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“Guerre froide” avec la Chine : les Etats-Unis sont désormais du mauvais côté, par Niall Ferguson

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Et si nous vivions une nouvelle guerre froide – et que nous étions les Soviétiques ? C’est la question que je me suis posée lors du récent sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique, dont le point d’orgue a été la rencontre entre le président chinois Xi Jinping et le président américain Joe Biden, au sud de San Francisco.Ma question va à l’encontre de la sagesse conventionnelle qui accorde peu de crédit au vieux slogan de Xi selon lequel les Etats-Unis sont en déclin et la Chine en plein essor (“dong sheng, xi jiang”, l’Est s’élève, l’Ouest tombe). Compte tenu de la vigueur surprenante de l’économie américaine et de la reprise hésitante de l’économie chinoise après les restrictions du “zéro Covid”, certains commentateurs ont suggéré qu’au contraire, c’était l’Occident (ou du moins les Etats-Unis) qui s’élevait économiquement, tandis que la Chine s’effondrait.On sait qu’il s’agit d’un sommet de guerre froide lorsque la surenchère automobile est à l’œuvre. Le président chinois s’est présenté dans une limousine électrique de luxe fabriquée par Hongqi (“Drapeau rouge”). Pas peu impressionné, Joe Biden l’a comparée à sa Cadillac blindée, qu’il appelle “la Bête”. Il y a cinquante ans, Richard Nixon avait remis à Leonid Brejnev les clés d’une Lincoln Continental bleu foncé lors de la visite du dirigeant soviétique aux Etats-Unis – dans ses Mémoires, Nixon se souvient que Brejnev, à Camp David, lui a fait faire un tour terrifiant dans ce véhicule. Il conduisait comme il buvait : vite.De même, on sait que les Chinois sont gentils lorsqu’ils offrent des pandas au zoo local. Les pandas jouent depuis longtemps un rôle dans les relations sino-américaines, depuis que Mme Tchang Kaï-chek en a offert deux aux Etats-Unis en 1941. Mao Zedong en a envoyé un couple au zoo national de Washington peu après la visite de Nixon à Pékin en 1972. Rien ne montre que la Chine vous aime autant que les pandas.Le précédent de 1973Les sommets des superpuissances de la guerre froide sont tellement chorégraphiés qu’ils ressemblent aux tournois de l’Europe médiévale. Cela donne souvent lieu à une comédie involontaire. Tout le monde considérait Brejnev comme un péquenaud lorsqu’il est venu aux Etats-Unis en 1973. Il portait deux montres, à l’heure de Moscou et à celle de Washington, pour gérer le décalage horaire. Mais, comme le rappelle Henry Kissinger dans ses Mémoires, le dirigeant soviétique “oubliait sans cesse si Moscou était en avance ou en retard sur Washington”. En dépit de l’aide de ses montres, Brejnev ne cessa de perturber les horaires méticuleusement planifiés par l’équipe de la Maison-Blanche.Pourtant, son chronométrage erratique s’est avéré une distraction bienvenue pour une administration qui était à la peine. A l’époque, c’étaient les Etats-Unis qui semblaient perdre la guerre froide : leur président était déjà entraîné dans la via dolorosa du Watergate, leur politique indochinoise s’effilochait, et leur renseignement était inconscient de la guerre que l’Egypte et la Syrie allaient lancer contre Israël quatre mois plus tard.On pouvait espérer, comme le faisait Kissinger, que le système soviétique s’effondrerait en premier. “La grande question à long terme, écrivait-il à Nixon avant l’arrivée de Brejnev, est de savoir si les Soviétiques peuvent maintenir leur propre bloc en attendant que l’Occident succombe à une longue période de détente… Il est certain que nos chances sont aussi bonnes que celles de Brejnev.” Mais en 1973, c’était un espoir quelque peu déçu.Dans ce contexte, la détente consistait à gagner du temps, les Etats-Unis cherchant à se remettre du désastre du Vietnam. Néanmoins, le temps ne pouvait pas être acheté pour rien. Malgré ses touches comiques, le sommet de juin 1973 eut au moins une certaine substance. Les deux présidents signèrent un accord sur la prévention de la guerre nucléaire. Nixon écouta poliment Brejnev invectiver les Chinois. Lorsque la troupe se rendit à San Clemente, en Californie, une proposition soviétique impromptue fit son apparition en fin de soirée, celle d’un plan de paix secret au Moyen-Orient. Il fut également question de réductions mutuelles des troupes en Europe.Une légère détenteDes conversations assez similaires viennent d’avoir lieu à San Francisco mais, selon les critères des années 1970, elles ont porté sur des questions périphériques. D’après le communiqué officiel de la Maison-Blanche, les Etats-Unis et la Chine ont progressé dans cinq domaines. Premièrement, ils reprendront les communications militaires de haut niveau, suspendues après la visite de l’ancienne présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi à Taïwan en août 2022. Deuxièmement, ils mettront en place un groupe de travail bilatéral sur la lutte contre les stupéfiants afin d’endiguer l’exportation illicite de fentanyl vers les Etats-Unis. Troisièmement, ils se pencheront sur les risques liés aux progrès de l’intelligence artificielle. Quatrièmement, ils augmenteront le nombre de vols commerciaux entre la Chine et les Etats-Unis et développeront les échanges entre les peuples et les entreprises. Enfin, ils coopéreront plus étroitement dans la lutte contre le changement climatique.Toutes ces propositions sont très intéressantes. Ce qui frappe, cependant, c’est la minceur de ce programme par rapport à celui de la détente de 1973. Les dirigeants des superpuissances d’aujourd’hui auraient pu discuter de façon productive du contrôle des armes nucléaires ou de la paix au Moyen-Orient, comme l’ont fait leurs prédécesseurs il y a un demi-siècle. Cela aurait été un bien meilleur usage de leur temps. Mais non.Dans la version chinoise, contrairement à la version américaine, Xi a appelé les Etats-Unis à montrer “par des actions concrètes” qu’ils ne soutenaient pas l’indépendance de Taïwan, à cesser d’envoyer des armes à Taïwan et à accepter la’réunification pacifique” de l’île avec la Chine comme “inévitable”. Les Etats-Unis n’ont fait aucun commentaire. La déclaration chinoise condamne également les Etats-Unis pour leur recours au contrôle des exportations, à l’examen des investissements et aux sanctions unilatérales à l’encontre de la Chine. Là encore, aucun commentaire.En bref, ce qui est vraiment important dans la rencontre Xi-Biden, c’est ce qui n’a pas été discuté et non ce qui l’a été. Le sommet a donc laissé la deuxième guerre froide à peu près là où il l’avait trouvée : une légère détente, en somme.Faiblesses chinoisesSi la détente consiste principalement à gagner du temps, ce temps avantage-t-il un camp en particulier dans cette deuxième guerre froide ? Après plus d’une décennie où la réponse conventionnelle était “la Chine”, les experts tendent désormais à penser le contraire. En Chine, la croissance des revenus et de la consommation est peut-être revenue à la normale mais le pays a pris du retard sur les Etats-Unis. En 2021, le PIB de la Chine représentait 76 % de celui des Etats-Unis en dollars courants. Il est tombé à 64 % au troisième trimestre, soit à peu près au même niveau qu’il y a six ans. Selon le FMI, la croissance chinoise ne sera que de 3,9 % en moyenne au cours des cinq prochaines années.Les principaux freins chinois sont un taux de fécondité toujours bas (1,1 naissance par femme) et l’effondrement du secteur immobilier, qui a plongé les finances des collectivités locales dans un profond marasme. Dans l’ensemble, le modèle de croissance chinois repose trop sur l’investissement en actifs fixes et, avec l’accumulation de la dette, les rendements diminuent et les investisseurs étrangers se retirent. Le capital-investissement chinois est en plein marasme.Le yuan chinois reste une monnaie de réserve de second ordre. Et, compte tenu de l’état de faiblesse de nombreuses banques, une crise financière en Chine représente désormais un risque sérieux. En outre, l’empire du Milieu ne dispose pas de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour résoudre ces problèmes. En conséquence, les mesures du gouvernement pour soutenir l’économie sont minimales et la valeur de la monnaie en baisse.Les causes de cette crise font l’objet d’un débat, même si les économistes occidentaux s’accordent généralement à dire que ces dernières années, les autorités chinoises n’ont pas assez agi pour augmenter la part de la consommation dans le PIB. Les politiques américaines de découplage et d’”interdépendance armée” visent à accentuer la pression extérieure sur le pays.Atelier du mondeMais d’un autre côté, la Chine est désormais sans conteste l’atelier du monde. Comme l’a souligné Keith Bradsher dans le New York Times au début du mois : “La Chine a déjà construit suffisamment d’usines de panneaux solaires pour répondre aux besoins du monde entier. Elle a construit suffisamment d’usines automobiles pour fabriquer toutes les voitures vendues en Chine, en Europe et aux Etats-Unis. Et d’ici à la fin de 2024, la Chine aura construit en cinq ans autant d’usines pétrochimiques que toutes celles qui fonctionnent actuellement en Europe, au Japon et en Corée du Sud.”Voilà des chiffres étonnants. Et ce n’est pas tout. La Chine construit 46 % des navires du monde. D’ici à 2026, elle produira 42 % des semi-conducteurs les moins avancés, indispensables aux appareils modernes. La plupart des batteries de voitures électriques sont fabriquées en Chine.C’est pourquoi il n’est pas réaliste de parler de découplage des économies. Depuis 2017, la part des importations américaines en provenance de Chine n’a diminué que de 5 %. Apple y produit toujours la grande majorité de ses iPhone. C’est également la raison pour laquelle il est presque certain que le discours selon lequel la Chine aurait déjà atteint son pic est erroné. Comme l’a souligné Martin Wolf du Financial Times, en 2022, le PIB par habitant de la Chine (calculé en parité de pouvoir d’achat) représentait 28 % du PIB par habitant des Etats-Unis, et environ la moitié du PIB par habitant de la Pologne. Ceux qui affirment que la Chine est tombée dans le piège du revenu moyen sous-entendent que les Chinois ne pourront pas atteindre le niveau des Polonais dans les années 2040.Gérontocratie américainePendant ce temps, les Etats-Unis eux-mêmes ressemblent de plus en plus, à y regarder de plus près, à une “Amérique soviétique tardive”, expression inventée par Harold James, de Princeton, en 2020. Le gouvernement fédéral américain émet 776 milliards de dollars de dette négociable par trimestre pour financer un déficit qui s’élève à environ 7 % du PIB – un chiffre choquant dans une période de quasi-plein-emploi. Selon Bloomberg, les paiements d’intérêts annualisés sur la dette fédérale ont dépassé 1 000 milliards de dollars à la fin du mois dernier, un chiffre qui a doublé au cours des dix-neuf derniers mois. Ce trimestre, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale (à la seule exception du premier trimestre 1998), les paiements d’intérêts dépasseront les dépenses de défense.A l’instar de la défunte Union soviétique, les Etats-Unis sont une gérontocratie. Le président vient d’avoir 81 ans. Son principal rival pour la présidence, Donald Trump, a fêté son 77e anniversaire en juin. L’âge moyen des sénateurs est de 64 ans.Et, comme dans la défunte Union soviétique, les citoyens sont désillusionnés. Comme l’a souligné Greg Ip du Wall Street Journal, il existe un énorme décalage entre les performances objectives de l’économie américaine et le mécontentement de la population. Le marché du travail est solide. L’inflation globale des prix à la consommation est tombée à 3,2 %. En termes réels, la richesse du ménage médian après inflation a augmenté de 37 % depuis 2019. Et pourtant, seuls 37 % des électeurs approuvent la gestion de l’économie par Joe Biden.Un récent sondage du New York Times sur les “swing States” a dû faire s’étouffer les stratèges démocrates mangeant leur toast à l’avocat : les électeurs de moins de 30 ans déclarent qu’ils font davantage confiance à Donald Trump sur l’économie, avec une marge extraordinaire de 28 points. Moins de 1 % des sondés de moins de 30 ans ont jugé l’économie actuelle excellente, et on tombe même à 0 % pour ce groupe d’âge dans trois Etats : Arizona, Nevada et Wisconsin. Il est presque aussi étonnant de constater que 22 % des électeurs noirs soutiendraient Trump dans un match retour contre Biden.L’effondrement de l’Union soviétique a bouleversé la géopolitique, créant dans l’esprit des Américains l’illusion que le monde était “unipolaire”, un mot qui n’a pas de sens. La réélection de Donald Trump mettrait effectivement fin à la “pax Americana”, à un niveau dont les Européens et Asiatiques prennent aujourd’hui lentement conscience. Trump considère depuis longtemps les alliés des Etats-Unis comme des parasites et des profiteurs. Ces pays devraient se préparer, dès maintenant, au scénario dans lequel Trump coupera l’aide à l’Ukraine et, pour obtenir la paix, insistera pour que l’Ukraine cède des territoires à la Russie. Les ennemis de l’Amérique, eux, le font en tout cas.Blocus plutôt qu’invasion de TaïwanD’autre part, personne plus que Trump n’a fait passer la politique américaine sur la Chine de l’accommodement à la confrontation. Xi doit donc peser soigneusement ses décisions pour les douze prochains mois, qui pourraient être la phase finale de la présidence de Biden, parce qu’il ne peut pas être sûr de la façon dont l’imprévisible Trump réagira à l’initiative que lui, Xi envisage clairement.Cette initiative n’est pas une invasion de Taïwan, comme certains experts américains le pensent, mais simplement un blocus. Il s’agit d’une opération que l’armée et la marine chinoises répètent régulièrement. Rien qu’en septembre, Pékin a envoyé 336 avions à la limite de l’espace aérien taïwanais. Selon le Washington Post, “le 17 septembre, un nombre record de 103 avions de guerre chinois se sont approchés de l’espace aérien taïwanais en 24 heures […] La Chine a envoyé un drone faire le tour de Taïwan pour la première fois en avril, et c’est rapidement devenu une manœuvre régulière […] Les porte-avions chinois se sentent chez eux de l’autre côté de l’île, dans l’océan Pacifique […] Là, ils lancent des avions sur la côte est de Taïwan et s’entraînent à repousser les Etats-Unis s’ils venaient un jour à défendre l’île.”Depuis quelques mois, je craignais que, malgré les paroles rassurantes de mes sources chinoises, un plan soit en cours d’élaboration à Pékin pour imposer un tel blocus en janvier, en utilisant comme prétexte les élections taïwanaises. Mais le fait que les deux partis d’opposition unissent leurs forces pour contester le candidat du gouvernement actuel, le vice-président Lai Ching-te du Parti démocrate progressiste, pourrait réduire le risque d’un tel scénario. Lai est la bête noire de Pékin en raison de son soutien passé à l’indépendance de Taïwan. Si Lai perdait face à un candidat plus conciliant envers la Chine continentale, Xi pourrait conclure qu’il n’est pas nécessaire de prendre le risque d’une épreuve de force.Mais il y a une autre variable politique, à savoir ce qui se passe à Pékin même. Des rumeurs circulent dans la capitale chinoise. L’une d’entre elles affirme que Qin Gang – l’ancien ambassadeur aux Etats-Unis et ministre des Affaires étrangères, qui a disparu cet été sur fond de rumeurs d’une liaison avec une présentatrice de télévision – est mort. D’autre part, l’ancien ministre de la Défense Li Shangfu, limogé le mois dernier, a été reconnu coupable de “trahison” à la suite des fuites de renseignements sur les missiles (la direction de la Force des fusées, qui supervise l’arsenal nucléaire de la Chine, a également été purgée en août). Enfin, des rumeurs circulent sur la mort surprenante de l’ancien premier ministre Li Keqiang, à l’âge de 68 ans, et sur le mauvais état de santé de Xi lui-même.Peut-être ne faut-il pas établir de liens entre ces éléments. Ou peut-être Qin Gang et Li Shangfu ont-ils commis l’erreur de s’opposer à une action à haut risque contre Taïwan ? Notons qu’en juin, ce dernier a déclaré qu'”un conflit ou une confrontation grave entre la Chine et les Etats-Unis serait un désastre insupportable pour le monde”. Peut-être Xi est-il plus pressé de régler la question de Taïwan qu’on ne le pense généralement. Et peut-être que lui et Poutine ont discuté, lors de leur rencontre à Pékin le mois dernier, du caractère propice de la situation actuelle, les Etats-Unis étant préoccupés par une guerre en Europe de l’Est et une autre au Moyen-Orient.Inversion des rôlesDans une guerre froide, il y a deux façons de perdre. L’une est l’effondrement interne. L’autre est de finir par ressembler à son ennemi. Cette “convergence” était un sujet de préoccupation dans les années 1970, lorsqu’il semblait que les impératifs de l’espionnage et de la course aux armements poussaient les Etats-Unis à développer un Etat sécuritaire similaire à celui du Kremlin.Un phénomène équivalent aujourd’hui, comme le souligne N. S. Lyons dans une brillante analyse, est que “la Chine et l’Occident, à leur manière et à leur rythme, mais pour les mêmes raisons, convergent à partir de directions différentes vers […] le même système de gouvernance techno-administrative totalisante, qui n’est pas encore totalement réalisé”.Ce qui rend un sommet de superpuissances à la fois sinistre et comique, c’est ce sentiment étrange que les deux superpuissances ne sont pas tout à fait les deux pôles opposés qu’elles prétendent être. Rappelez-vous : si la crise des missiles de Cuba se répète à propos de Taïwan, le camp qui imposera le blocus ne sera pas, comme en 1962, les Etats-Unis. Ce sera la Chine. Dans la crise des semi-conducteurs de Taïwan de 2024, nous serons à la place des Soviétiques.Voilà un bien étrange rôle à jouer.* L’historien Niall Ferguson est chercheur à la Hoover Institution à l’université Stanford (Californie). Son livre le plus récent est Apocalypses. De l’Antiquité à nos jours (éd. Saint-Simon).



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Publish date : 2023-11-24 04:30:00

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