Plus jeune, Marie Toussaint avait l’habitude de rendre visite à son père en région parisienne le week-end venu. Jean Toussaint se souvient de l’une de ces fois où, sur le visage de sa fille, il a lu le ressentiment. “Tu m’as toujours dit d’être gentille, de veiller à faire attention aux uns et aux autres… Mais la vie, c’est pas ça ! Tu m’as mal élevée”, lui lança la jeune femme. À l’époque, celle qui est désormais la candidate Les Ecologistes aux prochaines élections européennes a 25 ans. Et milite depuis sept ans au parti. “J’ai longtemps suscité l’incompréhension de mes camarades. Ils pensaient que le fait d’être un peu bisounours était une stratégie en soi”, dit-elle à présent. Les années ont passé et le cuir s’est épaissi, elle l’assure. Le message, lui, reste similaire. Il s’est même politisé : “Il faut opposer à cette pente glissante de violence généralisée l’horizon de la douceur.” En stratégie de communication, matière dont elle est diplômée, on appelle ça du “personnal branding” : elle le mettra à l’épreuve ce samedi 2 décembre au soir, pour son meeting de lancement à l’Elysée Montmartre, à Paris.L’aventure risque tout de même d’être violente, dans une élection aux allures de scrutin de mi-mandat, et sur fond de tensions entre ex-partenaires de la Nupes. “J’ai proposé un pacte de non-agression aux Insoumis… Et j’ai reçu un silence méprisant”, souffle-t-elle. Marie Toussaint avait déjà goûté aux préludes de ce que pourraient être les débats à venir. En août dernier, aux universités d’été de La France insoumise, la parlementaire européenne écolo est sifflée par les militants. Etait-ce un piège tendu par les mélenchonistes ? Qu’importe. “Les huées, je les prends avec le sourire car je veux y répondre avec de l’amour”, avait-elle rétorqué à l’époque. Naïveté ? “Je savais de toute façon où je mettais les pieds, c’est de la politique”, affirme-t-elle aujourd’hui. Lucidité.Turban, pantalon baggy et moqueriesMarie Toussaint est un bébé ATD Quart-Monde. Ses parents, volontaires permanents de l’association de lutte contre la pauvreté, s’y sont d’ailleurs rencontrés. Et ont fait le choix de vivre parmi les plus défavorisés. Elle les suit, du quartier de Wazemmes à Lille, à la cité des Aubiers à Bordeaux, en passant par Méry-sur-Oise. “On l’a impliquée dans une vie partagée avec des personnes en difficulté”, explique Jean Toussaint. À Sciences Po, qu’elle intègre après le lycée via une convention d’éducation prioritaire, le choc culturel est difficile à vivre. “J’ai vu des choses difficiles, mais la malveillance m’était étrangère. Je l’ai en partie découverte là-bas”, explique-t-elle.”Elle avait le turban, la grosse écharpe, le pantalon baggy. On se moquait un peu d’elle, en lui demandant si elle avait écouté le dernier album de Manu Chao, se souvient le scénariste Baptiste Fillon, son ami de l’époque. Elle avait ce côté nounours, mais quand elle parlait de politique, elle y allait franchement. J’ai quand même été étonné qu’elle monte dans l’organisme d’un parti : ça demande beaucoup de compromissions, alors qu’elle est plutôt entière.” Les dîners de sa bande d’amis, dans le salon de l’appartement de ses parents, du 17e arrondissement parisien, sont parfois le réceptacle de l’actuelle scène politique européenne. Avec son ancienne amie Mathilde Androuët, eurodéputée du Rassemblement national, elle s’écharpe sur l’alimentation et les vêtements équitables. “Marie est quelqu’un de besogneux et méthodique : elle est rassurée par ça. Mais je ne pense pas qu’elle soit adaptée à la violence et à l’exaltation qu’impose le statut de tête de liste”, analyse cette dernière. Les deux anciennes copines s’ignorent désormais, à Bruxelles et à Strasbourg.Encore inconnue du grand public, Marie Toussaint s’est toutefois imposée dans le paysage militant grâce à “L’affaire du siècle”. En 2019, son ONG de défense des droits environnementaux Notre affaire à tous, ainsi que trois autres associations (Oxfam, Greenpeace, et la Fondation pour la nature et l’homme) assignent l’Etat en justice et l’enjoignent de respecter ses engagements en faveur du climat. Plus de deux millions de citoyens signent une pétition allant dans ce sens. Deux ans plus tard, le tribunal administratif de Paris reconnaît la faute de l’Etat. “Je me rends compte que, dans cette histoire, j’ai appliqué la même logique que celle que j’ai observée à ATD Quart Monde : on ne peut pas se contenter d’être dans la charité, pour la nature comme pour les gens ; il faut plutôt donner des outils pour permettre aux gens et à la nature de se défendre”, jure-t-elle.”La stratégie du surplomb, ça fonctionne quand on est connu !”De l’engagement des siens, elle retient également l’importance de la lutte sociale dans le combat écologiste, un manquement que l’on assène souvent au parti. En 2020, avec Priscillia Ludosky, l’une des figures des Gilets Jaunes, elle publie “Ensemble nous demandons justice” (Editions Massot). “Nous voulons relier les combats. Car depuis toujours, les puissants détruisent la planète tout en détruisant nos vies”, écrivent-elles. Marie Toussaint incarne une ligne bien plus à gauche que Yannick Jadot, son prédécesseur. Elle propose, entre autres, de mettre en place un droit de veto social pour une politique publique si cette dernière empire les conditions des classes les plus pauvres.Lorsqu’elle est interrogée, Marie Toussaint marque de longues pauses avant de répondre aux questions. Au sein de sa formation politique, certains aimeraient la voir se mouiller un peu plus, et sortir de sa discrétion. “J’ignore quelle appréciation en font les médias, mais moi j’en ai une : c’est une nobody, charge une huile du parti. C’est maintenant qu’il faut raconter des choses, s’inviter dans les débats nationaux. La stratégie du surplomb, ça fonctionne quand on est connu ! Au moment de l’attaque du Hamas, elle tweete deux jours après !” Face à l’épreuve qui l’attend, Marie Toussaint reste stoïque. “Il ne faut pas être stressé. Il faut comprendre notre responsabilité.” En privé, elle se montre parfois dubitative. “Elle est consciente que l’ambiance n’est pas porteuse, que les écologistes ont des risques de baisser. Elle n’est vraiment pas montée sur un cheval en se disant que ça allait être tranquille”, observe l’un de ses proches. Sagesse et douceur : est-ce un projet politique ?
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Publish date : 2023-12-01 16:00:00
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