-diagnostic vient contrecarrer tout ça. Je vois beaucoup de ça, sur TikTok et Instagram notamment, où les auto-diagnostics se font de manière presque lapidaire, via des formats “7 questions et 1 minute” pour se diagnostiquer avec un trouble de spectre d’autisme ou une hyperactivité.

Vous disiez que la France était à la traîne en termes de traitement de la santé mentale, à la fois dans le débat publique et dans les arts. Quelle en est la raison?
Il y en a plusieurs, mais en règle générale la production française n’est pas autant à la pointe. Il n’y a qu’à voir, en termes de séries françaises, on est loin du compte. Un équivalent français d’Euphoria, c’est pas pour demain (rires) ! Après, il y a sûrement des spécificités propres à la France, qui a mis plus de temps à intégrer la diversité raciales et de genres dans ses séries, qui va souvent de pair avec la représentation de la santé mentale. Ça a pour effet de taire la question de la santé mentale. De plus, la France a aussi mis du temps avant de prendre au sérieux les questions de santé mentale. Aux États-Unis, beaucoup de personnalités publiques parlent de la santé mentale en leur nom propre, à la fois dans la vraie vie, mais aussi dans leurs œuvres. Que quelqu’un de l’envergure de Bradley Cooper parle de son addiction à la cocaïne et du suivi qu’il a eu pour s’en sortir, puis réalise et joue dans A Star Is Born avec une Lady Gaga, qui nous explique qu’elle a écrit son album avec des antipsychotiques, parce que son cerveau faisait n’importe quoi, ça change totalement la donne. Les Anglo-saxons ont beaucoup plus l’habitude de mettre en scène leur intimité et leur vie privée. Leur rapport à la santé est aussi beaucoup plus utilitariste. Donc l’identité et la culture française font qu’on a longtemps gardé ces choses pour soi, comme si ça relevait uniquement du privé.

En quoi consiste le festival Pop & Psy, dont vous êtes le cocréateur ?
J’ai cofondé ce festival avec Florence Trédez et Emmanuelle Fellous, avec l’idée de faire un temps fort sur la santé mentale pendant trois jours. On a organisé énormément de conférences et de tables rondes de talk dans lesquelles on va parler de sujets de société et de santé mentale, comme le coût mental du racisme ou la santé mentale des hommes, avec à la fois des personnes concernées, des artistes, des associatifs, des experts et cliniciens…. Un panel d’intervenants extrêmement large et diversifié qui a pour but d’informer le grand public, d’amener des sujets qui ont parfois du mal à émerger en France, notamment la question de la sobriété. Puis, à côté de cet aspect de fond, on propose aussi une expo d’art graphique, un village où il y aura des associations innovantes qui vont présenter leurs solutions pour aider les personnes concernées. Et enfin un temps festif le soir avec les chanteuses Kalika et Nâdiya qui viendront performer ! Toutes les infos sont sur l’Instagram du festival.

Le festival Pop & Psy se déroulera du 24 au 26 novembre au Ground Control de Paris. Retrouvez-y notamment Sara Forever, Clara Ysé, Camélia Jordana, Andréa Bescond, Popslay ou encore Adèle Castillon.



Source link : https://www.lesinrocks.com/actu/jean-victor-blanc-la-france-est-a-la-traine-sur-le-traitement-de-la-sante-mentale-601772-23-11-2023/

Author : Jolan Maffi

Publish date : 2023-11-23 14:41:26

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