Ce moment de révélation de soi, où elle-même découvre, grâce à ses profs, Martha Rosler, Chantal Akerman, Jenny Holzer, Ed Ruscha…, dont les œuvres influenceront, plus tard, les siennes. Dans une photographie de Jean-Luc Moulène, cadrant la bande d’élèves de l’école de Grenoble durant ces mêmes années, exposée au début de l’émouvante exposition de Matthieu Laurette présentée en ce moment au MAC VAL, Une rétrospective dérivée, ce même élan de liberté et de désir flotte dans les regards aiguisés, promis·es, pour certain·es, à des grandes carrières dans le monde de l’art. Être artiste, c’est avoir été jeune artiste.
De la même manière, être acteur·ice, c’est avoir été jeune acteur·ice, tel que le suggérait Valeria Bruni-Tedeschi dans son film Les Amandiers, évoquant l’école de Patrice Chéreau à Nanterre à la fin des années 1980. La comédienne Valérie Dréville confiera aussi, en janvier dans L’Art du débutant (Actes Sud), tout ce qu’elle a appris auprès de Vitez, de Vassiliev, d’Ostermeier et de Lupa.
Un incubateur essentiel
Il n’y a rien de plus essentiel, sur le chemin de son accomplissement, que d’avoir partagé avec d’autres élèves impatient·es ces moments d’apprentissage au sein d’une école, où “chacun, sans doute, devait se débrouiller avec ses convictions, ses possibilités et ses désirs”, selon les mots de Valérie Mréjen. Une école où tout concourt à donner du sens aux premiers élans créatifs, où des enseignant·es les accompagnent et les propulsent. L’artiste-romancière se souvient si bien de ces jeunes artistes, comme elle, dont l’esprit “était occupé par une folle ébullition et ne pouvait plus penser à rien d’autre, absorbé par l’émoi d’une projection à venir, l’appréhension avant la révélation au public”.
Or, alors même que ces souvenirs de jeunesse remontent ici, avec Mréjen, et là, avec Laurette, les 33 écoles supérieures d’arts territoriales continuent, pour la majorité d’entre elles, à s’appauvrir concrètement en France, voire à mourir, enfoncées qu’elles sont dans une crise que documentait, fin octobre, un rapport remis au ministère de la Culture par Pierre Oudart. Mise en miroir avec la mémoire de cette confiance éclatante qu’avait Valérie Mréjen dans la possibilité de se frayer un chemin dans le monde de l’art, la dégradation actuelle des conditions d’études dans ces écoles (suppressions de postes, annulation de workshops, de voyages d’études…) semble d’autant plus triste et terrible.
Être à la fois jeune et artiste, serait-ce devenu impossible ? Cette difficulté n’est pourtant pas sans paradoxe, lorsqu’on mesure, simultanément, combien les institutions, les fondations, les incubateurs et les collectionneur·ses vantent les mérites des jeunes artistes de tous côtés à travers des prix et des aides en pagaille. Alors même que la promotion de “l’émergence” n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui, l’État et les collectivités laissent des écoles et des jeunes artistes en devenir, à l’abandon, empêché·es de donner vie à des impulsions dans un cadre accueillant, fût-il perdu dans un lointain quartier au fond d’une ville nouvelle à une heure de RER. C’est l’ébullition qu’il faut sauver, avant même la possibilité de la consécration.
Édito initialement paru dans la newsletter arts et scènes du 28 novembre 2023. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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Author : Jean-Marie Durand
Publish date : 2023-11-28 08:00:00
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