Cette chronique raconte la petite ou la grande histoire derrière nos aliments, plats ou chefs. Puissante arme de soft power, marqueur sociétal et culturel, l’alimentation est l’élément fondateur de nos civilisations. Conflits, diplomatie, traditions, la cuisine a toujours eu une dimension politique. Car, comme le disait déjà Bossuet au XVIIe siècle, “c’est à table qu’on gouverne”.Ce sont des signes qui ne trompent pas. Un chapeau, le célèbre bicorne noir avec sa cocarde bleu-blanc-rouge, adjugé le 19 novembre dernier aux enchères à près de 2 millions d’euros en France, un courrier écrit de la main de l’empereur en 1812 mis en vente aux Etats-Unis pour 55 000 dollars… La figure historique de Napoléon Bonaparte continue toujours autant de fasciner dans le monde, alors que vient de sortir en salle, mercredi 22 novembre, le film de Ridley Scott. Ce “mélo” hollywoodien à 200 millions de dollars, fait de batailles homériques et d’épisodes de sa vie sentimentale, s’annonce d’ores et déjà comme un des cartons cinéma de l’année.Génie militaire pour certains, fossoyeur de la Révolution pour d’autres, “petit tyran irritable” dixit l’acteur Joaquin Phoenix qui l’incarne à l’écran, le bouillonnant empereur de France (de 1804 à 1814 puis du 20 mars au 22 juin 1815) était aussi un piètre gourmet et gourmand.La pasta della mamma !Napoléon est né le 15 août 1769 dans une famille d’origine italienne de la noblesse d’Ajaccio en Corse, un an seulement après le traité de Versailles qui place l’île génoise sous administration française. Son enfance ne connaît ni l’opulence ni le dénuement. Une vie rurale et paysanne, faite de trocs avec les autres villageois. “On apportait le lait, les fromages de chèvre. Même la viande de boucherie ne se payait pas. On avait un compte avec le boucher et on donnait en échange de la viande de boucherie, l’équivalence en moutons, agneaux, chevreaux, ou même bœuf. L’important était de ne pas dépenser d’argent qui était fort rare”, rapporte le général Henri Gatien Bertrand dans les Cahiers de Sainte-Hélène. Les 500 derniers jours (1820-1821) qui a eu de longs entretiens avec l’empereur.Sa famille récolte des cerises et produit de l’huile d’olive et du vin. Napoléon baigne donc au milieu de ce terroir méditerranéen, où se côtoient polenta à la farine de châtaignes, timbales de macaroni au parmesan et ramequins de lasagnes montées dans les cuisines de sa mère. La pasta della mamma !Le Chambertin, son vin préféréMais ses plus hautes fonctions ne vont pas en faire pour autant un personnage rabelaisien, avide de bonne chère. Au contraire, il a gardé ses vieilles habitudes de militaire et déteste par-dessus tout être bloqué à table. Un repas aux Tuileries ou à Saint-Cloud ? Sept à huit minutes maximum et ce, même si le plus appétissant des buffets a été dressé sous ses yeux. En 1810, un déjeuner de l’empereur peut comprendre un potage, trois entrées, deux entremets, du pain, deux desserts, une tasse de café. “Il ne touche jamais à tant de plats […] Il ne suit aucun ordre, passe de l’entremets au hors-d’œuvre, pour revenir au rôti ; ne s’astreint à aucune des règles en usage pour un repas classique, mâche assez mal de grosses bouchées et a hâte d’en finir”, écrit Frédéric Masson, secrétaire perpétuel de l’Académie française entre 1919 et 1923 et spécialiste des études napoléoniennes. Dans son verre ? Une gouleyante bouteille de Chambertin, son vin bourguignon préféré qu’il emporte aussi à la guerre mais qu’il coupe sans broncher à l’eau glacée, une pratique très courante à l’époque.Napoléon aime les plats plutôt simples : les côtelettes d’agneau, les bouchées à la reine, les haricots verts, les crépinettes, le boudin “à la Richelieu” (aux pommes aromatisées de cannelle), le café et le chocolat – surtout lorsqu’il veille la nuit -, et garde de sa campagne d’Egypte un petit faible pour les dattes. Quant aux viandes, la volaille est son péché mignon. Qui n’a jamais entendu cette légende rapportant que le “poulet Marengo”, l’un des plus célèbres plats de la cuisine française, est né au soir de la fameuse bataille du 14 juin 1800 dans le Piémont italien ? Le chef cuisinier de Napoléon, François Claude Guignet, dit “Dunan”, dépourvu de victuailles, aurait été contraint à l’improvisation avec les moyens du bord : un poulet, un peu de vin blanc, des tomates et des écrevisses de la rivière voisine. Et voilà, le “poulet Marengo” est né. Or, il s’agit encore d’une des nombreuses légendes gastronomiques puisque, comme le raconte l’historien Jean Tulard, “Dunan” n’est entré au service de l’empereur qu’en 1802 ! Il n’a donc absolument pas vu le champ de bataille à cette époque, pas plus que le “poulet Marengo” qui ne naîtra que quelques années plus tard… A l’époque, l’usage veut que l’on donne des noms de batailles ou de chefs militaires à des sauces ou des plats. Naissent ainsi la “sauce Albufera” (le maréchal Louis-Gabriel Suchet, duc d’Albufera), les “tournedos Masséna” (un maréchal d’Empire sous Napoléon) ou les “côtelettes Rivoli” (une bataille de 1797).Des “gastro-diplomates” à ses côtésS’il n’a jamais développé un goût particulier pour la table, Napoléon a parfaitement conscience de son absolue nécessité dans le cadre protocolaire. Ses ministres Jean-Jacques-Régis de Cambacérès (1753-1824) et Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838), “gastro-diplomates” émérites, font rayonner la table impériale pour lui. L’inestimable artisanat de la manufacture de porcelaine de Sèvres retrouve une seconde jeunesse après une période révolutionnaire tourmentée. “Accueillez à vos tables toutes les personnalités françaises et étrangères de passage à Paris auxquelles nous avons à faire honneur. Ayez bonne table, dépensez plus que vos appointements, faites des dettes, je les paierai !”, aurait déclaré Napoléon.La période est faste pour les arts de la table. A cette époque, est né en 1801 le mot “gastronomie” sous la plume du poète Joseph de Berchoux. L’Almanach des gourmands, le tout premier guide gastronomique, d’Alexandre Balthazar Laurent Grimod de La Reynière est imprimé à cette époque. Paris, qui voit apparaître son premier restaurant vers 1760, commence à jouer un rôle de premier plan dans cette “diplomatie gourmande”. “La capitale de la gastronomie où se concentrent des restaurants de renommée internationale”, écrit l’historien Patrick Rambourg dans l’ouvrage collectif A la table des diplomates. Les établissements Le Rocher de Cancale, de la rue Montorgueil, Les Trois Frères provençaux, rue Helvétius (l’actuelle rue Sainte-Anne), font le bonheur des Parisiens et des étrangers. Eugène Briffault, critique gastronomique, dit ceci dans son Paris à table en 1846 : “Sous l’Empire, on vit s’élever si haut la réputation des restaurants de Paris qu’ils firent en Europe pour notre cuisine, ce que les XVIIe et XVIIIe siècles avaient fait pour notre littérature. Ils la rendirent universelle.” Si la gastronomie n’a jamais vraiment conquis l’empereur à titre personnel, le chétif Napoléon qu’il était dans sa jeunesse donnera quelques signes d’embonpoint à partir de 1810. Jusqu’à s’approcher de l’obésité lorsqu’il se retrouve en exil à Sainte-Hélène en 1815.Nos conseils :Un bon restaurant corse à Paris : Alma, 10, rue Mandar, 75002 Paris.Un bon livre sur la gastronomie corse : Du pain, du vin, des oursins, par Nicolas Stromboni, Marabout, 2016.
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Author : Charles Carrasco
Publish date : 2023-11-25 07:45:00
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