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Les Lilas, une maternité féministe en danger: la communauté queer et trans se mobilise

Les Lilas, une maternité féministe en danger: la communauté queer et trans se mobilise



L’optimisme qui règne sur les murs fuschia de la salle d’attente, émaillés de slogans féministes et pro-choix, tranche avec la période sombre que traverse la maternité des Lilas. En cette fin d’année, la menace de fermeture, qui plane depuis dix ans sur les équipes de la structure, semble plus réelle que jamais. S’il n’est pas question d’abandonner totalement le bâtiment aux façades de bois qu’occupe ce service associatif depuis les années 60, l’Agence Régionale de Santé (ARS) veut en supprimer les salles de naissance. Le projet présenté aux équipes prévoit la transformation de la maternité en centre de santé gynécologique, et le transfert des équipes dédiées aux accouchements -sages-femmes, auxiliaires de puériculture, obstétricien·nes…- à l’hôpital voisin de Montreuil.

Pour l’équipe des Lilas, fermement opposée au projet -contactée, la direction n’a quant à elle pas souhaité s’exprimer-, cette transformation s’inscrit dans un contexte d’appauvrissement global de l’hôpital public où les économies sont réalisées sur le dos des patient·es les plus précaires et vulnérables. “La volonté de l’ARS et du ministère de la Santé est de regrouper les personnels et de mutualiser pour que ça coûte moins cher, mais il en résulte des offres de soins différentes. Dans les grandes structures, le nombre de salles de naissance est certes multiplié, mais il n’est pas corrélé à une augmentation du nombre de sages-femmes et d’auxiliaires de puériculture. Le personnel n’a donc plus assez de temps pour s’occuper des patient·es”, résume Corina Pallais, psychologue et déléguée syndicale Sud-Santé, qui nous reçoit dans le petit bureau oblong qu’elle occupe au rez-de-chaussée. Vingt-huit ans qu’elle travaille dans cet établissement fondé en 1964 et devenu au fil des années une véritable institution, un symbole de la lutte pour les droits des femmes. La professionnelle en parle comme d’“un lieu féministe et engagé autour de la naissance et de la fertilité”. Ici, on donne naissance comme on l’entend, et avec un interventionnisme médical moindre.

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Pionnière dans l’accouchement sans douleur et modèle pour des générations de féministes, cette maternité à l’ADN engagé a récemment reçu le soutien d’un collectif de patient·es trans et queer qui s’est mobilisé fin octobre pour protester contre la suppression des salles de naissance. Avec son éthique du soin et ses pratiques avant-gardistes, la maternité des Lilas fait partie des rares établissements français qui offrent un accompagnement adapté et gratuit aux personnes LGBTQI+. Le soin accordé aux patient·es est en effet au cœur des pratiques du personnel soignant, attentif aux vécus et aux situations particulières des personnes suivies. “Comme c’était une maternité identifiée comme très féministe, les couples de femmes sont venus ici, elles savaient qu’il n’y aurait pas de jugement, se souvient Corina Pallais, et qu’elles pourraient être présentes toutes les deux en salle de naissance, qu’on ne poserait pas la question ‘Et le papa?’”. La professionnelle se souvient que “les femmes nous racontaient qu’ailleurs, elles ne disaient pas qu’elles étaient ensemble, qu’elles n’osaient pas. On était sidérées d’entendre ça.” 

En 2019, c’est aussi cette maternité qu’a choisi Ali, le premier Français reconnu comme homme à l’état civil à être tombé enceint, pour donner naissance à son enfant. Depuis, elle est régulièrement désignée comme la transernité des Lilas, un terme inventé par Ali lui-même lors de sa grossesse. Avec Céline Le Negaret, sage-femme historique de l’établissement, Corina Pallais a été chargée du suivi d’Ali: “Très vite, ça a suscité des questions et on s’est dit qu’il fallait qu’on se forme, on a donc fait appel à l’association OUTrans. La quasi-totalité de l’équipe a tenu à assister à cette formation qui a permis de répondre aux questions qu’elle se posait et ensuite, je crois qu’on a réussi à faire du bon boulot.” Pour Céline Le Negaret, accueillir et accompagner des personnes trans dans leur projet de naissance a été synonyme d’un “enrichissement incroyable”: “Je ne connaissais pas tellement leurs problématiques et ce à quoi elles pouvaient être confrontées dans le monde médical.”

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Après Ali, d’autres personnes trans sont venues aux Lilas pour être suivies dans le cadre d’un projet de grossesse, à l’image d’Isaac, à l’origine de la mobilisation récente en défense de la maternité, qui a donné naissance à son enfant là-bas il y a cinq mois. Après avoir entendu des témoignages de proches ayant accouché là-bas, son mari et lui ne se voyaient pas aller ailleurs et même s’ils sont arrivés “super méfiants”, “ça s’est très bien passé: on voyait toujours la même sage-femme, c’était rassurant car je me voyais mal, par exemple, répéter à chaque rendez-vous les examens médicaux que je ne souhaitais pas avoir. On s’est sentis en confiance et l’équipe a été formée une nouvelle fois puisqu’en quatre ans, elle avait pas mal changé.” Cette année, c’est l’association parisienne Acceptess-T, agréée par l’ARS, qui a dispensé une formation sur l’accueil médical des personnes trans aux membres de l’équipe. “Deux personnes de l’asso sont venues nous parler de leurs parcours médicaux souvent douloureux, de leurs souffrances, des taux de suicide particulièrement élevés… L’équipe a été très touchée et a compris qu’il y avait plein de choses à réparer”, confie Corina Pallais.

Quelques mois après son accouchement, Isaac assure qu’il “n’aurait pas pu avoir mieux: je me suis senti à ma place dans cet endroit.” Céline Le Negaret, elle, n’y voit rien de plus qu’un accompagnement médical guidé par l’humain: “Lors d’une consultation, j’ai en face de moi une personne qui vient pour un projet de naissance, c’est la seule chose que je retiens et j’ai envie de pouvoir l’accompagner quels que soit ses désirs, ses besoins ou sa vulnérabilité.” De son côté, Corina Pallais estime que c’est “la suite logique du parcours engagé des Lilas”: “De la même manière qu’on a été lieu d’expérimentation pour l’IVG médicamenteuse, nous sommes dans une adaptation de ce qui se passe socialement. Ce n’est même pas une prise de position, nous avons des patient·es qui ont besoin de recevoir des soins de qualité et c’est ce qu’on essaie de leur donner. Au moment de la grossesse, on a besoin d’une bulle de sécurité donc il faut l’avoir a minima dans le lieu où on va accoucher.”

Au-delà de l’accueil spécifique réservé aux personnes trans, la maternité de Lilas, si elle venait à fermer, serait une perte significative pour la population de Seine-Saint-Denis et des communes voisines. “C’est vraiment un endroit très précieux pour les personnes trans mais aussi pour toutes celles qui n’ont pas beaucoup d’argent”, explique ainsi Isaac, bien conscient que l’enjeu dépasse largement son cas personnel. En plus des 800 femmes qui y accouchent chaque année, la maternité ne pourrait par exemple plus accueillir les patientes en post-accouchement qui viennent de maternités alentour en manque de lits. Les Lilas enregistrent ainsi pour l’année écoulée “plus de 60 transferts de patientes qui ont accouché ailleurs, ne peuvent pas être prises en charge pour les suites de couches et qui nous sont envoyées”, détaille Corina Pallais.

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Un projet de maison de naissance, lui aussi mené à Montreuil, ne rassure pas davantage les deux soignantes, en raison des conditions d’accès potentiellement discriminantes de ces structures: “En maison de naissance, il y a une partie payante, de l’ordre de 1200 euros. Une grande partie des femmes du 93 n’iront pas. Et puis, les maisons de naissance peuvent exclure une certaine population, puisqu’elles n’accueillent pas de personnes considérées ‘à risques’, physiologiquement ou psychologiquement, avec tout ce que cela peut sous-entendre”, s’inquiètent-t-elles. Pour Céline Le Negaret, le taux de mortalité périnatal, en augmentation depuis quelque temps, est directement lié aux dégradations des conditions d’accueil des femmes, et notamment des plus précaires. “D’après une étude de l’INSEE réalisée en juin 2023, une partie du problème vient du fait que certaines femmes précaires ne sont pas suivies en amont. On fragilise un public déjà fragile. Sur un département où le taux de naissance est le plus important de France métropolitaine et le taux de mortalité également, on met la population en danger.”

Si l’équipe de la maternité des Lilas s’inquiète logiquement de la disparition des salles de naissance pour les patient·es porteur·euses d’un projet de parentalité, elle s’en alarme aussi pour celles et ceux qui souhaitent au contraire interrompre une grossesse. Ainsi, la mutation de la structure actuelle en maison de santé impliquerait l’impossibilité de pratiquer des actes sous anesthésie générale et donc, des IVG par aspiration. “On nous propose qu’un médecin des Lilas aille les faire à Montreuil. Mais c’est une rupture du soin, à mon sens. A chaque fois, on grignote sous des prétextes financiers la qualité du soin, la qualité des choix, constate, amère, Céline Le Negaret. Et le choix des femmes ne cesse de se réduire”. .



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Author : Julia Tissier

Publish date : 2023-11-23 12:33:33

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Tags :Les Inrocks

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